Descendre en enfer pour la philosophie, c’est, en souvenir de Foucault, renouer avec le péril de Nietzsche, de Hölderlin, de Van Gogh, ouvrir la mine noire du Borinage en laquelle Dieu se perd; retrouver donc d’abord le cri qui tue d’Edvard Munch; réécouter les négations de Hegel, chien crevé de l’idéalisme allemand; sombrer dans les écoutilles par lesquelles Kierkegaard se torture les méninges. Mais c’est entendre encore la musique de Mahler qui s’enfonce dans la terre et meurt sans partir ailleurs d’un Abschied à pleurer. Et c’était également refaire signe à Deleuze, au boyau obscur, aux guêpes sans orchidées, aux flammes d’un corps qui meurt quand la vie continue, lui accrochant quelques "gratterons" récalcitrants. L’enfer de la philosophie, c’est sous le soleil de Satan, le soleil noir qui joue en-dehors des orbes de Platon, le noir de Vermeer qu’on traverse comme une poussière, la seule, lumineuse sur le plan du visible et qu’on ne peut sans doute pas ne pas voir. L’enfer est l’expérience sans lunettes de cette minutie qui scrute les brindilles et les insectes sectionnés, une pluie de sauterelles dont la nuée occulte l’astre en un arc-en-ciel de peintre et d’écrivain. Des écrivains comme Conrad pour sonder le cœur des ténèbres, des poètes comme Mallarmé quand les dés qu’il lâche sont ceux de la chute, de la descente vers la matière des mots devenus images denses et sombres. Ouvrir à la philosophie son enfer, cela laisse résonner un voyage dans les tourbillons de Poe, miné par son delirium, un maelström soigneusement perturbé par Riemann, ce mathématicien fou qui voit sous l’espace d’autres espaces, espèces d’espaces redorant l’art de compter par la magie de raconter. Et dans cette chute, dans cet abyme qui nous abime, comment ne pas rendre la parole aux paumés, aux os qui craquent dont ne restent que les ossuaires anonymes, ceux qui ont plongé dans les sourires de la terre, y laissant des reliques à réenchaîner comme le beau nom de Kierkegaard qui veut dire cimetière, jardin de l’église, cime creusée pour des uniques, vous, moi, cette herbe à la Whitman, cette fourmis sur le mur de pierre qui ne reviendra jamais. Donc oui, Enfer de la philosophie est cette odyssée immune aux terres placées derrière le mur, aux dunes sauvages du désert quand les pas de Dante deviennent ceux d’un autre. Et que nous dirait la littérature, si n’était une telle aventure ? Que lire d’autre d’ailleurs dans l’envahissement soporifique du marché aux histoires drôles ?
JCM
Editions Léo Scheer.
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