S’interroger sur l’intrusion et
l’intrusif, sur la présence peut-être sans figure de l’intrus, nous conduit
nécessairement à remettre en jeu les notions d’identité et de propriété, à
revenir sur la pertinence des oppositions conceptuelles entre intériorité (voire
intimité) et extériorité, propre et impropre, etc.. On pense bien sûr
« spontanément » au livre de Jean-Luc Nancy, L’Intrus, dans lequel il énonce « une loi générale de
l’intrusion : il n’y a jamais eu une seule intrusion : dès qu’il s’en
produit une, elle se multiplie, elle s’identifie dans ses différences internes
renouvelées »[1]. Mais s’
identifier dans des différences, se disséminer, en fait, c’est se soustraire à
toute présence. Cet évanouissement inquiète, d’origine, notre discours, dès que
le parricide a été perpétré par l’Etranger (Xenos)
dans cette scène primitive qui avait retenu l’attention de J. Derrida :
« Sans l’irruption violente, contre la vénérable et paternelle figure de
Parménide, contre sa thèse de l’unité de l’être, sans l’intrusion irruptive de l’autre et du non-être, du non-être comme
autre dans l’unité de l’être, l’écriture et son jeu n’aurait pas été
nécessaire. L’écriture est parricide »[2].
C’est donc l’étranger, reçu avec hospitalité par Socrate et ses amis, qui introduit
la question de l’altérité, dans son ambiguïté constitutive qui entame le
discours philosophique et va obérer la tradition métaphysique occidentale
jusqu’à nous ; s’agit-il de l’autre du
même, auquel il reviendra ( selon la loi d’une « économie du revenu »[3])
ou bien une altérité ab-solue à laquelle notre pensée est exposée comme à
quelque chose pour quoi les noms nous manquent ?
On comprend qu’une réflexion sur la
pensée intruse ou intrusive engage une réflexion sur la notion de limite, à la
limite, à la fin, sur le seuil. Parler de différence, de coincidentia oppositorum ou de relève dialectique suppose toujours
une pensée de la dé-finition, de la limite et de sa transgression ; tout
ce poids conceptuel semble se concentrer dans la discrète conjonction et, marque d’une coordination qui a
entériné au passage une disjonction acceptée (inclusive ou exclusive). Ainsi
quand on parle de littérature et de
philosophie, de quoi est-il question ? De deux manières de penser et/ou
d’écrire ? de deux genres ? de deux styles ? de deux désirs
différents qui se fascinent l’un l’autre, celui de la fiction et celui de la
vérité qui ont pu, par exemple, s’afficher, selon l’époque, comme tension entre
mythos et logos, entre Dichtung et Wahrheit ? Et comment cet écart –
éloignement et proximité à la fois – entre littérature et philosophie, voire
une volonté d’hégémonie de l’une sur l’autre, ouvre-t-il une pensée de l’infini
ou expose-t-il la pensée à l’infini ? A notre charge de préciser les
variations sur le fini ( le limité, le parfait, l’achevé ou l’inachevé ) et par
là même la portée du préfixe négatif où se joue le sens de l’infini.
Ces questions pressantes nous mènent
« sur le seuil de Jean-Luc Nancy et de Jacques Derrida ». Le seuil
est la traduction française du latin limen
( et comment, pour un lecteur de Derrida, ne pas entendre l’ « hymen »
dans limen ? ), proche de limes :
le sentier qui sépare deux champs, la trace, la frontière. L’étymologie de
« seuil » toutefois est solum,
le sol et plus précisément la pièce qui forme la partie inférieure de la baie
d’une porte, le pas de (la) porte. Mais sur qui ou sur quoi cette porte
donne-t-elle ? à qui ou à quoi, par force ou par ruse,
s’ouvre-t-elle ? Comment qualifier ces deux hommes, J. Derrida et J.-L.
Nancy ? Aucun des deux ne se reconnaitrait comme auteur animé d’un
vouloir-dire qui prendrait la forme d’un opus
ou d’un corpus, espérant rédiger un
livre qui se présenterait comme
l’achèvement d’un savoir. Ce ne sont pas des écrivains qui cultivent « les
lettres », c’est-à-dire, pour
reprendre la définition du Dictionnaire de Trévoux[4],
« les belles lettres, la grammaire, l’éloquence et la poésie » ;
on disait encore naguère : « faire ses humanité »[5],
quand on se formait par l’étude des langues grecque et latine et la lecture des
« grands » auteurs. Cette expression condensait à sa manière l’esprit
de cette « vision du monde » que fut l’humanisme né de la Renaissance
et dont notre époque constate la ruine. On ne saurait dire non plus que Jacques
Derrida et Jean-Luc Nancy sont des hommes du livre, pour une raison
fondamentale que ce dernier penseur précise très exactement au sujet de notre
modernité : « Il n’y a plus le Livre ( Je ne dis pas :
« il n’y a plus de Livre », car il y en a, certes, tout autant qu’il
y a service divin, en chaque temple, église, synagogue ou mosquée ; mais
je dis qu’ il n’y a plus le Livre,
ainsi qu’on devrait le savoir depuis Mallarmé et Joyce, Blanchot et Derrida ).
Ce n’est pas en vain que le texte a proliféré, s’est disséminé et s’est
fragmenté en toutes nos écritures. L’écriture que nous pratiquons, qui nous
oblige et qui nous est in-finie, n’est pas, en aucune façon, la relève de
l’Ecriture »[6]. Ce
geste d’écriture, en tant que praxis de la pensée, est la réponse au retrait du
divin ( des dieux ou de Dieu ), l’expérience et l’épreuve d’un impératif dont
l’insistance est infinie.
Il y a toujours plus d’une écriture (
« nos écritures », dit J.-L. Nancy ), plus d’une déconstruction, plus
d’une différance ; cette pensée
du texte comme réticulation de traces, comme jeu de forces, comme agonistique
toujours relancée, est présente dans l’ensemble des travaux de nos auteurs.
Leurs styles peuvent différer mais l’un et l’autre s’écartent d’une certaine naïveté qui espérerait rompre
« simplement » avec la métaphysique ou sortir de sa clôture, s’il est
vrai qu’on ne peut contester le système ni en retournant contre lui les concepts qu’il a forgés ni en
feignant de les ignorer. D’où la nécessité, pour s’expliquer avec la
philosophie occidentale – dont Hegel est généralement tenu pour la figure
emblématique –d’une autre stratégie : une répétition déplacée,
oserions-nous dire ; il ne s’agit pas d’ « apporter la
contradiction » mais d’engager une autre écriture. Ce que demande très
précisément J. Derrida
dans l’un de ses premiers « textes », intitulé justement « Hors
livre. Préfaces », qui ouvre La
Dissémination : « Il n’y a pas de « concept-métaphysique ».
Il n’y a pas de « nom-métaphysique ». La métaphysique est une
certaine détermination, un mouvement orienté de la chaîne. On ne peut lui
opposer un concept mais un travail textuel et un autre enchaînement »[7].
En ce lieu Derrida nomme « écriture » -les guillemets sont de lui-
« ce qui critique, déconstruit, force l’opposition traditionnelle et
hiérarchisée de l’écriture à la parole, de l’écriture au système (…) de tous
ses autres »[8] ;
cette tension de la concaténation jusqu’à la rupture, ce désir d’être « déchaîné »,
délivré des liens de la structure de
signification dont la décision entame
d’origine le discours philosophique, caractérisent le brouillage même de toute
relève spéculative que produisent les « mots » ou les
« concepts » de J. Derrida (différance,
supplément, trace, pharmakon, hymen, etc.)[9],
dont aucun n’eut jamais dans son travail « un rôle
« fondamental ». Et pour cause »[10].
L’enjeu ne fut jamais en effet de fonder une méthode, d’assurer une position,
autant d’attitudes propres au système contesté, mais bien plutôt de tenter des
« coups de main », des intrusions toujours en mouvement. En cela J.
Derrida et tout aussi bien J.-L. Nancy sont des hommes d’écriture[11],
même si leurs tactiques diffèrent. En évoquant plaisamment un souvenir de son
enfance algéroise, J. Derrida propose de préciser ainsi ce qui les distingue :
« … quant à la question d’une différence possible entre Jean-Luc et moi,
différence qui est moins (…) une différence de position ou de thèse
philosophique qu’une différence dans la façon de faire, dans la manière, une différence de corps justement,
de chair, de style, de geste, mon sentiment, c’est que moi, je me trouve devant
la tradition avec tous ces mots-là comme une mouche qui aurait compris le
danger »[12].
L’immense péril – le ruban de papier enduit de miel – c’est la tradition,
« ces grandes choses, ces grands thèmes, ces grands concepts, ces grands
problèmes, qui ont noms sens, monde,
création, liberté, communauté, etc ? »[13].
J. Derrida s’en détourne, les fuit, Jean-Luc Nancy les « retraite
de façon incomparable ». Qu’est-ce à dire ?
J. Derrida opère par une sorte de
« parasitage » des textes. Le mot pourrait sembler indélicat si on ne
le trouvait pas sous la plume même de l’auteur pour qualifier sa situation par
rapport à un texte particulier : la correspondance échangée entre J.–L.
Nancy et Simon Hantaï en accompagnement des « travaux de lecture » de
ce dernier, c’est-à-dire le copiage l’un sur l’autre de textes de J.-L. Nancy et de
J. Derrida[14]. Ce
dernier, invité à accompagner[15]
cette entreprise, rédige une lettre qui constate l’impossibilité de toute immixtion
entre les deux amis : « Nonobstant l’intimation, et malgré
l’apparence, je préfère rester dans mon coin. Le coin, ça me connaît ». Et
un peu plus loin : « Même si je voulais faire intrusion, pour
témoigner, ce serait trop tard. Vous me le demandez, douce et discrète
intimation, mais c’est trop tard. »[16]
Il reste que, s’il est trop tard pour faire
intrusion, c’est que l’intrusion a déjà eu lieu. Dans l’après-coup d’un post-scriptum, J. Derrida le reconnaît,
selon nous : « PS. : Bien sûr, malgré la gêne du tiers, du
témoin ou de l’intrus (tout le monde l’aura compris, depuis longtemps,
l’intrus, c’est moi), malgré la honte du parasite
ou du voyeur, je sais que si je n’étais pas tout à fait absent, je le rappelais
à l’instant, eh bien, cette correspondance à laquelle je n’ai point pris part,
je me demande si elle aurait eu lieu. Elle n’aurait pas été ce qu’elle est si
vous ne m’aviez pas supposé « ailleurs », alibi, voyeur en voyage, distrait ou comme mort. D’où mon
trouble »[17]. D’où
notre trouble, car nous constatons qu’ « ailleurs » ne se trouve
nulle part, ou que c’est « un coin ». Or « être au coin »
n’est pas –seulement- une localisation, mais une manière d’exercer un regard
« en coin », sans être vu ; J. Derrida le dit nettement dans le
corps « décousu » de sa lettre : « (…) Donc, en répondant
sans vraiment correspondre à l’intimation, je ne me présenterai pas. Je
resterai à vous regarder faire dans un coin ( et déjà, je lorgne sur ces mots –
dans mon coin ). Puis cette lettre sera proprement, aussi proprement que
possible, décousue »[18].
Lorgner ou loucher, c’est regarder d’une certaine façon et même « avoir
des vues », car le désir peut s’en mêler, sur quelque chose ou sur
quelqu’un[19].
Il reste que le coin est aussi et
d’abord une pièce de bois ou de fer destinée à fendre un matériau ou encore un
morceau d’acier gravé en creux qui sert à frapper monnaies et médailles, une
empreinte, une marque, un sceau. On se rappellera ici la typographie et la
topographie de la feuille dont pouvait disposer chaque participant aux deux
séances des 26 février et 5 mars 1969 du « Groupe d’Etudes
théoriques », publiées sous le titre « La double séance » dans La Dissémination[20] :
J. Derrida insère en coin ( ce qui est aussi le nom d’une formation de bataille
) un texte « littéraire » de Mallarmé, « Mimique »[21],
dans un texte « philosophique » de Platon, un extrait du Philèbe (38a-39a, tr. Diès) ;
l’intérêt de cette double séance « trouvera son coin ENTRE la littérature
et la vérité, entre la littérature et ce qu’il faut répondre à la question qu’est-ce
que ? »[22].
Ce qui retient l’attention est ce qui s’est insinué entre littérature et
philosophie ( s’il est vrai que cette dernière s’est d’emblée présentée comme
quête de la vérité portée par la question de l’essence ), c’est
l’ « entre » lui-même, pourrait-on dire, marque d’un
« partage », pour user d’un « mot » de J.-L. Nancy. Le mime
dont parle Mallarmé vient troubler une des interprétations possibles de la mimèsis proposée dans ce texte du Philèbe ; le mime inscrit le geste
dans un jeu infini de renvois, la mimèsis
ressortit encore à une appréhension du vrai comme présence/présent qui
serait – fidèlement ou infidèlement – re-présentable. Que s’est-il passé, que
s’est-il glissé entre littérature et philosophie ? Deux réponses amarrées
l’une à l’autre dans leur tonalité respective. Celle de J. Derrida :
« … une histoire a eu lieu. Cette histoire fut aussi une histoire de la
littérature (…). Et cette histoire, si elle a un sens, est tout entière réglée
par la valeur de vérité et par un certain rapport, inscrit dans l’hymen en
question entre littérature et
vérité »[23]. Celle
de J .-L. Nancy qui décrit « une scène simultanée de deuil et de
désir : philosophie, littérature, chacune en deuil et en désir de l’autre
( de l’autre même ) mais chacune aussi rivalisant avec l’autre dans
l’accomplissement du deuil et du désir »[24].
Histoire et littérature, vérité et philosophie : dans l’écart qui
maintient en tension ces deux registres, la présence est retirée. Préoccupation
partagée de nos deux auteurs, point de tangence de leurs démarches, mais nulle
confusion. J. Derrida – nous l’avons dit
– souligne dans un même mouvement la différence entre J.-L. Nancy et lui et
s’émerveille de son audace devant les grands concepts
philosophiques ». Quel est donc cet art du « retraiter » ?
Il ne s’agit pas de traiter de nouveau
des thématiques déjà surchargées de commentaires par une approche plus lucide
ou plus érudite ; « retraiter » signifie exactement
« retirer » une notion de son « enchaînement » habituel
pour en proposer une réévaluation. Jean-Luc Nancy tout le premier est conscient
de l’allure déroutante de cette manœuvre, ainsi qu’il le remarque dès
l’ouverture de La création du monde ou la
mondialisation : « Ce qu’on nomme « mondialisation »,
cela peut-il donner naissance à un monde ou à son contraire ? (…) comment
nous donner ( nous ouvrir ) pour regarder droit devant nous, là où rien n’est
visible, des yeux guidés par ces deux termes dont le sens nous échappe – la
« création » ( jusqu’ici réservée au mystère théologique ), la
« mondialisation » ( jusqu’ici réservée à l’évidence économique et
technique autrement dénommée « globalisation »[25].
Démarche qui désoriente d’autant plus que
le choix du motif de la création est assorti d’une précaution de
taille : nous devons le ressaisir « hors de son contexte
théologique »[26],
c'est-à-dire penser justement l’ex nihilo de cette création, faute de
quoi elle se confondrait avec la simple production d’un démiurge. Si cette idée
de « création ex nihilo »
retient tant la réflexion de J.-L. Nancy, c’est que celle-ci, centrée sur le
« rien », conteste le principe de causalité et propose un dépassement
du nihilisme. La pensée d’une telle création offre comme ressource l’idée d’une
absence de nécessité : « Ex
nihilo, c’est-à-dire : rien au principe, rien que cela qui est, rien
que cela qui croît ( creo, cresco )
sans principe de croissance, même pas (surtout pas ) le principe d’une
nature ». Toutefois on ne reconduira pas à une posture nihiliste liée à la
« mort de Dieu ». « Nihilisme, en effet, veut dire : faire
principe du rien. Mais ex nihilo veut
dire : défaire tout principe y compris celui du rien. Cela veut
dire : vider rien ( rem : la chose ) de toute
principialité : c’est la création »[27].
Porté par la langue, cédant à une apparente facilité, nous pourrions placer en
perspective La création du monde ou la
mondialisation et un autre
ouvrage de Simon Hantaï et J.-L. Nancy : Jamais le mot « créateur »[28]. Il n’est sans doute plus évident que
« philosophe », « artiste » et « écrivain »
puissent encore simplement se distinguer : la création ex nihilo semble emporter le sens même
d’ « auteur », quel que soit son domaine, travaillant à
l’avènement d’une œuvre. Il reste toutefois à l’ouvrage, s’abandonnant à
l’ouvrage. Ces propos de J.-L. Nancy, adressés à Simon Hantaï, expose avec une
grande intensité notre question : « Par Eckhart vous me ramenez à
une question qui me travaille, celle de la création - non pas bien
entendu dans le contexte théologique, ni artistique ( l’un et l’autre ordonné à
un créateur ), mais considérée en soi : sortir de rien, ou rien ( res, la chose ) comme matière première, non un tour de passe-passe,
mais une matière réelle « se » sortant, se formant d’elle-même :
n’est-ce pas ce que vous vouliez se laisser plier-déplier ? »[29].
Qui écrit ? qui pense ? qui peint ? qui exécute ? qui
fait ? Autant de questions pressantes portant sur le sujet d’une action
alors que l’enjeu serait plutôt l’accueil d’un événement d’existence, du jeu de
la différance qui « essaie de
penser que l’ « être » n’est autre que l’ex- de
l’exister ». « Différance,
écrit J.-L. Nancy, essaie de dire l’événement de toute venue[30]. »
Les catégories et les genres habituels de notre pensée se troublent, nous
sommes aux confins. J. Derrida et J.-L. Nancy, au contact de Simon Hantaï,
naviguent de conserve, en haute piraterie, mot dont l’étymologie (peras ) rappelle que ces hommes – ou ces
loups – de mer, vivent « sur » les
limites, encore que, en toute rigueur, une limite ne soit pas un lieu[31].
Quelle attitude adopter pour un lecteur
de ces travaux qui ne voudrait pas les figer dans un académisme stérile ?
Une seule initiative s’offre à nous : tenter d’inventer un texte. Le
voici : « La « commune » indique aussi – pratiquement –
l’au-delà du tout : l’ « opération », l’inscription qui
transforme le tout en partie demandant à être complétée ou supplée. (…)
« Oui, la Commune existe et, si l’on veut, seule, à l’exception de tout.
Accomplissement, du moins, à qui ne va nom mieux donné ». (…) Sans doute
la commune vise-t-elle aussi, en apparence, à remplir un manque (un trou) dans
un tout qui par essence ne devrait pas se manquer (à) lui-même. Mais elle est aussi l’ exception de tout : à la fois
l’exception dans le tout, le manque à soi dans le tout, et l’exception de tout,
ce qui existe seul, sans rien d’autre, à l’exception de tout. Pièce qui, dans et hors le tout, marque le tout autre,
l’autre incommensurable au tout ».
Nous avons en fait greffé un mot de
J.-L. Nancy sur un texte de J. Derrida ; nous avons enté le
« commun » sur le « littéraire », la « commune »
sur la « littérature ». Le texte de J. Derrida est emprunté à
« Hors livre »[32] ;
il contient une citation de Mallarmé qui a elle-même reçu le greffon[33].
Le mot de J.-L. Nancy insiste dans l’ensemble de sa réflexion ; on songe
notamment et à juste titre à La communauté
désoeuvrée[34].
Une justification, si besoin était, pour le choix d’un tel procédé, que nous
demanderons à J. Derrida lui-même : « … les paradoxes du supplément
comme pharmakon et comme écriture,
comme gravure et comme bâtardise, etc., sont les mêmes que ceux de la greffe,
de l’opération de greffe (qui veut dire « graver »), du graffeur, du
greffier (à tous les sens de ce mot), du greffoir et du greffon. On pourrait aussi
montrer que toutes les dimensions (biologiques, psychologiques, éthiques ) les
plus modernes du problème de la greffe , même quand elles concernent les
parties qu’on croit hégémoniques et parfaitement « propres » de ce
qu’on croit être l’individu (l’intellect ou le chef, l’affect ou le cœur, le
désir ou les reins) sont prises et contraintes dans la graphique du
supplément »[35].
Ou encore, de façon plus lapidaire, pour « extruder »[36]
la littérature et la communauté d’une métaphysique de la présence :
« Ecrire veut dire greffer. C’est le même mot. Le dire de la chose est
rendu à son être-greffé. La greffe ne survient pas au propre de la chose. Il
n’y a pas plus de chose que de texte original » [37]. Quant au choix du greffon, il nous réfère d’abord au film de
Thomas Lacoste sorti cette année, Notre
temps, dans lequel J.-L. Nancy nous assigne comme tâche qui nous requiert
« la commune pensée ». Cette expression est à entendre en son double sens :
qu’est-ce qu’une pensée commune ? peut-être aussi, ajouterons-nous, qu’en
est-il d’une écriture ou d’arts communs ? Songeons, par exemple, au titre
singulier d’un recueil de poèmes d’Ilarie Voronca, La
poésie commune, publié en 1936 [38],
en une époque non moins singulière dans ses entreprises politiques. Et en
second lieu donc, comment évaluer cette forme de l’être-ensemble qui émergea
avec la Commune médiévale en rupture
avec l’ordre féodal mais aussi la Commune de 1871, expérience d’une
« citoyenneté » entre individualité et société, pour reprendre les
termes de J.-L. Nancy.
Au
cours de notre lecture du texte de J. Derrida, le mot de J.-L. Nancy,
« commune » est venu se substituer à celui de
« littérature », subrepticement, presque malgré nous. Toutefois il ne
s’agissait pas de hasard : nous avions pour préoccupation la notion de présentation dont le questionnement est
insistant chez ces deux auteurs ? L’incipit
de « Hors livre. Préfaces » ( qui ouvre La Dissémination ) est resté dans les mémoires : « Ceci
(donc) n’aura pas été un livre » ; non plus que le recueil de trois
essais précédés d’une préface : « La question s’y agite précisément
de la présentation ».[39] Or elle travaille aussi la pensée
de la communauté chez J.-L. Nancy telle qu’elle est formulée à partir de sa
lecture de Bataille ( et de Blanchot ) : « Peut-être ne faut-il pas
chercher ni mot ni concept, et reconnaître dans la pensée de la communauté
un excès théorique ( plus exactement un excès sur le théorique ) qui nous
obligerait à une autre praxis du
discours et de la communauté (…) Ce qui signifie, ici, que seul un discours de
la communauté peut indiquer, en s’épuisant, à la communauté la souveraineté de
son partage ( c’est-à-dire ne pas lui
présenter ni lui signifier sa communion ». De quoi se mettre alors en
quête ? « Ce n’est pas autre chose que la question du communisme littéraire ou de ce que
j’essaie du moins de désigner de cette expression maladroite »[40].
Une maladresse ou plutôt, à l’occasion d’une formule insolite, une féconde
provocation qui, pour estimer le « commun » de la communauté désoeuvrée ( la notion de
« désoeuvrement », comme on sait, est empruntée à M. Blanchot ),
incite à penser « l’incommensurable communication « littéraire » », « la
question de la littérature », « l’expérience littéraire de la communauté »[41].
Chaque proposition est liée à un moment important de l’histoire : la
démarche et la quête de G. Bataille lue et relancée par M. Blanchot et J.-L.
Nancy lui-même, la situation de Sartre rendant la littérature passible de la
question de l’essence (« qu’est-ce que ? ») et la république des
artistes adossée au mythe de la communauté littéraire chez les romantiques
d’Iéna[42].
Pour recevoir convenablement la
réflexion de J.-L. Nancy, un malentendu doit être écarté ; il concerne en
fait tous les mots formés avec le préfixe cum-
( con-, col-, cor-) et au premier rang ceux de « communisme » et de
« communauté ». Il ne s’agit nullement ici d’un type de régime
politique ou d’un ensemble d’existants ayant quelque chose de commun : nous devons avec vigilance maintenir le poids ontologique – ce qui n’est pas bien sûr
sans conséquences politiques – de ces mots : « La communauté nous est
donnée avec l’être et comme l’être (…) Nous ne pouvons pas ne pas com-paraître
(…) La communauté nous est donnée – ou nous sommes donnés ou abandonnés selon
la communauté : c’est un don à renouveler, à communiquer, ce n’est pas une
oeuvre à faire. Mais c’est une tâche, ce qui est différent – une tâche infinie au cœur de la finitude »[43].
Ce qui exige des stratégies de lecture et d’écriture : « Dès qu’il
devient nécessaire de déconstruire tous les énoncés philosophiques de la
« communauté », il nereste pour recommencer que l’en »[44].
Et afin d’écarter toute dérive dans la compréhension : « Communisme est toujours exposé au risque
de devenir une idéologie et pour cette raison devrait s’employer à dissoudre
son –isme. Mais pas même commun, ni commune ne devrait rester sans
inquiétude … seul doit demeurer le cum-
. La préposition latine considérée comme pré-sentation universelle,
présupposition de toute existence et de toute disposition d’existence »[45].
Ce souci de l’ «en » double celui
de l’ «avec » ; cette dernière préposition nous réfère plus
précisément à l’analytique du Dasein
menée par Heidegger dans Sein und Zeit. Après
avoir présenté, au paragraphe 26 de cet ouvrage, Mitsein (être-avec) et Mitdasein
( être-le-là) comme des « existentiaux » constitutifs de l’être
du Dasein, et non comme des
« catégoriaux », des accidents circonstanciel, Heidegger se détourne
de cette problématique qui reparaîtra, à partir du paragraphe 72, dans une
méditation sur la temporalité et l’historialité ; c’est alors qu’il
introduira l’idée de peuple sous
laquelle sera cristallisée la possibilité pour le Dasein de faire histoire et de s’élever à la hauteur d’un
destin. Ainsi Heidegger aura-t-il été
« celui qui a dégagé avec précision l’essentialité de l’ « avec » existential et qui, pris par
ce motif du peuple, cédera à l’attraction du nazisme »[46].
En ce temps en effet, dans une ultime convulsion de la pensée, l’Europe a vu
émerger les dernières tentations et tentatives de construire une
nouvelle mythologie[47],
projet qui avait repris vigueur depuis l’époque du romantisme. On sait la puissance de mort
« aveuglante » (J.-L . Nancy) que l’idéologie nazie a su mettre en œuvre[48].
L’état de notre monde désormais a pu
être qualifié par G. Bataille : l’absence
de mythe ; à cette expression J.-L. Nancy a préféré celle de l’interruption du mythe[49].
Quand est suspendue la voix du « Grand parler »[50],
ce n’est pas un pur silence qui lui succède mais « le bruissement de la
communauté exposée à sa propre dispersion »[51],
ou encore la voix même de l’interruption, « une sorte d’écho, mais qui ne
répéterait pas ce dont il est la réverbération »[52].
Pour tenter une dernière formulation sollicitant toute la réflexion de J.-L.
Nancy dans A l’écoute[53] et
notamment les fines distinctions entre « entendre » et
« écouter », disons que la communauté est toujours à l’écoute mais ne
s’entend plus. Il n’y a pas de « spécularité auditive »,
oserions-nous dire ; la communauté ne (s’)entend plus comme un unisson, mais est exposée à la
pluralité des voix partagées. Cette révélation inachevée et inachevable de
l’être en commun est désignée par
« la littérature ». Cet être en
commun est l’articulation des voix singulières – et non une totalité organique –
qui défie « à la fois l’immanence sans parole et la transcendance d’un
Verbe »[54]. C’est
là la double exigence du « communisme littéraire ». Ainsi
n’aurions-nous plus à faire avec le mythe en tant que symptôme du désir de
l’Occident de s’approprier sa propre origine ou de lui dérober son secret. Nos
jours sont ceux de l’interruption du
mythe, de l’évanouissement de l’Occident et de la « géographie
philosophique » que ce mot suppose
et de la problématique possibilité d‘un monde[55]
au moment même de la « mondialisation ». Bien entendu la philosophie
ne reste pas indemne dans la mesure même où, si l’on en croit le récit qu’elle
donne de sa propre naissance, elle met en scène sa décision de séparer le
mythologique du philosophique, le logos
ayant pour ambition et pour difficulté de « contenir » le mythos : à la fois tenir le fictif
à l’écart du vrai, tout en le conservant à son insu ou dans la dénégation, en
son sein. Corrélativement il s’agit tout aussi bien de prétendre distinguer
l’intelligible du sensible ; ainsi une « crise »[56]
se trouvait-elle inscrite d’origine dans la pensée occidentale : comment
opérer une juste distinction et comment con-joindre les domaines
dis-joints ? Cette tension est encore l’inspiration même du fragment
fameux, Le plus ancien programme
systématique de l’idéalisme allemand »[57],
texte qui est dans le fil de la « critique » kantienne de la
« crise » et qui, dans son espérance enthousiaste, rassemble
mythologie, philosophie, politique et religion : « … la mythologie
doit devenir philosophie pour rendre le peuple raisonnable et la philosophie
doit devenir mythologie afin de rendre les philosophes sensibles. Alors règnera
parmi nous l’unité éternelle.(…) Règneront alors la liberté et l’égalité
universelle des esprits ! Un esprit supérieur, envoyé du ciel, doit fonder cette nouvelle religion
parmi nous, elle sera la dernière et la plus grande œuvre de l’humanité ».
C’est dans ce contexte historique (
philosophique, moral et politique encore une fois ) que fulgura l’expérience
littéraire de cette communauté qui porta l’Athenaeum,
revue fondée par les frères August-Wilhelm et Friedrich Schlegel à Iéna, qui
paraîtra de 1798 à 1800 . Ce témoignage du premier romantisme allemand, de
la « pratique théorique » de ce « premier groupe d’ «
avant-garde » de l’histoire »[58],
dont le surrélaisme sera en fait un « avatar »[59],
étend ses éclats et ses ombres jusqu’à nous. Il faut penser à la fois que
« Kant ouvre la possibilité du romantisme »[60]
et que « l’ Athenaeum est notre
lieu de naissance ».[61]
On se rappelle en effet que la Critique
de la Faculté de Juger ( 1797 ), la troisième donc, est un effort pour
jeter un pont sur l’ « incommensurable abîme » ( unübersehbare Kluft )[62]
qui sépare le domaine du concept de la nature de celui du concept de
liberté ; Kant pensera trouver des ressources dans sa compréhension du
jugement réfléchissant à propos du beau et du sublime, mais l’essentiel est
que, la troisième « Critique »
étant « une présentation « esthétique » du problème de la raison, (elle) lègue la question de l’art comme
question de la philosophie –moyennant
la crise ouverte quant à la possibilité en général du philosophique par l’Esthétique
transcendantale »[63].
Le résultat fondamental de cette
dernière est qu’il n’y a pas d’intuitus
originarius ; vient alors au premier plan cette question du sujet
imprésentable à lui-même et de cette éradication de tout substantialisme. Ce
hiatus introduit au cœur du sujet sollicitera la pensée de ceux qui viendront
après Kant, parmi lesquels le romantisme d’Iéna fraiera la voie de la littérature. Même si le problème de la Darstellung ( la présentation ) n’est jamais exposé comme tel, les romantiques, par
leur puissance d’invention – qu’il s’agisse de l’écriture collective, de
l’utilisation de tous les genres, du recours au « fragment », de la
mise en cause de la propriété littéraire et de l’ «autorité », jusqu’à
l’épreuve de l’anonymat – tenteront la production
de quelque chose d’inédit : « la littérature se produisant en
produisant sa propre théorie. (…) Requête où notre « modernité »
piétine encore »[64]. Ce
jugement formulé par Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy dans leur travail de
1978 et qui engage la possibilité de penser la « présentation » et la
« production » dans le registre de la finitude, reste, selon nous,
d’actualité. Comme s’il s’agissait de prendre la mesure de cette exigence du
« plus ancien programme » : « … le philosophe doit avoir
autant de force esthétique que le poète ».
A charge donc d’être toujours à l’écoute
de la littérature et de la poésie pour préserver ces actes d’écriture. Dire que
la communauté est comparution de la finitude et exposition infinie à
l’incommensurable ne doit pas être tenu pour un lieu commun, ce qui veut dire
que la notion même de lieu doit être soustraite à la vision d’un espace
articulé selon les catégories du dedans et du dehors, de l’intérieur et de
l’extérieur ; le commun du lieu est la pluralité d’une force qui s’excède
en tous sens, à l’infini, à chaque fois finie. La littérature est résistance à
toute figuration qui pèse et qui pose ( qui pause aussi ), nous l’avons dit ;
Jean-Luc Nancy parle également de la « résistance de la poésie »[65].
Poésie ne désigne pas ici un genre étroit, distinct de celui de la prose, mais
la plus grande extension du « faire » : « Tout le faire se concentre dans le faire du
poème, comme si le poème faisait tout ce qui peut être fait. Littré ( encore
lui, le poète de l’ode à La Lumière )
recueille cette concentration : « poème …de poiein,
faire : la chose faite (par excellence) »[66].
Toutefois la finition du poème n’est pas la limite de l’indéfini du mauvais
infini, mais « l’exacte existence actuelle de l’infini, son retour
éternel »[67]. C’est
que « poésie » n’a pas de sens propre, mais est accès à un sens,
« une orée du sens », chaque fois absent et repoussé plus loin. La
guise de la poésie est l’exactitude ( non la précision du par-fait) de
« l’accomplissement intégral : ex-actum,
ce qui est fait, ce qui est agi jusqu’au bout. La poésie est l’action intégrale
de la disposition au sens. Elle est à chaque fois qu’elle a lieu une ex-action de sens »[68].
La finition de la perfection, son « fini » existe une fois
« pour toutes » ; l’exactitude est une exigence incessante car
l’infini est actuel un nombre infini de fois.
D’où l’exigence d’un autre ex-,
celui de l’ « ex-cription, non le désir d’une extériorité
insaisissable, mais l’arrachement au système de la signification pour se
disposer à un sens qui excède[69].
On peut attendre de la littérature une
pratique de la résistance à toute volonté d’ériger l’hégémonie d’un sens et de le déposer dans la clôture d’un
Livre ; elle doit donc veiller à nous délivrer du Livre, gardant en
mémoire que « l’ Occident s’est noué de la crampe de l’écrivain »[70].
En fait il faut écrire « sur » le livre « pour une délivrance »[71],
dans l’espoir d’échapper à la répétition de cette pathologie : « Le
Livre est là – en chaque livre a lieu le repliement vierge du livre (Mallarmé)
– il faut écrire sur lui, le faire palimpseste,
le surcharger, brouiller ses pages de lignes rajoutées jusqu’à la pire
confusion des signes et des écritures : il faut accomplir en somme son
illisibilité d’origine, crispant sur lui l’informe épuisement de la
crampe »[72].
Injonction violente, étrange et troublante à laquelle semble répondre le
travail de Simon Hantaï qui a déjà retenu notre attention.
Le texte de J. Derrida, Le toucher, Jean-Luc Nancy[73], était
« accompagné de travaux de lecture » de l’ « artiste », une
question de toucher ou du toucher, de tangence, mais la mise en contact des
textes semble avoir ramené les « hommes de lettres » à une
contingence antérieure à toute écriture ( l’idée d’auteur suppose toujours une
nécessité intérieure, un génie, voire du génie ). Nous n’avons jamais imaginé
que Simon Hantaï avait choisi au hasard les textes dont il précise les
références et qu’il a copiés, les transformant en palimpseste de palimpseste,
jusqu’à leur quasi disparition. Nous les avons donc relus. Le texte de J.-L.
Nancy est prélevé dans un chapitre de Etre
singulier pluriel intitulé : l’ « analytique
co-existentiale » ; il y est question plus précisément du
« Soi », le venant-à-être et ainsi venant-à-l’être ; il vient
« auprès de soi » « dans l’écartement de la disposition »
(ce sont les mots de J.-L. Nancy). Quelques lignes avant le passage recopié, on
trouve une définition du « Soi » qui n’a pas pu laisser Simon Hantaï
indifférent : le « soi » comme « la pliure plurielle
d’origine ». Quant au texte de J. Derrida, il est tiré de Donner le temps, I, La fausse monnaie[74] ;
il traite du don à la fois comme générosité et pouvoir génial d’engendrer (
nous ajouterons de « créer, nous autorisant du titre du dernier échange
épistolaire entre Simon Hantaï et J.-L. Nancy : Jamais le mot « créateur » … ). N’oublions pas que ce
brouillage et cette confusion des textes sont opérés alors qu’il est question d’une possible
« exposition »[75]
du travail de Simon Hantaï, discussion que la mort interrompra. Les notions
d’auteur, de créateur, d’œuvre s’y trouvent, pour ainsi dire, dissoutes. Tout
se passe comme si se jouait le déplacement d’une exposition comme ouverture à
l’incommensurable à une exposition comme reconduite de la pensée à ce que nous
appelerons son « ombilic » ( en écho de ce que Freud nommait
« l’ombilic du rêve » ou du titre donné par Artaud à son recueil de
poèmes « impubliable », L’ombilic
des limbes , dans l’indéchiffrable d’un infini matériel. L’envers en
quelque sorte de la question de J.-L. Nancy que nous avons rappelée au sujet
d’une création qui « se » forme de « rien ».
Pierre-Philippe
Jandin
Septembre
2013.
[1] J.-L. Nancy, L’Intrus, Galilée, 2000, p. 31-32. En 2005, Claire Denis a réalisé
un film, L’Intrus, inspiré par le
texte de J.-L. Nancy.
[2] J. Derrida, « La pharmacie de
Platon », dans La Dissémination,
Eds. du Seuil, 1972. Nous soulignons. Référence à Platon, Le Sophiste, 241d-242a.
[3] On peut relire le texte de J. Derrida
consacré à Bataille lecteur de Hegel : « De l’économie restreinte à
l’économie générale. Un hegelianisme sans réserve », dans L’Ecriture et la Différence, Eds. du
Seuil, 1967. D’une certaine manière, on peut admettre que J.-L. Nancy et J.
Derrida tiennent l’Aufhebung pour une
« cible décisive », pour reprendre l’expression de ce dernier dans De la Grammatologie, Eds. de Minuit,
1967, p. 40.
[4] Dictionnaire rédigé par des Jésuites de 1701 à
1774, en réponse, pourrait-on dire au Dictionnaire
de Furetière publié en 1690, deux après sa mort et quatre ans avant la première
édition du Dictionnaire de l’Académie
française. Cette définition des « lettres » est rappelée dans le Robert.
[5] La définition des
« humanités » donnée par le Littré
mérite d’être rappelée : « Classes dans les collèges et lycées
comprenant l’enseignement au-dessus
de la grammaire jusqu’à la philosophie exclusivement,
et dites aujourd’hui classes des lettres »
( Nous soulignons ).
[6] Jean-Luc Nancy, Des lieux divins, TER, 1987, p. 31.
[7] J. Derrida, La Dissémination, Eds du Seuil, 1972, coll. « Points »,
p. 12.
[9] Ce que nous disons à l’instant n’est
pas oublieux du texte de J. Derrida : « Je dirais donc d’abord que la
différance, qui n’est ni un mot ni un
concept, m’a paru stratégiquement le
plus propre à penser sinon à maîtriser (…) le plus irréductible de notre
« époque » », « La différance » dans Marges,
Eds de Minuit, 1972, p.7 (nous soulignons).
[10] Ainsi s’exprime J. Derrida dans son
dialogue avec J.-L. Nancy, « Responsabilité – du sens à venir », en
clôture du colloque organisé en février 2002 par F. Guibal et J.-Cl. Martin, Sens en tous sens. Autour des travaux
de Jean-Luc Nancy, Galilée, 2004,
p. 167.
[11] Puisqu’il s’agit ici d’intrusion, par
force ou par ruse, nous avions pensé un instant retenir la qualification d’ « hommes de
plume » pour nos deux penseurs, songeant à la « plume » dont
parle Jean Genet dans le Miracle de la
rose, Gallimard, O. C., II, 1953, p. 205 : « Tous les
cambrioleurs comprendront la dignité dont je fus paré quand je tins dans la
main la pince-monseigneur, la « plume » ». Ce texte est
« collé » par J. Derrida dans une note de son texte, « La parole
soufflée », dans L’Ecriture et la
Différence, op. cit. p. 274.
Toutefois le contexte de ce « collage » - l’érection impossible du
corps propre chez A. Artaud – nous a semblé un peu éloigné de notre souci du
jour, encore qu’une approche critique du « phallogocentrisme » ne
puisse ignorer le sens de l’érection.
[13] Ibid..
[14] Simon Hantaï avec Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy, La connaissance des textes. Lecture d’un manuscrit illisible.(
Correspondances), Galilée, Archives Simon Hantaï, 2001-2013.
[15] Dans la présentation de l’ouvrage,
J.-L. Nancy recourt deux fois au lexique de
l’ « accompagnement » : la correspondance qui accompagne
les travaux, la lettre de J. Derrida qui accompagne
l’accompagnement. Double manière de
varier sur le cum-, l’être avec.
[19] On nous pardonnera de rappeler notre
article, « Un auteur louche », consacré à Madame Edwarda de G. Bataille, parue dans la Revue des Sciences humaines, « La littérature dans la
philosophie », 1982. Dans son
ouvrage Après coup, Eds de Minuit,
1983, p. 91, Maurice Blanchot évoquait
ce travail dont il disait du bien pour mieux en conclure qu’on ne pouvait
« présenter » G. Bataille.
[21] Mallarmé, Œuvres complètes,, Gallimard, La Pléiade, 1965, p. 310.
[22] La Dissémination, op. cit., p. 219.
[24] Jean-Luc Nancy, « Un jour les dieux se retirent … ».
Littérature/Philosophie : entre deux », William Blake & Co.
Edit., 2001, p. 10.
[25] Jean-Luc Nancy, La Connaissance du monde ou la mondialisation, Galilée, 2002, p.
9-10.
[26] Ibid., p. 54. En toile de fond de ce geste,
toute l’entreprise de « déconstruction du christianisme » menée par
J.-L. Nancy dont La Déclosion (
Déconstruction du christianisme, 1 ), Galilée, 2005 et L’Adoration, (Déconstruction du christianisme, 2 ), Galilée, 2010,
sont les principaux jalons. On sait que
J. Derrida restait quelque peu interdit devant cette tentative peut-être
à la fois nécessaire et impossible, comme il le dit plusieurs fois dans Le toucher Jean-Luc Nancy, Galilée,
2000.
[28] Simon Hantaï, Jean-Luc Nancy, Jamais le mot de « créateur » … (
Correspondance 2000-2008 ), Galilée, Archives Simon Hantaï, 2013. Le titre
est emprunté à un texte de J.-L. Nancy citant Simon Hantaï, p. 154.
[30] Jean-Luc Nancy, « La différance ici et maintenant », Le Magazine littérraire, n° 498, juin 2008.
[31] Limes peut être traduit par
« sillon ». Nous serions tenté par « sillage », qui de
referme à mesure qu’il s’ouvre, trace d’un passage.
[32] J. Derrida, La Dissémination, op. cit., pp. 73-74.
[33] Mallarmé, « La Musique et les
lettres », O. C., op. cit. p. 646.
[34] J.-L. Nancy, La communauté désoeuvrée, op. cit.. Une note liminaire pour la
troisième édition de 1999 précise que le travail entrepris dans cette ouvrage
s’est poursuivi dans La comparution (
avec Jean-Christophe Bailly ), Christian Bourgois Ed., 1991 et dans Etre singulier pluriel, Galilée, 1996.
[35] La
Dissémination, op. cit.,
note 67, p. 189. Bien sûr nous n’oublions pas la greffe du cœur qu’a subie J.-L. Nancy et dont parle L’Intrus ; mais cette intervention
chirurgicale est elle-même greffée sur la problématique du rapport entre
identité, propriété et technique. Quant à la « greffe
textuelle », J.
Derrida souhaitait qu’on en élaborât un « traité
systématique » : « Entre autres choses, il nous aiderait à
comprendre le fonctionnement d’une note en bas de page, par exemple, aussi bien
que d’un exergue, et en quoi, pour qui sait lire, ils importent parfois plus
que le texte dit principal ou capital. Et quand le titre capital devient
lui-même un greffon, on n’a plus à choisir entre la présence ou l’absence du
titre », La Dissémination, op. cit. p.
250.
[36] Ce terme est utilisé dans L’Intrus, op. cit., p. 18.
[38] Ilarie Voronca ( Braïla, 1903 – Paris,
1946 ), La poésie commune, Paris, Guy
Lévis Mano, 1936 ; ainsi, par exemple : « … Nous parlions / Des
terres fécondes de l’avenir. / Et des poètes qui appartiendront aux
foules » . Nous souhaitons remercier vivement Mme Rodica Paléologue,
responsable des fonds roumains et italiens à la Bibliothèque Nationale de
France, de nous avoir fait découvrir cet écrivain roumain puis français.
[40] La
communauté désoeuvrée,
op. cit., p. 66-67. J.-L. Nancy
souligne. Il reconnaîtra à la fin de son ouvrage, p. 197, que son geste n’est
pas sans « provocation », tout en précisant que « cette
appellation ne renonce pas, en même temps, à être un hommage nécessaire à ce
que le communisme et les communismes, d’une part, la littérature et les
écrivains, d’autres part, auront signifié, pour une époque de notre
histoire ». On pourra consulter, en
ce qui concerne l’histoire des idées, le travail de Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Eds. du
Seuil, 1997.
[42] Une grande partie des travaux de G.Bataille
et de M. Blanchot sont voués à l’exploration de cette expérience littéraire. On
relira le livre de J.-P. Sartre « Qu’est-ce
que la littérature ?, Gallimard, 1948. On se référera à l’ouvrage
écrit « en » commun – il y en eut d’autres- par Ph. Lacoue-Labarthe
et J.-L. Nancy, L’absolu littéraire.
Théorie de la littérature allemande., Eds. du Seuil, 1978.
[45] « Communisme, le mot », dans L’Idée
du communisme, Lignes, 2010.
[46] Le fil directeur de notre propos est ici un
article de J.-L. Nancy, « L’être-avec de l’être-là », paru dans les Cahiers philosophiques, n° 111,
oct.2007. On peut lire avec profit dans ce même numéro un entretien avec J.-L.
Nancy conduit par Frédéric Postel.
[47] Un des principaux documents, avec Mein Kampf, de l’ entreprise nazie fut l’essai publié par
Alfred Rosenberg en 1930, Der Mythus des
zwangzigsten Jahrhunderts.
[48] Cf. Léon Poliakov, Le Mythe aryen, Calmann-Lévy,
1971 ; Ph. Lacoue-Labarthe et J. –L. Nancy, Le mythe nazi, Eds. de l’Aube, 1991.
[50] Cf. Pierre Clastres, « Le Grand
parler : mythes et chants sacrés des Indiens Guaranis », Eds du
Seuil, 1974.
[53] J.-L. Nancy, A l’écoute, Galilée, 2002.
[55] Cf. notre entretien avec Jean-Luc
Nancy : Jean-Luc Nancy : la
possibilité d’un monde, Eds Les Petits Platons, 2013.
[56] Krisis, en grec, est de la même famille que
le verbe krinein : cribler,
tamiser, d’où juger. L’allemand rappelle que le jugement est partition
originaire ( Ur-teil ), le français
qu’il est jonction, ajointement (jugum : le joug).
[57] Texte cité et traduit par Ph.
Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy dans leur ouvrage L’absolu littéraire …, op. cit.. L’’énigme de ce document mérite
d’être rappelée. L’hypothèse la plus probable est que le manuscrit, qui est de
la main de Hegel, serait la copie ( datant de mars ou de l’été 1796 ) d’un
texte rédigé quelque temps auparavant par Schelling, mais pour une part en tout
cas sous l’influence de Hölderlin, rencontré en 1795 – en l’absence de Hegel –
à Stuttgart.
[58] L’absolu
littéraire …, op. cit.,
p. 17. Nous nous appuyons directement ici sur les pages denses et lumineuses de
l’ « Avant-propos » et de l’ « Ouverture » de cet
ouvrage.
[61] Ibid., p. 17.
[62] E. Kant, Critique de la Faculté de Juger, trad. A. Philonenko, J. Vrin,
1965, p. 25.
[65] J.-L. Nancy, Résistance de la poésie,
William Blake & Co, 2004. Ouvrage composé de deux textes :
« Faire la poésie » (1996) et « Compter avec la poésie »
(1995). Ce dernier titre est une expression de G. Bataille ( qu’il écrit « compter avec la poésie ») dans un article de Critique, n° 15-16 : « Le
surréalisme en 1947 » ( O.C.,XI, Gallimard, p. 260 ).
[67] Ibid..
Sur ces notions de
fini, d’infini et de finitude, on lira l’article très nuancé de Henri Birault,
« Heidegger et la pensée de la finitude », Revue Internationale de Philosophie », n° 52, 1960.
[68] Ibid..
[69] Il serait intéressant de traiter
l’exemple de l’excription du corps. Nous ne le pouvons ici, faute de temps. Cf.
Corpus, Eds Métailié, 1992.
[70] J.-L. Nancy, « Les raisons
d’écrire » dans Misère de la
littérature, Christian Bourgois Ed., 1978, p. 84.
[71] Ibid., p. 85. En latin liber, libre et liber,
livre ne différent que par la longueur de la première voyelle.
[72] Ibid..
[73] J.-L. Nancy, Etre singulier pluriel, op.
cit..
[74] J. Derrida, Donner le temps, I, La fausse monnaie, Galilée, 1991.
[75] Ausstellung, certes, et non Darstellung, mais la proximité des deux termes n’est pas
insignifiante.
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