
Ces questions concernent au moins
trois instances: les praticiens du design, les théoriciens du design et, «last
but not least», ceux que Lacan aurait appelés non sans une pointe de mépris
larvé, les «astudés» du design, soit tout ceux (ou plutôt toutes «celles» car il
s’agit majoritairement de jeunes filles ou jeunes femmes — ce qui soit dit
en passant gagnerait à être en soi interrogé) qui font des études dans le
design, sans omettre bien sûr celles et ceux qui ont fonction de cet
enseignement. Il se trouve que l'institution scolaire française a rendu
possible l’heureuse et légitime rencontre entre le design et la philosophie. Au
reste, il y aurait beaucoup à dire sur ce qui présidât à cette
interdisciplinarité et sur les raisons profondes qui permettent que designers
en herbe et apprentis philosophes parviennent à se contaminer par le meilleur.
Pour notre part et pour l’heure, nous nous contenterons de remarquer que
nos deux disciplines sont pour ainsi dire «tout terrain» ou qu’elles n’ont pas
de territoire fixe a priori assigné, ce sont deux façons d’être au monde en
général et à l'enseignement en particulier qui impliquent d’avoir un goût
établi pour l’aventure conceptuelle, ce qui suppose que nos identités
respectives ne soient jamais vraiment assurées d’elles-mêmes, cet inconfort
constitutif faisant à la fois notre force et notre essentielle fragilité. Alors
quand on s’intéresse au design, et cette fois que ce soit en spécialiste ou en
amateur, il arrive toujours un moment où on veut savoir de quoi il retourne en cette
affaire, et pour satisfaire à cette juste exigence, il n’est pas encore devenu
complètement inutile d’avoir sous la main cette pas si vieille chose qu’on
appelle un livre, un ouvrage qui enfin fasse le point sur la question ou, tout
au moins, qui nous permette d’y voir un peu plus clair dans ce que nous faisons
et disons quand de design il est question dans notre vie. Cet éclairage
est l’un des bénéfices manifestes procurés par la lecture du dernier travail de
Pierre-Damien Huyghe qui poursuit ce faisant un chemin de pensée entamé avec «Art
et industrie. Philosophie du Bauhaus», ouvrage quasiment pionnier qui
allait frayer la voie à d’autres études touchant de plus ou moins près le
design.
L’opus qui présentement retient
notre attention s’intitule significativement À quoi tient le design., sans point
d’interrogation, la précision est d’importance, elle mériterait bien sûr pour
elle seule un long commentaire, et nous aurons à revenir sur ce choix. Si le
titre d’un livre se doit d’être particulièrement soigné, autrement dit bien
pensé, c’est qu’idéalement le titre — que ce soit pour un livre ou pour tout
autre production de l’esprit — enveloppe dans sa lettre les enjeux de ce
microcosme qu’est un livre dont tous les chapitres déplient les multiples dimensions.
«À quoi tient le design» est un livre attendu dans tous les sens du
terme «attendu». Il existe bien sûr en langue française des travaux qui
s’intéressent au design, des productions livresques d’inspiration philosophique
ou autre dont le bien fondé n’est pas toujours évident, car si le design fait
parler il fait aussi pas mal écrire et parfois, hélas, pour ne pas dire grand
chose. Alors on peut se dire qu’enfin voilà un livre qui va faire
vraiment le point sur la question, enfin un travail dont la pertinence
conceptuelle ne laissera pas à désirer. Ce livre, qui représente
l’aboutissement de nombreuses années de recherches et d’enseignements mêlés, devait, pour le moins, remplir pleinement une promesse philosophique qui
peut tenir en trois points: 1) un questionnement rigoureux qui ne sacrifie pas
à une forme de mièvrerie philosophique, de celle qui rassure et berce au lieu
d’éveiller et même, pourquoi pas?, d’inquiéter le lecteur 2) de patientes
analyses conceptuelles qui débouchent sur un engagement en terme de thèses
fortes assumées sans compromis 3) enfin, et cela n’est pas un luxe, une qualité
d’écriture qui conjugue, un peu comme c’était le cas chez nos classiques,
l’élégance du phrasé, la clarté d’exposition de la pensé avec une absence de concession
quant à la profondeur conceptuelle, sans pour autant renoncer, quand cela
s’avère absolument nécessaire, à des formulations qui requièrent une attention
accrue de la part du lecteur. Autant le dire tout de go, sur tous ces points,
le lecteur ne sera pas déçu. À quoi tient le design offre une
ample synthèse des problématiques afférentes au design telles que Pierre-Damien
Huyghe les aborde depuis quelques temps: des positions théoriques consistantes
sont avancées, le tout dans une langue qui se tient à égale distance du
salmigondis et du prêt-à-penser ou du prêt-à-lire. Si le terme ne faisait si
peur aujourd’hui, on aimerait dire qu’il s’agit d’un "livre-somme" qui permettra
à l’étudiant, à l’enseignant et à l’honnête homme de voir un peu mieux de quoi il
retourne avec cette affaire de design. Mais parler d’une somme laisserait
faussement entendre qu’on tient là un propos définitif qui clôt les questions à
la manière dogmatique; comme si pour avoir une juste entente du design sous
l’angle de la philosophie, il n’y avait plus qu’à se reporter à cette référence
bêtement portée à l’absolu pour y trouver la réponse à la question qu’on se
pose; une suspecte bible de philosophie sur le design en quelque sorte.
Or si le livre s'accommode d’une
quelconque autorité, ce n’est pas en ce qu’il neutraliserait les problèmes en
les réglant une fois pour toute. Certes, il convient de le répéter, ce livre ne
verse jamais dans la complaisance conceptuelle — expression qui frise la «contradictio
in adejecto» —, l’engagement de l’auteur y est manifeste, mais le même
auteur sait aussi faire place à la saine inquiétude qu’on évoquait plus
haut, celle qui maintient vive la pensée en l’ouvrant à la reprise, à sa
relance inventive dans la discussion raisonnée. Aussi, si «À quoi tient le
design» ne peut s’identifier à un «terminus ad quem», cela
vient autant de sa forme que de son esprit, cela vient, c’est le cas de le
dire, de sa conception ou de son design, d’où un surprenant accord de la forme
et du fond, de la chose et des mots, accord sur lequel il importe de s’arrêter
un instant.
À l’évidence, ce n’est pas un
livre de philosophie tout à fait comme les autres, en ce sens qu’il invite le
lecteur à un mode de lecture qui ne sacrifie pas, qui ne sacrifie plus
exclusivement au mode linéaire habituel. Il s’agit par conséquent d’un objet
fibreux, massif et raffiné, animé d’un mouvement de percolation parallèle à sa
facture plus convenue à laquelle il n’est pas fait adieux; tout se passe comme
si le livre ne nous imposait pas une seule et unique modalité de lecture mais
au moins deux. C’est ainsi un livre qui «laisse vraiment» le
choix, une sorte d’objet pour la liberté en quelque sorte, et non seulement la
liberté de lire. Comme l’écrit l’auteur: «certes la composition linéaire
n’est pas abandonnée. Pour autant, elle n’est pas imposée.»
C’est un livre de philosophie du
design qui commence par une réflexion sur ce qu’est lire aujourd’hui et qui,
dans ces conditions, tient compte des dispositifs de lecture plus ou moins
nouveaux en usage à l’heure où le milieu numérique dans lequel nous baignons
redistribue autrement les manières de se rapporter à un texte ou plutôt à du texte,
à quelque chose comme du texte. Dans cette perspective, avec «À quoi tient
le design», nous n’avons plus exactement affaire à un livre mais à «un
ensemble de textes qui regarde a priori les évolutions actuelles comme une
chance».
Il s’agit en quelque sorte d’un
livre borgésien qui doit s'appréhender comme un «jardin aux sentiers qui
bifurquent», un livre dans lequel il faut prendre le beau et délicieux risque
de se promener en étant certes attentif — c’est un minimum — mais encore, en
étant en l'occurrence disponible à tout ce qui suggère la
prolifération du sens, sa reprise à un autre endroit du même livre, son
renvoi pour d’autres stimulantes bifurcations. Ainsi que le confesse
volontiers l’auteur, son dernier livre représente une tentative qui invite à
«une lecture numérique, sans le numérique.» Et le tour de force du côté auteur
et concepteur d’une telle chose, c’est de permettre au lecteur d’évoluer dans
un espace constitué d’échos conceptuels sans jamais s’y perdre. À aucun moment
de la lecture on ne doute qu’il s’agit bien d’une matière textuelle de part en
part à la fois traversée et portée par un focus de questions aussi essentielles
que connexes touchant ce que nous essayons de faire lorsque nous faisons de la
philosophie non par sur le design mais avec lui, cet «avec»,
ce partenariat singulier n’excluant pas les points de tangence voire de
divergence qui nous préservent d’une harmonie un peu trop vite établie portant
en germe la sclérose de nos disciplines respectives. C’est qu’il est parfois
nécessaire de faire de la philosophie contre le design, tantôt tout contre le
design, ajointée à lui et comme collée à lui mais jamais fondue en lui; tantôt en
objectant au design ou, tout du moins, à un certain design des arguments qui en
font une sorte d’adversaire digne d’être combattu, si tant est que, comme
l’affirme non sans malice Pierre-Damien Huyghe: «Tout ce qui pousse au nom du
design n’est pas nécessairement bon à prendre.»
De tout cela, soit des
diverses modalités de notre commerce avec le design, il est aussi question dans
ce drôle de livre. Mais ce qui fait la marque
significative de ce travail, c’est bien sûr son traitement philosophique de
problèmes spécifiques au design. On en mentionnera quelques uns, presque
donnés tels quels au hasard: le rapport non-évident entre l’art et l’industrie,
la question très ouverte de la responsabilité du designer, les rapports plus
complexes qu’il n’y paraît entre forme et fonction, la question de savoir si la
catégorie «d’usager» convient bien à notre
rapport au design, etc. Ceux-ci sont abordés avec un appareil conceptuel
principalement emprunté à une remarquable tradition qui va d’Aristote à Walter
Benjamin en passant par des auteurs comme Diderot ou l’incontournable Rousseau,
ce grand provocateur de la pensée (pour ne pas parler de l’opiniâtre lecture
des propos tenus par les designers aux-mêmes, au premier rang desquels il faut
au moins citer Lazlo Moholy-Nagy, Frank Lloyd Wright ou Louis Sullivan). Ce
n’est pas que Pierre-Damien Huyghe bouderait nos contemporains, il sait faire
grand cas, si la chose même le requiert, par exemple, de tel opus de Giorgio
Agamben, des travaux de Bernard Stiegler ou d’auteurs moins prisés voire moins
connus des philosophes comme l’historien Siegfried Giedion dont le livre La
mécanisation au pouvoir représente un jalon décisif pour qui veut
comprendre le monde dans lequel nous sommes désormais. Toutefois, preuve est
donnée que, si l’on en doutait encore, pour faire de la bonne philosophie
appliquée, point n’est besoin de priser les auteurs à paillettes, une lecture
inspirée revisitant son Aristote peut parfois amplement suffire à produire de
la consistance conceptuelle. En procédant de la sorte, c’est-à-dire en relisant
ce qu’il faut bien appeler «les grands auteurs» pour y trouver la matière
philosophique suffisante à penser le design, Pierre-Damien Huyghe non seulement
montre une fois de plus que les forces vives d’un certain classicisme
philosophique n’ont rien perdu de leur actualité (au sens aristotélicien du
mot) et qu’en outre, par là même, cet usage alerte de la tradition reste le
meilleur moyen pour éclairer tous les champs de ce qu’il n’y a pas si longtemps
on appelait encore «les arts appliqués»: architecture, objet, textile, univers
numérique, graphisme, urbanisme, industrie et marketing, etc., tout ce qui
concerne au premier chef ou secondairement le design est digne de la plus
scrupuleuse attention. Chemin faisant, l'auteur procède à une mise au concept
de notions ou de couples notionnels originaux tels que: conduite/comportement,
vif/vital, «fierté esthétique» (le genre de concept qui donne immédiatement
envie d’en savoir davantage à son sujet), attitude, milieu technique,
appareil/instrument, apparence et paraître. En travaillant ainsi la langue, ce sont aussi des concepts plus
marqués par la tradition que l’auteur entreprend de penser aux frais de ce
qu’exige notre époque. Qu’on s’arrête à cet égard sur ce qu’il écrit du
politique, de l’économie, de la croyance, de la liberté, de concepts
techniquement délicats comme «possible», «forme», «modalité» ou encore
«générosité», sans bien sûr négliger ce qu’il en est de l’esthétique, de la
technique ou de l’art. On fera cependant une mention toute particulière aux
analyses qui touchent à la question du temps, cette croix de la philosophie,
surtout dans un ensemble de textes qui a priori, étant donné leur sujet,
devraient accorder une place plus insigne aux questions d’espace; non pas
évidemment que la spatialité soit traitée cavalièrement, loin s’en faut, mais
il convient vraiment de méditer ce qui y est pensé concernant notre
être-pour-le-temps, principalement la façon dont l’auteur fait un sort
conceptuel à ce qu’on appelle le «rythme».
En lisant «À quoi tient le
design», on pensera plus d’une fois à la célèbre injonction de
Spinoza qu’on trouve au § 4 du chapitre I du «Traité politique», et
qui nous enjoint « à ne pas tourner en dérision les actions des
hommes, à ne pas pleurer sur elles, à ne pas les détester, mais à en acquérir
une connaissance vraie ».
On décèle d’emblée chez
Pierre-Damien Huyghe, dans le ton qui est le sien, une sobre neutralité qui
peut aller parfois — en fait très rarement mais assurément — jusqu’à frôler
l’austérité, ce qui lui évite de verser dans l’ingénuité qu’on peut observer
dans certaines lectures dites philosophiques du design aujourd’hui. Cette
neutralisation des affects aveuglants trouve cependant sa limite dans une forme
de joie, elle aussi tout en mesure, une joie qu’on dirait parcimonieuse, assez
spinoziste elle aussi en son fond, qui indique comme un amour pour l’objet pris
en considération et même au-delà de cet objet — le design —, une sorte de
gratitude conquise à l’égard du monde tel qu’il nous apparaît, avec toujours
cette exigence tout autant théorique que pratique pour «faire place» à «une
autre solution, une autre façon de consister et d’être vifs.»
Car en philosophant non pas
exactement sur le design mais bien, comme on l’a dit, «avec lui» voire contre
lui, en pratiquant ce juste réglage en quoi consiste le travail théorique,
Pierre-Damien Huyghe ne nous éveille pas seulement aux grandes questions du
design d’hier et d’aujourd’hui (ce qui de toute évidence est déjà beaucoup), il
décille de surcroît nos yeux sur rien moins que le monde ambiant dans lequel au
quotidien nous vivons. S’interroger au sujet de telle paroi de verre,
réfléchir à la sémantique des logos, des tags et des graffs, porter son
attention à tel objet ménager (ainsi, le grille-pain ou l’appareil photos), et on en passe, qu’est-ce
faire finalement, si ce n’est s'engager en philosophe dans ce qui fait un
aspect essentiel du réel pour nous aujourd’hui? «S’engager en philosophe» veut dire ici retrouver par les chemins de traverse du design des
interrogations qui tendanciellement concernent tout le monde, ainsi celle qui
demande ce qu’est adopter une conduite digne aujourd’hui quand beaucoup est
fait pour précipiter la chute du cours de la dignité humaine: quelle forme
d’urbanité pour nous à l’âge de l’accélération et du tout signifiant? Que faire
du principe de précaution quand, via Aristote, on s’aperçoit que la prudence
vaut mieux que ladite précaution? Ou, plus classiquement encore, qu’est-ce
qu’être un sujet, qu’est-ce qu’exister en sujet à l’heure où nos fibres
nerveuses trempent ordinairement dans un bain de sollicitations sémiotiques qui
électrisent autant nos corps que le fond de notre psyché? Voilà le genre de
questions dont, pour certaines, les attendus sont franchement métaphysiques,
qui, à travers les noces du design et de la philosophie, ne peuvent manquer
d’interpeller tous les citoyens-consommateurs de notre planète non encore
anesthésiés ou en état d’hyperesthésie mais simplement esthétiquement
disposés au monde. N’avons-nous pas tous à nous loger, à nous vêtir, à utiliser
au moins un appareil électronique? Chacun d’entre nous n’emprunte-t-il pas les
autoroutes, voit à défaut de les observer des panneaux routiers, déambule dans
des espaces urbains saturés de signes? Bref, personne ne peut passer au-dessus
de son époque et, dans ces conditions, une philosophie du design n’est pas
qu’une branche spécialisée et un peu exotique, presque «fun», de la philosophie
contemporaine, elle est aussi bien une voie d'accès privilégiée à ce qu’une
noble tradition philosophique appelle notre «être-au-monde».
Pour finir cette présentation, on
ne peut pas ne pas dire un mot bref sur le titre tout de même étonnant du
livre. Ce titre, À quoi tient le design, lorsqu’on le laisse
raisonner dans sa tête, comme il faut le faire avec tout titre qui ne s’épuise
pas en vaine accroche rhétorique, ce titre rend un son troublant car il semble indiquer
au moins deux directions possibles ou deux tonalités situées aux bords extrêmes
de la gamme. D’un côté, par le haut si on veut, il a l’air d’imposer quelque
chose comme une certitude, peut-être même une vérité, la vérité du design
précisément, au sens où celui-ci serait cette chose qui tient, qui endure une
consistance idéalement à toute épreuve; le design, si on le prend par ce côté,
c’est du solide, ça marche, ça n’a peut-être jamais aussi bien marché, la
tendance est au design et, soit dit en passant, à la philosophie aussi, la
philosophie n’a jamais été aussi tendance, n’a jamais occupée autant de
terrains. «Ne pas rire, ne pas pleurer, comprendre». De l’autre côté, par le
bas donc, ce titre laisserait entendre que le design ne tient qu’à un fil,
qu’il ne tient peut-être même à rien ou à presque rien, qu’il frôle pour le
coup l’inconsistance, toujours menacé de sombrer dans divers travers et
compromissions fatales; un fil qui serait à l’intersection d’autres fils,
ceux-ci plus robustes que lui, moins fragiles, car moins soucieux de la beauté
possible du monde usiné par les hommes. On pense à ces fils en forme de câbles
prévus pour résister à toute épreuve dans la mesure où, de l’épreuve, ils ne
veulent connaître que les bénéfices, on songe notamment au marketing et à ce
Marx déjà appelait «la grande industrie», et là aussi la remarque est
réciproquable avec le devenir actuel de la philosophie.
Il reste que le design tient,
qu’il est en son essence cette tension même. Comme on l’apprend pour la
physique stoïcienne, il y aurait comme un «tonos» du design
constitutif de son acte de naissance. Quant il eût à faire sa place, tiraillé
qu’il était (il l’est toujours) entre art, industrie et économie, il lui
fallait bien cette force interne qu’il emprunte aussi paradoxalement à ses
proches, faisant de lui — et derechef de
la philosophie – une activité originellement impure . Le design, donc, tient et
nous tenons à lui comme on espère qu’il tient à nous, comme la philosophie nous
tient elle aussi d’une autre façon et nous maintient dans l’éveil pour les
choses que la fabrique des hommes laisse venir à la présence. Il ressort de
cette dernière remarque que design et philosophie sont comme tissés, tramés de
fils à hautes tensions qui les fournissent en énergie créatrice autant qu’ils
mettent en danger leur identité différentielle. Il ressort encore de tout cela
que lorsqu’on fait de la philosophie et du design, a fortiori
quand on s’évertue à se maintenir sur la fragile frontière qui les ajointe, à
la suture des deux matières, il n’est précisément que de tenir, de savoir se
tenir et qu’on trouve là sans doute «la grande santé» du designer et du
philosophe.
Olivier Koettlitz
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