samedi 29 novembre 2014

Jacques Derrida, Jean-Luc Nancy, deux intrus, deux hommes de lettres ? (Pierre-Philippe Jandin)




S’interroger sur l’intrusion et l’intrusif, sur la présence peut-être sans figure de l’intrus, nous conduit nécessairement à remettre en jeu les notions d’identité et de propriété, à revenir sur la pertinence des oppositions conceptuelles entre intériorité (voire intimité) et extériorité, propre et impropre, etc.. On pense bien sûr « spontanément » au livre de Jean-Luc Nancy, L’Intrus, dans lequel il énonce « une loi générale de l’intrusion : il n’y a jamais eu une seule intrusion : dès qu’il s’en produit une, elle se multiplie, elle s’identifie dans ses différences internes renouvelées »[1]. Mais s’ identifier dans des différences, se disséminer, en fait, c’est se soustraire à toute présence. Cet évanouissement inquiète, d’origine, notre discours, dès que le parricide a été perpétré par l’Etranger (Xenos) dans cette scène primitive qui avait retenu l’attention de J. Derrida : «  Sans l’irruption violente, contre la vénérable et paternelle figure de Parménide, contre sa thèse de l’unité de l’être, sans l’intrusion irruptive de l’autre et du non-être, du non-être comme autre dans l’unité de l’être, l’écriture et son jeu n’aurait pas été nécessaire. L’écriture est parricide »[2]. C’est donc l’étranger, reçu avec hospitalité par Socrate et ses amis, qui introduit la question de l’altérité, dans son ambiguïté constitutive qui entame le discours philosophique et va obérer la tradition métaphysique occidentale jusqu’à nous ; s’agit-il de l’autre du même, auquel il reviendra ( selon la loi d’une « économie du revenu »[3]) ou bien une altérité ab-solue à laquelle notre pensée est exposée comme à quelque chose pour quoi les noms nous manquent ?
       On comprend qu’une réflexion sur la pensée intruse ou intrusive engage une réflexion sur la notion de limite, à la limite, à la fin, sur le seuil. Parler de différence, de coincidentia oppositorum ou de relève dialectique suppose toujours une pensée de la dé-finition, de la limite et de sa transgression ; tout ce poids conceptuel semble se concentrer dans la discrète conjonction et, marque d’une coordination qui a entériné au passage une disjonction acceptée (inclusive ou exclusive). Ainsi quand on parle de littérature et de philosophie, de quoi est-il question ? De deux manières de penser et/ou d’écrire ? de deux genres ? de deux styles ? de deux désirs différents qui se fascinent l’un l’autre, celui de la fiction et celui de la vérité qui ont pu, par exemple, s’afficher, selon l’époque, comme tension entre mythos et logos, entre Dichtung et Wahrheit ? Et comment cet écart – éloignement et proximité à la fois – entre littérature et philosophie, voire une volonté d’hégémonie de l’une sur l’autre, ouvre-t-il une pensée de l’infini ou expose-t-il la pensée à l’infini ? A notre charge de préciser les variations sur le fini ( le limité, le parfait, l’achevé ou l’inachevé ) et par là même la portée du préfixe négatif où se joue le sens de l’infini.
       Ces questions pressantes nous mènent « sur le seuil de Jean-Luc Nancy et de Jacques Derrida ». Le seuil est la traduction française du latin limen ( et comment, pour un lecteur de Derrida, ne pas entendre l’ « hymen » dans limen ? ), proche de limes : le sentier qui sépare deux champs, la trace, la frontière. L’étymologie de « seuil » toutefois est solum, le sol et plus précisément la pièce qui forme la partie inférieure de la baie d’une porte, le pas de (la) porte. Mais sur qui ou sur quoi cette porte donne-t-elle ? à qui ou à quoi, par force ou par ruse, s’ouvre-t-elle ? Comment qualifier ces deux hommes, J. Derrida et J.-L. Nancy ? Aucun des deux ne se reconnaitrait comme auteur animé d’un vouloir-dire qui prendrait la forme d’un opus ou d’un corpus, espérant rédiger un livre  qui se présenterait comme l’achèvement d’un savoir. Ce ne sont pas des écrivains qui cultivent « les  lettres », c’est-à-dire, pour reprendre la définition du Dictionnaire de Trévoux[4], « les belles lettres, la grammaire, l’éloquence et la poésie » ; on disait encore naguère : « faire ses humanité »[5], quand on se formait par l’étude des langues grecque et latine et la lecture des « grands » auteurs. Cette expression condensait à sa manière l’esprit de cette « vision du monde » que fut l’humanisme né de la Renaissance et dont notre époque constate la ruine. On ne saurait dire non plus que Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy sont des hommes du livre, pour une raison fondamentale que ce dernier penseur précise très exactement au sujet de notre modernité : «  Il n’y a plus le Livre ( Je ne dis pas : « il n’y a plus de Livre », car il y en a, certes, tout autant qu’il y a service divin, en chaque temple, église, synagogue ou mosquée ; mais je dis qu’ il n’y a plus le Livre, ainsi qu’on devrait le savoir depuis Mallarmé et Joyce, Blanchot et Derrida ). Ce n’est pas en vain que le texte a proliféré, s’est disséminé et s’est fragmenté en toutes nos écritures. L’écriture que nous pratiquons, qui nous oblige et qui nous est in-finie, n’est pas, en aucune façon, la relève de l’Ecriture »[6]. Ce geste d’écriture, en tant que praxis de la pensée, est la réponse au retrait du divin ( des dieux ou de Dieu ), l’expérience et l’épreuve d’un impératif dont l’insistance est infinie.
       Il y a toujours plus d’une écriture ( « nos écritures », dit J.-L. Nancy ), plus d’une déconstruction, plus d’une différance ; cette pensée du texte comme réticulation de traces, comme jeu de forces, comme agonistique toujours relancée, est présente dans l’ensemble des travaux de nos auteurs. Leurs styles peuvent différer mais l’un et l’autre s’écartent  d’une certaine naïveté qui espérerait rompre « simplement » avec la métaphysique ou sortir de sa clôture, s’il est vrai qu’on ne peut contester le système ni en retournant  contre lui les concepts qu’il a forgés ni en feignant de les ignorer. D’où la nécessité, pour s’expliquer avec la philosophie occidentale – dont Hegel est généralement tenu pour la figure emblématique –d’une autre stratégie : une répétition déplacée, oserions-nous dire ; il ne s’agit pas d’ « apporter la contradiction » mais d’engager une autre écriture. Ce que demande très précisément J. Derrida dans l’un de ses premiers « textes », intitulé justement « Hors livre. Préfaces », qui ouvre La Dissémination : « Il n’y a pas de « concept-métaphysique ». Il n’y a pas de « nom-métaphysique ». La métaphysique est une certaine détermination, un mouvement orienté de la chaîne. On ne peut lui opposer un concept mais un travail textuel et un autre enchaînement »[7]. En ce lieu Derrida nomme « écriture » -les guillemets sont de lui- « ce qui critique, déconstruit, force l’opposition traditionnelle et hiérarchisée de l’écriture à la parole, de l’écriture au système (…) de tous ses autres »[8] ; cette tension de la concaténation jusqu’à la rupture, ce désir d’être « déchaîné », délivré des liens  de la structure de signification  dont la décision entame d’origine le discours philosophique, caractérisent le brouillage même de toute relève spéculative que produisent les « mots » ou les « concepts » de J. Derrida (différance, supplément, trace, pharmakon, hymen, etc.)[9], dont aucun n’eut jamais dans son travail « un rôle « fondamental ». Et pour cause »[10]. L’enjeu ne fut jamais en effet de fonder une méthode, d’assurer une position, autant d’attitudes propres au système contesté, mais bien plutôt de tenter des « coups de main », des intrusions toujours en mouvement. En cela J. Derrida et tout aussi bien J.-L. Nancy sont des hommes d’écriture[11], même si leurs tactiques diffèrent. En évoquant plaisamment un souvenir de son enfance algéroise, J. Derrida propose de préciser ainsi ce qui les distingue : «  … quant à la question d’une différence possible entre Jean-Luc et moi, différence qui est moins (…) une différence de position ou de thèse philosophique qu’une différence dans la façon de faire, dans  la manière, une différence de corps justement, de chair, de style, de geste, mon sentiment, c’est que moi, je me trouve devant la tradition avec tous ces mots-là comme une mouche qui aurait compris le danger »[12]. L’immense péril – le ruban de papier enduit de miel – c’est la tradition, « ces grandes choses, ces grands thèmes, ces grands concepts, ces grands problèmes, qui ont noms sens, monde, création, liberté, communauté, etc ? »[13].  J. Derrida s’en détourne, les fuit, Jean-Luc Nancy les « retraite de façon incomparable ». Qu’est-ce à dire ?
       J. Derrida opère par une sorte de « parasitage » des textes. Le mot pourrait sembler indélicat si on ne le trouvait pas sous la plume même de l’auteur pour qualifier sa situation par rapport à un texte particulier : la correspondance échangée entre J.–L. Nancy et Simon Hantaï en accompagnement des « travaux de lecture » de ce dernier, c’est-à-dire le copiage l’un sur l’autre de textes  de J.-L. Nancy  et de J. Derrida[14]. Ce dernier, invité à accompagner[15] cette entreprise, rédige une lettre qui constate l’impossibilité de toute immixtion entre les deux amis : « Nonobstant l’intimation, et malgré l’apparence, je préfère rester dans mon coin. Le coin, ça me connaît ». Et un peu plus loin : « Même si je voulais faire intrusion, pour témoigner, ce serait trop tard. Vous me le demandez, douce et discrète intimation, mais c’est trop tard. »[16] Il reste que, s’il est trop tard pour faire intrusion, c’est que l’intrusion a déjà eu lieu. Dans l’après-coup d’un post-scriptum, J. Derrida le reconnaît, selon nous : « PS. : Bien sûr, malgré la gêne du tiers, du témoin ou de l’intrus (tout le monde l’aura compris, depuis longtemps, l’intrus, c’est moi), malgré la honte du parasite ou du voyeur, je sais que si je n’étais pas tout à fait absent, je le rappelais à l’instant, eh bien, cette correspondance à laquelle je n’ai point pris part, je me demande si elle aurait eu lieu. Elle n’aurait pas été ce qu’elle est si vous ne m’aviez pas supposé « ailleurs », alibi, voyeur en voyage, distrait ou comme mort. D’où mon trouble »[17]. D’où notre trouble, car nous constatons qu’ « ailleurs » ne se trouve nulle part, ou que c’est « un coin ». Or « être au coin » n’est pas –seulement- une localisation, mais une manière d’exercer un regard « en coin », sans être vu ; J. Derrida le dit nettement dans le corps « décousu » de sa lettre : « (…) Donc, en répondant sans vraiment correspondre à l’intimation, je ne me présenterai pas. Je resterai à vous regarder faire dans un coin ( et déjà, je lorgne sur ces mots – dans mon coin ). Puis cette lettre sera proprement, aussi proprement que possible, décousue »[18]. Lorgner ou loucher, c’est regarder d’une certaine façon et même « avoir des vues », car le désir peut s’en mêler, sur quelque chose ou sur quelqu’un[19].
       Il reste que le coin est aussi et d’abord une pièce de bois ou de fer destinée à fendre un matériau ou encore un morceau d’acier gravé en creux qui sert à frapper monnaies et médailles, une empreinte, une marque, un sceau. On se rappellera ici la typographie et la topographie de la feuille dont pouvait disposer chaque participant aux deux séances des 26 février et 5 mars 1969 du « Groupe d’Etudes théoriques », publiées sous le titre « La double séance » dans La Dissémination[20] : J. Derrida insère en coin ( ce qui est aussi le nom d’une formation de bataille ) un texte « littéraire » de Mallarmé, « Mimique »[21], dans un texte « philosophique » de Platon, un extrait du Philèbe (38a-39a, tr. Diès) ; l’intérêt de cette double séance « trouvera son coin ENTRE la littérature et la vérité, entre la littérature et ce qu’il faut répondre à la question qu’est-ce que ? »[22]. Ce qui retient l’attention est ce qui s’est insinué entre littérature et philosophie ( s’il est vrai que cette dernière s’est d’emblée présentée comme quête de la vérité portée par la question de l’essence ), c’est l’ « entre » lui-même, pourrait-on dire, marque d’un « partage », pour user d’un « mot » de J.-L. Nancy. Le mime dont parle Mallarmé vient troubler une des interprétations possibles de la mimèsis proposée dans ce texte du Philèbe ; le mime inscrit le geste dans un jeu infini de renvois, la mimèsis ressortit encore à une appréhension du vrai comme présence/présent qui serait – fidèlement ou infidèlement – re-présentable. Que s’est-il passé, que s’est-il glissé entre littérature et philosophie ? Deux réponses amarrées l’une à l’autre dans leur tonalité respective. Celle de J. Derrida : «  … une histoire a eu lieu. Cette histoire fut aussi une histoire de la littérature (…). Et cette histoire, si elle a un sens, est tout entière réglée par la valeur de vérité et par un certain rapport, inscrit dans l’hymen en question entre littérature et vérité »[23]. Celle de J .-L. Nancy qui décrit « une scène simultanée de deuil et de désir : philosophie, littérature, chacune en deuil et en désir de l’autre ( de l’autre même ) mais chacune aussi rivalisant avec l’autre dans l’accomplissement du deuil et du désir »[24]. Histoire et littérature, vérité et philosophie : dans l’écart qui maintient en tension ces deux registres, la présence est retirée. Préoccupation partagée de nos deux auteurs, point de tangence de leurs démarches, mais nulle confusion.  J. Derrida – nous l’avons dit – souligne dans un même mouvement la différence entre J.-L. Nancy et lui et s’émerveille de son audace  devant les grands concepts philosophiques ». Quel est donc cet art du « retraiter » ?
       Il ne s’agit pas de traiter de nouveau des thématiques déjà surchargées de commentaires par une approche plus lucide ou plus érudite ; « retraiter » signifie exactement « retirer » une notion de son « enchaînement » habituel pour en proposer une réévaluation. Jean-Luc Nancy tout le premier est conscient de l’allure déroutante de cette manœuvre, ainsi qu’il le remarque dès l’ouverture de La création du monde ou la mondialisation : « Ce qu’on nomme « mondialisation », cela peut-il donner naissance à un monde ou à son contraire ? (…) comment nous donner ( nous ouvrir ) pour regarder droit devant nous, là où rien n’est visible, des yeux guidés par ces deux termes dont le sens nous échappe – la « création » ( jusqu’ici réservée au mystère théologique ), la « mondialisation » ( jusqu’ici réservée à l’évidence économique et technique autrement dénommée « globalisation »[25]. Démarche qui désoriente d’autant plus que  le choix du motif de la création est assorti d’une précaution de taille : nous devons le ressaisir « hors de son contexte théologique »[26], c'est-à-dire penser  justement l’ex nihilo de cette création, faute de quoi elle se confondrait avec la simple production d’un démiurge. Si cette idée de « création ex nihilo » retient tant la réflexion de J.-L. Nancy, c’est que celle-ci, centrée sur le « rien », conteste le principe de causalité et propose un dépassement du nihilisme. La pensée d’une telle création offre comme ressource l’idée d’une absence de nécessité : « Ex nihilo, c’est-à-dire : rien au principe, rien que cela qui est, rien que cela qui croît ( creo, cresco ) sans principe de croissance, même pas (surtout pas ) le principe d’une nature ». Toutefois on ne reconduira pas à une posture nihiliste liée à la « mort de Dieu ». « Nihilisme, en effet, veut dire : faire principe du rien. Mais ex nihilo veut dire : défaire tout principe y compris celui du rien. Cela veut dire : vider rien ( rem : la chose ) de toute principialité : c’est la création »[27]. Porté par la langue, cédant à une apparente facilité, nous pourrions placer en perspective La création du monde ou la mondialisation        et un autre ouvrage de Simon Hantaï et J.-L. Nancy : Jamais le mot «  créateur »[28]. Il n’est sans doute plus évident que « philosophe », « artiste » et « écrivain » puissent encore simplement se distinguer : la création ex nihilo semble emporter le sens même d’ « auteur », quel que soit son domaine, travaillant à l’avènement d’une œuvre. Il reste toutefois à l’ouvrage, s’abandonnant à l’ouvrage. Ces propos de J.-L. Nancy, adressés à Simon Hantaï, expose avec une grande intensité notre question : «  Par Eckhart vous me ramenez à une question qui me travaille, celle de la création  - non pas bien entendu dans le contexte théologique, ni artistique ( l’un et l’autre ordonné à un créateur ), mais considérée en soi : sortir de rien, ou rien ( res, la chose ) comme matière première, non un tour de passe-passe, mais une matière réelle « se » sortant, se formant d’elle-même : n’est-ce pas ce que vous vouliez se laisser plier-déplier ? »[29]. Qui écrit ? qui pense ? qui peint ? qui exécute ? qui fait ? Autant de questions pressantes portant sur le sujet d’une action alors que l’enjeu serait plutôt l’accueil d’un événement d’existence, du jeu de la différance qui « essaie de penser que l’ « être » n’est autre que l’ex- de l’exister ». « Différance, écrit J.-L. Nancy, essaie de dire l’événement de toute venue[30]. » Les catégories et les genres habituels de notre pensée se troublent, nous sommes aux confins. J. Derrida et J.-L. Nancy, au contact de Simon Hantaï, naviguent de conserve, en haute piraterie, mot dont l’étymologie (peras ) rappelle que ces hommes – ou ces loups – de mer, vivent « sur » les  limites, encore que, en toute rigueur, une limite ne soit pas un lieu[31].
       Quelle attitude adopter pour un lecteur de ces travaux qui ne voudrait pas les figer dans un académisme stérile ? Une seule initiative s’offre à nous : tenter d’inventer un texte. Le voici : « La « commune » indique aussi – pratiquement – l’au-delà du tout : l’ « opération », l’inscription qui transforme le tout en partie demandant à être complétée ou supplée. (…) « Oui, la Commune existe et, si l’on veut, seule, à l’exception de tout. Accomplissement, du moins, à qui ne va nom mieux donné ». (…) Sans doute la commune vise-t-elle aussi, en apparence, à remplir un manque (un trou) dans un tout qui par essence ne devrait pas se manquer (à)  lui-même. Mais elle est aussi l’ exception de tout : à la fois l’exception dans le tout, le manque à soi dans le tout, et l’exception de tout, ce qui existe seul, sans rien d’autre, à l’exception de tout. Pièce qui, dans et hors le tout, marque le tout autre, l’autre incommensurable au tout ».
       Nous avons en fait greffé un mot de J.-L. Nancy sur un texte de J. Derrida ; nous avons enté le « commun » sur le « littéraire », la « commune » sur la « littérature ». Le texte de J. Derrida est emprunté à « Hors livre »[32] ; il contient une citation de Mallarmé qui a elle-même reçu le greffon[33]. Le mot de J.-L. Nancy insiste dans l’ensemble de sa réflexion ; on songe notamment et à juste titre à La communauté désoeuvrée[34]. Une justification, si besoin était, pour le choix d’un tel procédé, que nous demanderons à J. Derrida lui-même : «  … les paradoxes du supplément comme pharmakon et comme écriture, comme gravure et comme bâtardise, etc., sont les mêmes que ceux de la greffe, de l’opération de greffe (qui veut dire « graver »), du graffeur, du greffier (à tous les sens de ce mot), du greffoir et du greffon. On pourrait aussi montrer que toutes les dimensions (biologiques, psychologiques, éthiques ) les plus modernes du problème de la greffe , même quand elles concernent les parties qu’on croit hégémoniques et parfaitement « propres » de ce qu’on croit être l’individu (l’intellect ou le chef, l’affect ou le cœur, le désir ou les reins) sont prises et contraintes dans la graphique du supplément »[35]. Ou encore, de façon plus lapidaire, pour « extruder »[36] la littérature et la communauté d’une métaphysique de la présence : « Ecrire veut dire greffer. C’est le même mot. Le dire de la chose est rendu à son être-greffé. La greffe ne survient pas au propre de la chose. Il n’y a pas plus de chose que de texte original » [37]. Quant au choix du greffon, il nous réfère d’abord au film de Thomas Lacoste sorti cette année, Notre temps, dans lequel J.-L. Nancy nous assigne comme tâche qui nous requiert « la commune pensée ». Cette expression est à entendre en son double sens : qu’est-ce qu’une pensée commune ? peut-être aussi, ajouterons-nous, qu’en est-il d’une écriture ou d’arts communs ? Songeons, par exemple, au titre singulier d’un recueil de poèmes d’Ilarie Voronca,  La poésie commune, publié en 1936 [38], en une époque non moins singulière dans ses entreprises politiques. Et en second lieu donc, comment évaluer cette forme de l’être-ensemble qui émergea avec la Commune médiévale  en rupture avec l’ordre féodal mais aussi la Commune de 1871, expérience d’une « citoyenneté » entre individualité et société, pour reprendre les termes de J.-L. Nancy.
       Au cours de notre lecture du texte de J. Derrida, le mot de J.-L. Nancy, « commune » est venu se substituer à celui de « littérature », subrepticement, presque malgré nous. Toutefois il ne s’agissait pas de hasard : nous avions pour préoccupation la notion de présentation dont le questionnement est insistant chez ces deux auteurs ? L’incipit de « Hors livre. Préfaces » ( qui ouvre La Dissémination ) est resté dans les mémoires : « Ceci (donc) n’aura pas été un livre » ; non plus que le recueil de trois essais précédés d’une préface : «  La question s’y agite précisément de la présentation ».[39] Or elle travaille aussi la pensée de la communauté chez J.-L. Nancy telle qu’elle est formulée à partir de sa lecture de Bataille ( et de Blanchot ) : «  Peut-être ne faut-il pas chercher ni mot ni concept, et reconnaître dans la pensée de la communauté un excès théorique ( plus exactement un excès sur le théorique ) qui nous obligerait à une autre praxis du discours et de la communauté (…) Ce qui signifie, ici, que seul un discours de la communauté peut indiquer, en s’épuisant, à la communauté la souveraineté de son partage ( c’est-à-dire ne  pas lui présenter ni lui signifier sa communion ». De quoi se mettre alors en quête ? «  Ce n’est pas autre chose que la question du communisme littéraire ou de ce que j’essaie du moins de désigner de cette expression maladroite »[40]. Une maladresse ou plutôt, à l’occasion d’une formule insolite, une féconde provocation qui, pour estimer le « commun » de la communauté désoeuvrée ( la notion de « désoeuvrement », comme on sait, est empruntée à M. Blanchot ), incite à penser « l’incommensurable communication  « littéraire » », « la question de la littérature », « l’expérience littéraire de la communauté »[41]. Chaque proposition est liée à un moment important de l’histoire : la démarche et la quête de G. Bataille lue et relancée par M. Blanchot et J.-L. Nancy lui-même, la situation de Sartre rendant la littérature passible de la question de l’essence (« qu’est-ce que ? ») et la république des artistes adossée au mythe de la communauté littéraire chez les romantiques d’Iéna[42].
       Pour recevoir convenablement la réflexion de J.-L. Nancy, un malentendu doit être écarté ; il concerne en fait tous les mots formés avec le préfixe cum- ( con-, col-, cor-) et au premier rang ceux de « communisme » et de « communauté ». Il ne s’agit nullement ici d’un type de régime politique ou d’un ensemble d’existants ayant quelque chose de commun : nous devons avec vigilance maintenir le poids ontologique – ce qui n’est pas bien sûr sans conséquences politiques – de ces mots : « La communauté nous est donnée avec l’être et comme l’être (…) Nous ne pouvons pas ne pas com-paraître (…) La communauté nous est donnée – ou nous sommes donnés ou abandonnés selon la communauté : c’est un don à renouveler, à communiquer, ce n’est pas une oeuvre à faire. Mais c’est une tâche, ce qui est différent – une tâche infinie au cœur de la finitude »[43]. Ce qui exige des stratégies de lecture et d’écriture : « Dès qu’il devient nécessaire de déconstruire tous les énoncés philosophiques de la « communauté », il nereste pour recommencer que l’en »[44]. Et afin d’écarter toute dérive dans la compréhension : «  Communisme est toujours exposé au risque de devenir une idéologie et pour cette raison devrait s’employer à dissoudre son –isme. Mais pas même commun, ni commune ne devrait rester sans inquiétude … seul doit demeurer le cum- . La préposition latine considérée comme pré-sentation universelle, présupposition de toute existence et de toute disposition d’existence »[45].
       Ce souci de l’ «en » double celui de l’ «avec » ; cette dernière préposition nous réfère plus précisément à l’analytique du Dasein menée par Heidegger dans Sein und Zeit. Après avoir présenté, au paragraphe 26 de cet ouvrage, Mitsein (être-avec) et Mitdasein ( être-le-là) comme des « existentiaux » constitutifs de l’être du Dasein, et non comme des « catégoriaux », des accidents circonstanciel, Heidegger se détourne de cette problématique qui reparaîtra, à partir du paragraphe 72, dans une méditation sur la temporalité et l’historialité ; c’est alors qu’il introduira l’idée de peuple sous laquelle sera cristallisée la possibilité pour le Dasein de faire histoire et de s’élever à la hauteur d’un destin.  Ainsi Heidegger aura-t-il été « celui qui a dégagé avec précision l’essentialité de l’ « avec » existential et qui, pris par ce motif du peuple, cédera à l’attraction du nazisme »[46]. En ce temps en effet, dans une ultime convulsion de la pensée, l’Europe a vu émerger  les dernières  tentations et tentatives de construire une nouvelle mythologie[47], projet qui avait repris vigueur depuis l’époque  du romantisme. On sait la puissance de mort « aveuglante » (J.-L . Nancy)  que l’idéologie nazie a su mettre en œuvre[48].
       L’état de notre monde désormais a pu être qualifié par G. Bataille : l’absence de mythe ; à cette expression J.-L. Nancy a préféré celle de l’interruption du mythe[49]. Quand est suspendue la voix du « Grand parler »[50], ce n’est pas un pur silence qui lui succède mais « le bruissement de la communauté exposée à sa propre dispersion »[51], ou encore la voix même de l’interruption, « une sorte d’écho, mais qui ne répéterait pas ce dont il est la réverbération »[52]. Pour tenter une dernière formulation sollicitant toute la réflexion de J.-L. Nancy dans A l’écoute[53] et notamment les fines distinctions entre « entendre » et « écouter », disons que la communauté est toujours à l’écoute mais ne s’entend plus. Il n’y a pas de « spécularité auditive », oserions-nous dire ; la communauté ne (s’)entend  plus comme un unisson, mais est exposée à la pluralité des voix partagées. Cette révélation inachevée et inachevable de l’être en commun est désignée par « la littérature ». Cet être en commun est l’articulation des voix singulières – et non une totalité organique – qui défie «  à la fois l’immanence sans parole et la transcendance d’un Verbe »[54]. C’est là la double exigence du « communisme littéraire ». Ainsi n’aurions-nous plus à faire avec le mythe en tant que symptôme du désir de l’Occident de s’approprier sa propre origine ou de lui dérober son secret. Nos jours  sont ceux de l’interruption du mythe, de l’évanouissement de l’Occident et de la « géographie philosophique » que ce mot suppose  et de la problématique possibilité d‘un monde[55] au moment même de la « mondialisation ». Bien entendu la philosophie ne reste pas indemne dans la mesure même où, si l’on en croit le récit qu’elle donne de sa propre naissance, elle met en scène sa décision de séparer le mythologique du philosophique, le logos ayant pour ambition et pour difficulté de « contenir » le mythos : à la fois tenir le fictif à l’écart du vrai, tout en le conservant à son insu ou dans la dénégation, en son sein. Corrélativement il s’agit tout aussi bien de prétendre distinguer l’intelligible du sensible ; ainsi une « crise »[56] se trouvait-elle inscrite d’origine dans la pensée occidentale : comment opérer une juste distinction et comment con-joindre les domaines dis-joints ? Cette tension est encore l’inspiration même du fragment fameux, Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand »[57], texte qui est dans le fil de la « critique » kantienne de la « crise » et qui, dans son espérance enthousiaste, rassemble mythologie, philosophie, politique et religion : «  … la mythologie doit devenir philosophie pour rendre le peuple raisonnable et la philosophie doit devenir mythologie afin de rendre les philosophes sensibles. Alors règnera parmi nous l’unité éternelle.(…) Règneront alors la liberté et l’égalité universelle des esprits ! Un esprit supérieur, envoyé du  ciel, doit fonder cette nouvelle religion parmi nous, elle sera la dernière et la plus grande œuvre de l’humanité ».
       C’est dans ce contexte historique ( philosophique, moral et politique encore une fois ) que fulgura l’expérience littéraire de cette communauté qui porta l’Athenaeum, revue fondée par les frères August-Wilhelm et Friedrich Schlegel à Iéna, qui paraîtra de 1798 à 1800 . Ce témoignage du premier romantisme allemand, de la « pratique théorique » de ce « premier groupe d’ « avant-garde » de l’histoire »[58], dont le surrélaisme sera en fait un « avatar »[59], étend ses éclats et ses ombres jusqu’à nous. Il faut penser à la fois que « Kant ouvre la possibilité du romantisme »[60] et que « l’ Athenaeum est notre lieu de naissance ».[61] On se rappelle en effet que la Critique de la Faculté de Juger ( 1797 ), la troisième donc, est un effort pour jeter un pont sur l’ « incommensurable abîme » ( unübersehbare Kluft )[62] qui sépare le domaine du concept de la nature de celui du concept de liberté ; Kant pensera trouver des ressources dans sa compréhension du jugement réfléchissant à propos du beau et du sublime, mais l’essentiel est que, la troisième « Critique » étant «  une présentation « esthétique » du problème de la raison, (elle) lègue la question de l’art comme question de la philosophie –moyennant la crise ouverte quant à la possibilité en général du philosophique par l’Esthétique transcendantale »[63].
       Le résultat fondamental de cette dernière est qu’il n’y a pas d’intuitus originarius ; vient alors au premier plan cette question du sujet imprésentable à lui-même et de cette éradication de tout substantialisme. Ce hiatus introduit au cœur du sujet sollicitera la pensée de ceux qui viendront après Kant, parmi lesquels le romantisme d’Iéna fraiera la voie de la littérature. Même si le problème de la Darstellung ( la présentation ) n’est jamais exposé comme tel, les romantiques, par leur puissance d’invention – qu’il s’agisse de l’écriture collective, de l’utilisation de tous les genres, du recours au « fragment », de la mise en cause de la propriété littéraire et de l’ «autorité », jusqu’à l’épreuve de l’anonymat – tenteront la production de quelque chose d’inédit : « la littérature se produisant en produisant sa propre théorie. (…) Requête où notre « modernité » piétine encore »[64]. Ce jugement formulé par Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy dans leur travail de 1978 et qui engage la possibilité de penser la « présentation » et la « production » dans le registre de la finitude, reste, selon nous, d’actualité. Comme s’il s’agissait de prendre la mesure de cette exigence du « plus ancien programme » : « … le philosophe doit avoir autant de force esthétique que le poète ».
       A charge donc d’être toujours à l’écoute de la littérature et de la poésie pour préserver ces actes d’écriture. Dire que la communauté est comparution de la finitude et exposition infinie à l’incommensurable ne doit pas être tenu pour un lieu commun, ce qui veut dire que la notion même de lieu doit être soustraite à la vision d’un espace articulé selon les catégories du dedans et du dehors, de l’intérieur et de l’extérieur ; le commun du lieu est la pluralité d’une force qui s’excède en tous sens, à l’infini, à chaque fois finie. La littérature est résistance à toute figuration qui pèse et qui pose ( qui pause aussi ), nous l’avons dit ; Jean-Luc Nancy parle également de la « résistance de la poésie »[65]. Poésie ne désigne pas ici un genre étroit, distinct de celui de la prose, mais la plus grande extension du « faire » : « Tout le faire se concentre dans le faire du poème, comme si le poème faisait tout ce qui peut être fait. Littré ( encore lui, le poète de l’ode à La Lumière ) recueille cette concentration : «  poème …de poiein, faire : la chose faite (par excellence) »[66]. Toutefois la finition du poème n’est pas la limite de l’indéfini du mauvais infini, mais « l’exacte existence actuelle de l’infini, son retour éternel »[67]. C’est que « poésie » n’a pas de sens propre, mais est accès à un sens, « une orée du sens », chaque fois absent et repoussé plus loin. La guise de la poésie est l’exactitude ( non la précision du par-fait) de « l’accomplissement intégral : ex-actum, ce qui est fait, ce qui est agi jusqu’au bout. La poésie est l’action intégrale de la disposition au sens. Elle est à chaque fois qu’elle a lieu une  ex-action de sens »[68]. La finition de la perfection, son « fini » existe une fois « pour toutes » ; l’exactitude est une exigence incessante car l’infini est actuel un nombre infini de fois.  D’où l’exigence d’un autre ex-, celui de l’ « ex-cription, non le désir d’une extériorité insaisissable, mais l’arrachement au système de la signification pour se disposer à un sens qui excède[69].
       On peut attendre de la littérature une pratique de la résistance à toute volonté d’ériger l’hégémonie d’un sens  et de le déposer dans la clôture d’un Livre ; elle doit donc veiller à nous délivrer du Livre, gardant en mémoire que « l’ Occident s’est noué de la crampe de l’écrivain »[70]. En fait il faut écrire « sur » le livre « pour une délivrance »[71], dans l’espoir d’échapper à la répétition de cette pathologie : «  Le Livre est là – en chaque livre a lieu le repliement vierge du livre (Mallarmé) – il faut écrire sur lui, le faire palimpseste, le surcharger, brouiller ses pages de lignes rajoutées jusqu’à la pire confusion des signes et des écritures : il faut accomplir en somme son illisibilité d’origine, crispant sur lui l’informe épuisement de la crampe »[72]. Injonction violente, étrange et troublante à laquelle semble répondre le travail de Simon Hantaï qui a déjà retenu notre attention.
       Le texte de J. Derrida, Le toucher, Jean-Luc Nancy[73], était « accompagné de travaux de lecture » de l’ « artiste », une question de toucher ou du toucher, de tangence, mais la mise en contact des textes semble avoir ramené les « hommes de lettres » à une contingence antérieure à toute écriture ( l’idée d’auteur suppose toujours une nécessité intérieure, un génie, voire du génie ). Nous n’avons jamais imaginé que Simon Hantaï avait choisi au hasard les textes dont il précise les références et qu’il a copiés, les transformant en palimpseste de palimpseste, jusqu’à leur quasi disparition. Nous les avons donc relus. Le texte de J.-L. Nancy est prélevé dans un chapitre de Etre singulier pluriel intitulé : l’ « analytique co-existentiale » ; il y est question plus précisément du « Soi », le venant-à-être et ainsi venant-à-l’être ; il vient « auprès de soi » « dans l’écartement de la disposition » (ce sont les mots de J.-L. Nancy). Quelques lignes avant le passage recopié, on trouve une définition du « Soi » qui n’a pas pu laisser Simon Hantaï indifférent : le « soi » comme « la pliure plurielle d’origine ». Quant au texte de J. Derrida, il est tiré de Donner le temps, I, La fausse monnaie[74] ; il traite du don à la fois comme générosité et pouvoir génial d’engendrer ( nous ajouterons de « créer, nous autorisant du titre du dernier échange épistolaire entre Simon Hantaï et J.-L. Nancy : Jamais le mot « créateur » … ). N’oublions pas que ce brouillage et cette confusion des textes sont opérés alors qu’il  est question d’une possible « exposition »[75] du travail de Simon Hantaï, discussion que la mort interrompra. Les notions d’auteur, de créateur, d’œuvre s’y trouvent, pour ainsi dire, dissoutes. Tout se passe comme si se jouait le déplacement d’une exposition comme ouverture à l’incommensurable à une exposition comme reconduite de la pensée à ce que nous appelerons son « ombilic » ( en écho de ce que Freud nommait « l’ombilic du rêve » ou du titre donné par Artaud à son recueil de poèmes « impubliable », L’ombilic des limbes , dans l’indéchiffrable d’un infini matériel. L’envers en quelque sorte de la question de J.-L. Nancy que nous avons rappelée au sujet d’une création qui « se » forme  de « rien ».
      


      
      
      
                                                                                                 Pierre-Philippe Jandin
                                                                                                 Septembre 2013.








[1] J.-L. Nancy, L’Intrus, Galilée, 2000, p. 31-32. En 2005, Claire Denis a réalisé un film, L’Intrus, inspiré par le texte de J.-L. Nancy.
[2] J. Derrida, « La pharmacie de Platon », dans La Dissémination, Eds. du Seuil, 1972. Nous soulignons. Référence à Platon, Le Sophiste, 241d-242a.
[3] On peut relire le texte de J. Derrida consacré à Bataille lecteur de Hegel : « De l’économie restreinte à l’économie générale. Un hegelianisme sans réserve », dans L’Ecriture et la Différence, Eds. du Seuil, 1967. D’une certaine manière, on peut admettre que J.-L. Nancy et J. Derrida tiennent l’Aufhebung pour une « cible décisive », pour reprendre l’expression de ce dernier dans De la Grammatologie, Eds. de Minuit, 1967, p. 40.
[4] Dictionnaire rédigé par des Jésuites de 1701 à 1774, en réponse, pourrait-on dire au Dictionnaire de Furetière publié en 1690, deux après sa mort et quatre ans avant la première édition du Dictionnaire de l’Académie française. Cette définition des « lettres » est rappelée dans le Robert.
[5] La définition des « humanités » donnée par le Littré mérite d’être rappelée : « Classes dans les collèges et lycées comprenant l’enseignement au-dessus de la grammaire jusqu’à la philosophie exclusivement, et dites aujourd’hui classes des lettres » ( Nous soulignons ).
[6] Jean-Luc Nancy, Des lieux divins, TER, 1987, p. 31.
[7] J. Derrida, La Dissémination, Eds du Seuil, 1972, coll. « Points », p. 12.
[8] Ibid., p. 10.
[9] Ce que nous disons à l’instant n’est pas oublieux du texte de J. Derrida : « Je dirais donc d’abord que la différance, qui n’est ni un mot ni un concept, m’a paru stratégiquement le plus propre à penser sinon à maîtriser (…) le plus irréductible de notre « époque » », « La différance » dans Marges, Eds de Minuit, 1972, p.7 (nous soulignons).
[10] Ainsi s’exprime J. Derrida dans son dialogue avec J.-L. Nancy, « Responsabilité – du sens à venir », en clôture du colloque organisé en février 2002 par F. Guibal et J.-Cl. Martin, Sens en tous sens. Autour des travaux de   Jean-Luc Nancy, Galilée, 2004, p. 167.
[11] Puisqu’il s’agit ici d’intrusion, par force ou par ruse, nous avions pensé un instant retenir  la qualification d’ « hommes de plume » pour nos deux penseurs, songeant à la « plume » dont parle Jean Genet dans le Miracle de la rose, Gallimard, O. C., II, 1953, p. 205 : « Tous les cambrioleurs comprendront la dignité dont je fus paré quand je tins dans la main la pince-monseigneur, la « plume » ». Ce texte est « collé » par J. Derrida dans une note de son texte, « La parole soufflée », dans L’Ecriture et la Différence, op. cit.  p. 274. Toutefois le contexte de ce « collage » - l’érection impossible du corps propre chez A. Artaud – nous a semblé un peu éloigné de notre souci du jour, encore qu’une approche critique du « phallogocentrisme » ne puisse ignorer le sens de l’érection.
[12] Sens en tous sens … », op. cit ., p. 168.
[13] Ibid..
[14] Simon Hantaï avec Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy, La connaissance des textes. Lecture d’un manuscrit illisible.( Correspondances), Galilée, Archives Simon Hantaï, 2001-2013.
[15] Dans la présentation de l’ouvrage, J.-L. Nancy recourt deux fois au lexique de l’ « accompagnement » : la correspondance qui accompagne les travaux, la lettre de J. Derrida qui accompagne l’accompagnement. Double manière de varier sur le cum-, l’être avec.
[16]La connaissance des textes …, op. cit., p. 143, p. 145.
[17] Ibid., p. 155. (Nous soulignons ).
[18] Ibid., p. 146.
[19] On nous pardonnera de rappeler notre article, « Un auteur louche », consacré à Madame Edwarda de G. Bataille, parue dans la Revue des Sciences humaines, « La littérature dans la philosophie », 1982.  Dans son ouvrage Après coup, Eds de Minuit, 1983,  p. 91, Maurice Blanchot évoquait ce travail dont il disait du bien pour mieux en conclure qu’on ne pouvait « présenter » G. Bataille.
[20] La Dissémination, op. cit., p. 215 sq.
[21] Mallarmé, Œuvres complètes,, Gallimard, La Pléiade, 1965, p. 310.
[22] La Dissémination, op. cit., p. 219.
[23] Ibid., pp. 225-226.
[24] Jean-Luc Nancy, « Un jour les dieux se retirent … ». Littérature/Philosophie : entre deux », William Blake & Co. Edit., 2001, p. 10.
[25] Jean-Luc Nancy, La Connaissance du monde ou la mondialisation, Galilée, 2002, p. 9-10.
[26] Ibid., p. 54. En toile de fond de ce geste, toute l’entreprise de « déconstruction du christianisme » menée par J.-L. Nancy dont La Déclosion ( Déconstruction du christianisme, 1 ), Galilée, 2005 et L’Adoration, (Déconstruction du christianisme, 2 ), Galilée, 2010, sont les principaux jalons. On sait que  J. Derrida restait quelque peu interdit devant cette tentative peut-être à la fois nécessaire et impossible, comme il le dit plusieurs fois dans Le toucher Jean-Luc Nancy, Galilée, 2000.
[27] La Déclosion, op. cit.,  p. 39.
[28] Simon Hantaï, Jean-Luc Nancy, Jamais le mot de « créateur » … ( Correspondance 2000-2008 ), Galilée, Archives Simon Hantaï, 2013. Le titre est emprunté à un texte de J.-L. Nancy citant Simon Hantaï, p. 154.
[29] La connaissance des textes, op. cit., p.15.
[30] Jean-Luc Nancy, « La différance ici et maintenant », Le Magazine littérraire, n° 498, juin 2008.
[31] Limes peut être traduit par « sillon ». Nous serions tenté par « sillage », qui de referme à mesure qu’il s’ouvre, trace d’un passage.
[32] J. Derrida, La Dissémination, op. cit., pp. 73-74.
[33] Mallarmé, « La Musique et les lettres », O. C., op. cit. p. 646.
[34] J.-L. Nancy, La communauté désoeuvrée, op. cit.. Une note liminaire pour la troisième édition de 1999 précise que le travail entrepris dans cette ouvrage s’est poursuivi dans La comparution ( avec Jean-Christophe Bailly ), Christian Bourgois Ed., 1991 et dans Etre singulier pluriel, Galilée, 1996.
[35] La Dissémination, op. cit., note 67, p. 189. Bien sûr nous n’oublions pas la greffe du cœur qu’a subie     J.-L. Nancy et dont parle L’Intrus ; mais cette intervention chirurgicale est elle-même greffée sur la problématique du rapport entre identité, propriété et technique. Quant à la « greffe textuelle »,               J. Derrida souhaitait qu’on en élaborât un « traité systématique » : «  Entre autres choses, il nous aiderait à comprendre le fonctionnement d’une note en bas de page, par exemple, aussi bien que d’un exergue, et en quoi, pour qui sait lire, ils importent parfois plus que le texte dit principal ou capital. Et quand le titre capital devient lui-même un greffon, on n’a plus à choisir entre la présence ou l’absence du titre », La Dissémination, op. cit. p. 250.
[36] Ce terme est utilisé dans L’Intrus, op. cit., p. 18.
[37] La Dissémination, op. cit., p.431.
[38] Ilarie Voronca ( Braïla, 1903 – Paris, 1946 ), La poésie commune, Paris, Guy Lévis Mano, 1936 ; ainsi, par exemple : « … Nous parlions / Des terres fécondes de l’avenir. / Et des poètes qui appartiendront aux foules » . Nous souhaitons remercier vivement Mme Rodica Paléologue, responsable des fonds roumains et italiens à la Bibliothèque Nationale de France, de nous avoir fait découvrir cet écrivain roumain puis français.
[39] La Dissémination, op. cit., p.9. Nous soulignons.
[40] La communauté désoeuvrée, op. cit., p. 66-67. J.-L. Nancy souligne. Il reconnaîtra à la fin de son ouvrage, p. 197, que son geste n’est pas sans « provocation », tout en précisant que « cette appellation ne renonce pas, en même temps, à être un hommage nécessaire à ce que le communisme et les communismes, d’une part, la littérature et les écrivains, d’autres part, auront signifié, pour une époque de notre histoire ».  On pourra consulter, en ce qui concerne l’histoire des idées, le travail de Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Eds. du Seuil, 1997.
[41] Ibid., p. 89, p.92, p. 160.
[42] Une grande partie des travaux de G.Bataille et de M. Blanchot sont voués à l’exploration de cette expérience littéraire. On relira le livre de J.-P. Sartre « Qu’est-ce que la littérature ?, Gallimard, 1948. On se référera à l’ouvrage écrit « en » commun – il y en eut d’autres- par Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’absolu littéraire. Théorie de la littérature allemande., Eds. du Seuil, 1978.
[43] La communauté désoeuvrée, op. cit., p. 87-89.
[44] La comparution, op. cit., p. 59, n. 1.
[45] « Communisme, le mot », dans L’Idée du communisme, Lignes, 2010.
[46]  Le fil directeur de notre propos est ici un article de J.-L. Nancy, «  L’être-avec de l’être-là », paru dans les Cahiers philosophiques, n° 111, oct.2007. On peut lire avec profit dans ce même numéro un entretien avec J.-L. Nancy conduit par Frédéric Postel.
[47] Un des principaux documents, avec Mein Kampf,  de l’ entreprise nazie fut l’essai publié par Alfred Rosenberg en 1930, Der Mythus des zwangzigsten Jahrhunderts.
[48] Cf. Léon Poliakov, Le Mythe aryen, Calmann-Lévy, 1971 ; Ph. Lacoue-Labarthe et J. –L. Nancy, Le mythe nazi, Eds. de l’Aube, 1991.
[49] La communautée désoeuvrée, op. cit., p. 118-119.
[50] Cf. Pierre Clastres, « Le Grand parler : mythes et chants sacrés des Indiens Guaranis », Eds du Seuil, 1974.
[51] La communauté désoeuvrée, op. cit., p. 156.
[52] Ibid ;, p. 155.
[53] J.-L. Nancy, A l’écoute, Galilée, 2002.
[54] La communauté désoeuvrée, op. cit., p. 197.
[55] Cf. notre entretien avec Jean-Luc Nancy : Jean-Luc Nancy : la possibilité d’un monde, Eds Les Petits Platons, 2013.
[56] Krisis, en grec, est de la même famille que le verbe krinein : cribler, tamiser, d’où juger. L’allemand rappelle que le jugement est partition originaire ( Ur-teil ), le français qu’il est jonction, ajointement (jugum :  le joug).
[57] Texte cité et traduit par Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy dans leur ouvrage L’absolu littéraire …, op. cit.. L’’énigme de ce document mérite d’être rappelée. L’hypothèse la plus probable est que le manuscrit, qui est de la main de Hegel, serait la copie ( datant de mars ou de l’été 1796 ) d’un texte rédigé quelque temps auparavant par Schelling, mais pour une part en tout cas sous l’influence de Hölderlin, rencontré en 1795 – en l’absence de Hegel – à Stuttgart.
[58] L’absolu littéraire …, op. cit., p. 17. Nous nous appuyons directement ici sur les pages denses et lumineuses de l’ « Avant-propos » et de l’ « Ouverture » de cet ouvrage.
[59] La communauté désoeuvrée, op. cit., p. 148.
[60] L’absolu littéraire, op. cit., p. 42.
[61] Ibid., p. 17.
[62] E. Kant, Critique de la Faculté de Juger, trad. A. Philonenko, J. Vrin, 1965, p. 25.
[63] L’absolu littéraire…, op. cit., p.43.
[64] Ibid., p. 22.
[65] J.-L. Nancy, Résistance de la poésie, William Blake & Co, 2004. Ouvrage composé de deux textes : « Faire la poésie » (1996) et « Compter avec la poésie » (1995). Ce dernier titre est une expression de G. Bataille  ( qu’il écrit « compter avec la poésie ») dans un article de Critique, n° 15-16 : « Le surréalisme en 1947 » ( O.C.,XI, Gallimard, p. 260 ).
[66] Résistance de la poésie, op. cit., p. 13.
[67] Ibid.. Sur ces notions de fini, d’infini et de finitude, on lira l’article très nuancé de Henri Birault, « Heidegger et la pensée de la finitude », Revue Internationale de Philosophie », n° 52, 1960.
[68] Ibid..
[69] Il serait intéressant de traiter l’exemple de l’excription du corps. Nous ne le pouvons ici, faute de temps. Cf. Corpus, Eds Métailié, 1992.
[70] J.-L. Nancy, « Les raisons d’écrire » dans Misère de la littérature, Christian Bourgois Ed., 1978, p. 84.
[71] Ibid., p. 85. En latin liber, libre et liber, livre ne différent que par la longueur de la première voyelle.
[72] Ibid..
[73] J.-L. Nancy, Etre singulier pluriel, op. cit..
[74] J. Derrida, Donner le temps, I, La fausse monnaie, Galilée, 1991.
[75] Ausstellung, certes, et non Darstellung, mais la proximité des deux termes n’est pas insignifiante.

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