(Image du très beau site sur Derrida
http://www.jacquesderrida.com.ar/frances/frances.htm )
La mathématique tourne au bord du vide. Zéro est son point indécis sur la faille duquel s’impose l’émergence principielle du « 1 » encore neutre. Mais Derrida ne s’intéresse pas tant à ce fracas du vide qui va orienter la refondation du platonisme telle que Badiou la réamorce magistralement. Derrida s’intéresse, en lisant Husserl, au pas, à la métrique de la géométrie qui s’appuie sur un rythme morcelé, un magma préalable aux nombres. Comment assigner finalement à une rythmique le premier coup dont, à la façon du cœur qui bat ou se transplante, il n’y a pas de primauté à entendre ?
Le rythme du cœur ne commence pas de façon nette et on pourra dire d’une série numérique que le premier point qu’elle nombre n’est premier que par contrecoup et relativement à un second point qui permet de lui donner cette place comme en « troisième lieu ». Imaginons que nous n’ayons pas d’autre nombre que « 1 ». Comme un nombre n’est qu’un relatif, seul, il perdrait son statut principiel et "1" ne serait "1" de rien du tout. Il ne devient premier que par rapport au supplément "2" qui doit le suivre et le fonder en retour, dans un contrecoup surplombant, un écho reléguant l’unité originaire comme en troisième lieu et pour ainsi dire après le "2". L’origine de l'ensemble des nombres est affectée d’une boucle singulière qui interdit de poser son point en la substantialité de l’Etre, redevable de ce que Badiou appellerait un choix axiomatique. On y reconnaîtra comme une opération cardiaque disséminée qu’on pourrait appeler "tiercéité" pour reprendre le mot de Peirce nous reconduisant vers une origine qui n'est pas d'origine. Un se trouve supplémenté par deux sans lequel il ne serait pas "un", ne l'étant qu'en excroissance et de façon surnuméraire. C’est donc bien après le deux, en tierce position qu’on pourra affirmer sa primauté. Et c’est de cette manière que Derrida comprend l’intéressante proposition de Husserl dans sa manière d’envisager toute fondation comme une fondation en retour ou, mieux, une fondation en boomerang.
Hegel d’une certaine manière avait déjà compris qu'on ne débute qu'en clarifiant le magma du multiple ou comme il dit encore par un résultat ne commençant qu’à la fin ainsi que le montre la figure du cercle (Le "un" n'est pas "un" sans son autre que désigne le "aussi" dit-il dans la Phéno, "aussi" multiple sans lequel il ne saurait se boucler sur soi). Cette origine frelatée de la géométrie, affectée d’une différence originaire, ce débordement de l'ontologie logique dont elle procède donnera à Derrida l’occasion de parler d’un « retard originaire » qui n’est pas le propre de la géométrie -ni du Zéro qui fait ensemble vide dans lequel 1 peut surnager et se multiplier- mais se révèle en ce que la géométrie est d’abord une écriture, une trace de quelque coup de crayon dans le sable auquel manque l'Etre: écriture sans origine ni corrélation originaire, ce qui conduira Derrida, à la suite de Heidegger, à barrer le verbe Etre au profit de l’événement erratique quand Deleuze en parlera à son tour comme d'un extra-être. Il me vient à l'esprit que l'événement, qui ne ressortit pas à l'ontologie des nombres, était donc un concept déjà très abouti au moment où sort L'être et l'événement, livre donné pour magistral mais où il n'est jamais question cependant de Derrida ni de Deleuze qui ont redonné ses lettres à un concept pas très en vogue dans le contexte généraliste du structuralisme. De L'être et l'événement donc, relooké en aparté par Badiou dont nul pour autant ne doutera de l'importance véridique.
J.-Cl. Martin
Très intéressant, brillant et inédit. Comme je le disais en vous citant, les mathématiques sont "un plongeoir"...depuis lequel on peut aller au fond des choses.
RépondreSupprimerL' "évènement" dont il est question dans votre article, pourrait s'identifier à un "changement", je veux dire à une "opération" dont l'ensemble des nombres se voit muni. En algèbre fondamentale, on parle de Magma, comme de Monade, lorsqu'un ensemble n'est pas encore muni d'opération "opérante". Rien n'existe et n'est encore moins identifié "de façon nette" (élément neutre, unité, multiple) dans ce chaos.
C'est effectivement "après coup", une fois que l'opération est opérante, pour le sujet qui la décrète, une fois que 0 et 1 opèrent et sont élément neutres, unité etc...tandis que les autres s'avèrent et sont multiples. Comme déjà évoqué au sujet de votre texte. J'insiste sur l' "après coup" ie: "après opération/évènement".
Le passage clé, à mon sens, de cet article est:
" (...)Hegel d’une certaine manière avait déjà compris que l’origine est une construction du multiple ou comme il dit encore un résultat ne commençant qu’à la fin ainsi que le montre la figure du cercle (Le "un" n'est pas "un" sans son autre que désigne le "aussi" dit-il dans la Phéno, "aussi" multiple sans lequel il ne saurait se boucler sur soi). Cette origine frelatée de la géométrie, affectée d’une différence originaire, ce débordement de l'ontologie logique dont elle procède donnera à Derrida l’occasion de parler d’un « retard originaire » qui n’est pas le propre de la géométrie -ni du Zéro (...)"
Remarque: si effectivement (A x 1 = A) pour tout nb A, (A x 0 =0) pout tout nb A !
Le zéro qu'on peut faire correspondre hâtivement à "une origine", et également à "rien" car (A + 0 =A), est peut être ds le même temps la fin de tout nombre pour la multiplication (A x 0 = 0).
Je parle ici dans un cadre dépassant celui des maths...
À creuser...
J 'ai rencontré Derrida à Kyoto en 1984 ou 85. je ne connaissais rien de sa philosophie mais tout en l'écoutant s'est dessinée dans ma tête une ligne qui n'avait plus de limites ni début, ni fin et soudain ses propos m'ont semblé limpides.
RépondreSupprimerGlorieux lasso, Gorilla girl.
Je pense a la boucle de retroaction qui fait que c'est bien l'effet qui determine la Cause. A cet effet la Cause n'apparait necessaire, que du seul fait que dans certaines conditions il lui est impossible d'avoir lieu. Je pense au Symptome comme nouveau Sujet dans le registre Lacanien : Pour un profane est il possible de considerer que l'angoisse peut amener a un changement ou l'invocation ne peut en soi rien changer a l'affaire. Cordialement Alain Monier
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