vendredi 21 novembre 2014

Deleuze selon David Lapoujade





JCM/ Vous abordez Deleuze en invoquant des concepts assez surprenants pour le lecteur que je suis : mouvement, encyclopédie, logique... des concepts assez Hégéliens, je dirais... Mais, il s'agit de mouvements aberrants pour une encyclopédie qui ne revient pas sur elle-même, ni autour d'un centre et selon une logique qui évidemment n'a rien de dialectique. Comment ce concept, ce titre, a-t-il surgi dans votre lecture de Deleuze, entre bien d'autres. Anne Sauvagnargues s'était penchée sur l'idée d' "empirisme transcendantal", je m'étais intéressé au concept de "multiplicités", vous, vous entrez par une porte qui donne le sentiment d'une "philosophie mineure". Comment percevez-vous le mouvement de ce concept dans l'œuvre de Deleuze? Où le repère-t-on pour la première fois sous sa plume?

DL/ Je ne sais plus trop bien comment le motif des mouvements aberrants m’est apparu central chez Deleuze. Il est vrai que la notion de mouvement aberrant peut paraître « mineure » comme vous le dites, dans la mesure où elle n’a pas la charge philosophique de notions comme celles d’immanence, de virtuel, d’événement, d’expression dont on connaît l’importance chez Deleuze. Ce qui renforce cette impression, c’est qu’elle n’apparaît nommément qu’assez tard dans son œuvre, avec les livres sur le cinéma, semble-t-il. Mais n’est-ce pas comme la notion de « pli » tel que Deleuze la repère chez Leibniz ? C’est un terme mineur chez Leibniz, mais que Deleuze transforme et utilise comme concept. De la même manière, je me suis servi des « mouvements aberrants », non pas comme concept, mais comme opérateur conceptuel. À mes yeux, la notion est présente partout, dès les premiers textes, dès le texte sur les îles désertes. Le mouvement qui consiste pour le naufragé à recréer l’île pour en dégager la « pure conscience » est déjà un mouvement aberrant.
Vous invoquez l’empirisme transcendantal ou la théorie des multiplicités comme entrées possibles chez Deleuze. Bien sûr, et sans doute y a-t-il beaucoup d’autres entrées possibles dans son œuvre, comme dans un terrier. Mais la plupart de ces entrées se font, pour ainsi dire, de l’intérieur de la pensée de Deleuze. C’est comme un deleuzianisme du dedans. Mon but est différent, quoique tout aussi « deleuzien », je l’espère : il ne s’agit pas de montrer comment sa pensée se déploie comme empirisme transcendantal, philosophie de l’immanence, théorie des multiplicités, etc., mais de montrer autour de quel foyer elle se problématise, quel problème la constitue.
Or une des conditions dégagée par Deleuze, c’est que la pensée ne peut pas énoncer le problème qui pourtant la fait penser. Le problème qui anime de l’« intérieur » une philosophie lui échappe nécessairement, lui est nécessairement « extérieur » en ce sens qu’il n’apparaît pas explicitement dans l’œuvre, qu’il n’y est énoncé nulle part. Le problème est toujours intérieur/extérieur, sur la limite qui les rapporte l’un à l’autre. À ce titre, ni l’empirisme transcendantal ni la théorie des multiplicités ni le concept d’événement ne peuvent constituer le problème de sa philosophie puisqu’ils sont l’objet de définitions explicites, répétées chez Deleuze. C’est un deleuzianisme du dehors, si l’on veut, puisqu’il s’agit de partir d’un problème « extérieur » à sa philosophie, mais dont j’essaie de montrer qu’il l’anime de l’« intérieur » et qu’il traverse toute son œuvre, celle écrite seule et celle co-écrite avec Guattari.
L’autre point, c’est que j’ai toujours cru que, pour une certaine lignée de penseurs dont Deleuze fait partie, un problème a quelque chose d’affectif ou de vital, de « non-philosophique ». Le problème d’une philosophie ne peut pas être seulement philosophique. Une philosophie ne peut pas seulement consister dans l’exposé d’une doctrine, dans la volonté de surmonter ou d’instaurer un monisme, un dualisme, un pluralisme, de construire un système, ou d’en renverser un autre. Cette conviction, je la tiens bien sûr de Deleuze, mais d’abord de Nietzsche et de sa « psychologie ». Il faudrait « deviner » les auteurs au sens où Nietzsche demande : « T’ai-je bien deviné, Spinoza ? ». Il n’y a là rien de psychologique au sens ordinaire du terme ; il s’agit plutôt de remonter vers ce qu’il y a de vital dans la position d’un problème philosophique. Je n’ai certes pas la prétention d’avoir « deviné » Deleuze, seulement d’avoir indiqué que le problème de sa philosophie est un problème vital.
Certes, les mouvements aberrants chez Deleuze ne constituent pas un problème par eux-mêmes, mais ils sont les signes du problème. Pourquoi Deleuze a-t-il besoin d’en passer par la fêlure chez Fitzgerald, la généalogie détraquée des Rougon-Macquart, par la perversion du Robinson de Tournier, par le juridisme étrange de Masoch, par la perversion de Rousseau, par la logique paradoxale de Lewis Carroll, par la schizophrénie d’Artaud, par l’« inorganisation réelle » du désir de Lacan, par les déterritorialisations nomades, par l’acte si étrange de plier, déplier, replier chez Leibniz, par les figures défigurées de Bacon ? À quel problème cela renvoie-t-il ? Cela permet-il de « deviner » le problème de Deleuze ? À quelle nécessité vitale, avant d’être théorique, cette sorte d’encyclopédie renvoie-t-elle ? Telles sont les questions d’où partent mon livre. Les mouvements aberrants sont à la fois un opérateur conceptuel et les signes ou symptômes d’un profond problème. En un mot, la notion de « mouvement aberrant » est une notion à la fois mineure et centrale.

JCM/ Vous cherchez donc le point d’extériorité qui d’une certaine manière force à penser et dessinerait la ligne d’affrontement de la philosophie de Deleuze en tant que problème, problème vital qui fait la difficulté de penser propre à cet auteur. Impossible du coup d’invoquer le déterminant absolu ou encore ce qui se trouverait déterminé complètement  - un calcul d’historien de la philosophie pour en rendre raison... Mais si les déterminités ne sont pas clairement posées, il y a une détermination, un souffle qui dessine la carte d’un tel champ d’exploration. Il y a un problème deleuzien disons qui vous lance à sa poursuite. Lequel ? Qu’est-ce précisément qu’un mouvement aberrant ? Et comment se conjugue et se décline le problème que Deleuze rencontre et qu’il partage avec Guattari ?

DL/ Deleuze a toujours dit que, s’il n’avait pas fait de la philosophie, il aurait fait du droit. C’est dans L’Abécédaire qu’il évoque sa passion pour la jurisprudence. Mais en réalité, la philosophie ne s’est-elle pas confondue pour lui avec la question : de quel droit ? Quid juris ? N’est-ce pas cette question qui revient sans cesse dans son œuvre ? On objectera que ce problème n’a rien de proprement deleuzien puisqu’on le rencontre déjà chez Kant et chez les néo-kantiens. Mais, en réalité, Deleuze lui trouve une origine plus lointaine encore. L’histoire de cette question commence avec Platon. C’est Platon qui, le premier, dresse une vaste machine destinée à distribuer le droit qui revient à chacun en fonction de son mérite. En ce sens, il est le premier à poser la question : quid juris ? Deleuze voit dans le platonisme une rivalité entre des prétendants dont les droits sont légitimés en fonction de leur degré de soumission à un fondement supérieur. C’est en effet l’instauration d’un fondement qui permet de légitimer le droit revendiqué par chaque prétention. La question quid juris ? se confond avec celle de l’instauration d’un fondement.
La question devient proprement deleuzienne lorsqu’il s’agit de renverser tout fondement, mais au nom même de la question : de quel droit ? Car cette question doit être adressé au fondement lui-même. D’où le fondement tire-t-il sa légitimité ? De quel droit prétend-il distribuer le droit ? C’est toute la perversion de la démarche deleuzienne : le fondement doit être renversé au nom même de la question qui permettait de l’instaurer. Il en résulte alors deux tâches : une tâche critique qui consiste à renverser les pensées du fondement (c’est le leitmotiv du « renversement du platonisme » dans Différence et répétition) et une tâche positive, créatrice qui consiste à instaurer une « nouvelle image de la pensée », une pensée sans fondement — dont témoignent justement les mouvements aberrants.
On jugera peut-être que ce sont des questions très classiques qui disparaissent ensuite lors de la collaboration avec Guattari. Mais d’abord, Deleuze s’est toujours senti un philosophe classique, comme il vous l’a d’ailleurs écrit dans une lettre. Ensuite, je crois que cette question persiste tout au long de l’œuvre, y compris dans les livres écrits avec Guattari. Quand, dans Mille plateaux, ils opposent l’arbre et le rhizome, n’est-ce pas avant tout une opposition entre la pensée-fondement et la pensée sans fondement ? Lorsqu’ils critiquent Œdipe, n’est-ce pas parce que la psychanalyse veut fonder l’inconscient sur une structure triangulaire, elle-même fondée sur la loi du signifiant ? Inversement, les processus schizos ne sont-ils pas des expérimentations libérés de tout fondement ? On pourrait multiplier les exemples, comme je le fais dans le livre en espérant montrer la persistance de cette question. La lutte contre le fondement est constante et la question quid juris ? n’est pas seulement épistémologique, elle est éthique, politique, esthétique, ontologique : elle traverse tout. Deleuze et Guattari lui donnent une extension considérable.
Alors si les « mouvements aberrants » sont si importants, c’est justement parce qu’ils témoignent d’un nouveau droit, le droit de ce qui se dérobe à l’action du fondement et à sa rationalité. Les mouvements aberrants obéissent en effet à deux exigences : d’une part, ils sont inexplicables d’un point de vue rationnel, ils n’ont aucun fondement ; mais d’autre part, ils sont absolument nécessaires, « forcés », ils obéissent à une logique impérieuse. C’est même l’un des traits les plus essentiels de la philosophie de Deleuze : produire, créer les logiques irrationnelles de ces mouvements aberrants. Bref, les mouvements aberrants sont porteurs d’un nouveau droit en même temps que d’une nouvelle image de la pensée.

JCM/ En quittant cette ligne du fondement, en effondant le fondement, se lève une nouvelle géographie de la pensée qui éprouve des événements au découpage bien réel, avec des singularités tout à fait remarquables. Au point de rendre possible  l’expérience de quelque chose que Deleuze appelle encore l’Idée, qui n’est pas un pur désordre, mais tout autant une formation sensible. S’agit-il alors dans cette épreuve d’une conscience, d’un sujet correspondant pour accompagner ces mouvements dangereux ? Quels procédés de subjectivation ?

DL/ Deleuze conserve la notion de sujet, mais à condition de le concevoir comme sujet d’expérimentation. Cela ne veut pas dire que le sujet mène des expériences, mais qu’il est lui-même une expérimentation, qu’il se vit comme un processus d’expérimentation. C’est en ce sens que Deleuze parle, dans Différence et répétition, d’un « sujet larvaire », apte aux métamorphoses, aux transformations, dont le caractère informel le rend apte aux mouvements aberrants, à la limite du vivable, du pensable, de l’imaginable, du mémorable, etc. Cela ne vaut que pour la part informelle de nous-mêmes, et non pour la part organisée, déjà formée, pour laquelle il est « trop tard ». En ce sens, il y a deux conceptions du sujet chez Deleuze : le sujet en tant que forme organisée classique et le sujet informel, le « sujet » des mouvements aberrants qui nous traversent et nous entraînent dans des devenirs. Il y a le sujet constitutif de l’expérience et le sujet constitué par ses expérimentations.
Avec Guattari, il me semble que cette conception se déplace et s’énonce en termes nouveaux ; c’est manifeste dans L’Anti-Œdipe à travers la distinction entre le sujet œdipianisé et le « schizo » ; mais cela devient encore plus manifeste dans Mille plateaux où l’on n’a plus tant affaire à des sujets qu’à des agencements de populations. Le sujet se comprend à partir des populations qui le composent. Un sujet, c’est un mode de peuplement. Ce sont des populations qui se territorialisent, se fixent sur des territorialités pour s’organiser et se former, et qui se déterritorialisent, migrent, favorisent dans le meilleur des cas des devenirs comme autant de mouvements aberrants. Chaque monade est conçue comme une peuplade, comme une multiplicité de multiplicités. On sait bien que, dans Mille plateaux, le sujet tend à être conçu à partir des multiplicités qui le composent et des territorialités qu’elles se créent par leurs agencements. Toute la question est alors de savoir comment ces multiplicités productrices, libidinales se distribuent. Pour qui ou pour quoi travaillent-elles ? À quoi sont-elles asservies et assujetties ? À quelle forme-sujet sont-elles soumises ? Dans quelles formes d’expériences organisées, quels types d’espaces-temps segmentarisés les processus d’expérimentations entrent-ils ? Et quelles sont les multiplicités qui échappent à ces formes d’asservissement et d’assujettissement ? Quelles nouvelles territorialités, quels nouveaux espaces-temps créent-elles pour échapper — autant qu’il est possible — à la forme-sujet ? Ce sont ces questions — familières aux lecteurs de Mille plateaux — qui traversent l’ouvrage.
Qu’il s’agisse d’une épreuve comme vous le suggérez, c’est évident puisqu’il s’agit d’expérimentations. Les expérimentations, ce n’est pas nous qui les décidons, ce sont plutôt elles qui décident de nous et de ce que nous devenons, suivant un amor fati d’inspiration stoïcienne et nietzschéenne. Bien plus, ces expérimentations sont inséparables de processus d’autodestruction. On invoque souvent le vitalisme de Deleuze et l’affirmation de la joie corrélative, mais ce vitalisme est inséparable des morts partielles par lesquelles les mouvements aberrants nous font passer. Ce qui se voit détruit, ce sont précisément les formes-sujet qui nous territorialisent, au risque de tout emporter et de tout détruire.
Disons qu’il faudrait, là encore, distinguer deux types d’autodestructions : d’un côté, une autodestruction négative, celle qui nous emporte dans une « passion d’abolition » mortifère et, de l’autre côté, une autodestruction positive, l’autre nom des métamorphoses par lesquelles nous font passer les variations intensives du désir. C’est ce qui explique, me semble-t-il, l’importance donnée à l’instinct de mort dans Différence et répétition, comme instance à la fois positive et négative, suivant le sens de nos expérimentations. Je tente de montrer dans le livre que l’instinct de mort ne disparaît pas, mais subit une transformation avec Guattari : il devient machine de guerre. La machine de guerre nomade de Mille plateaux, c’est l’instinct de mort de Différence et répétition. La machine de guerre est une machine de destruction tantôt positive (lorsqu’elle est au service des populations nomades), tantôt négative (lorsqu’elle passe au service des appareils d’État et du capitalisme). Elle est comme la mort de Différence et répétition, libératrice lorsqu'elle est au service des puissances de vie, mortifère lorsqu’elle entraîne les puissances de vie dans un trou noir où tout s’abolit.

JCM/ Sortons alors du trou noir pour des lignes et des cartes vitales. L'œuvre de Deleuze dans mon esprit s'est recomposée selon un itinéraire particulier. Une ligne qui va de "Différence et Répétition" en direction de Kant et Bergson pour peupler un espace qui se caractérise par des expressions, des plis leibniziens, des mouvements de clarté et d'obscurité dont "L'Image-mouvement" et "L'Image-temps" caractérisent le régime de perception. C'est la perception qui m'a toujours intéressé et c'est avec elle que j'ai continué partout pour des formes contemplatives qui ne sont plus celles de l'intuition, de l'esthétique, anesthétiques en un certain sens. Je suppose qu'Anne Sauvagnargues aurait sans doute élaboré une autre cartographie, avec Proust, Nietzsche, Spinoza... Zourabichvili quant à lui reprend la question de l’événement…  Voilà, j'aurais envie de vous demander votre cartographie deleuzienne... Comment se compose-t-elle, par où elle passe ? J'ai le sentiment en vous lisant qu'il y a quelque chose de plus politique dans votre approche. Vous en pensez quoi?

DL/ Je ne raisonne pas trop en ces termes. Je sais qu’on peut faire des livres sur l’esthétique de Deleuze, sur sa politique, son ontologie, sa métaphysique, etc. Et sans doute chaque étude suit-elle une cartographie distincte des autres, comme vous le dites. Je prends très au sérieux la transversalité qu’ils ont mis en place avec Guattari : la manière dont une question traverse des domaines, migre et se transforme d’un champ à un autre : art, politique, science, philosophie. Les problèmes, les Idées ne cessent de migrer. Cela ne veut pas dire que le concept préexiste, mais qu’il est créé, modulé selon les rencontres, les domaines qu’il traverse. Un des impératifs de Deleuze et Guattari, c’est que la migration du concept ne se fasse pas par métaphore. On sait bien que la métaphore est un moyen de transport, mais ce n’est pas celui qu’ils utilisent. Il faut au contraire s’en remettre à la littéralité comme l’a montré François Zourabichvili dans de très belles pages. On voit bien dans L’Abécédaire, la jubilation qu’éprouve Deleuze de voir que le problème du pli déborde du livre, de la stricte philosophie pour migrer ailleurs, avec la fameuse « rencontre » avec les surfeurs. Mais déjà Le Pli faisait travailler le concept de pli dans toutes les directions, épistémologique, esthétique, ontologique et même politique, sans qu’il y ait rien de métaphorique. Il s’agit plutôt de suivre la puissance morphogénétique d’un concept, parcourir sa zone de survol, se laisser déterritorialiser et reterritorialiser par ses coordonnées mouvantes.
Alors vous dites que mon livre suit une carte plutôt politique. C’est vrai, et sans doute l’époque actuelle y est-elle pour beaucoup, mais cela tient au fait que je ne dissocie pas politique et esthétique. À partir d’un certain moment, en parlant de « politique » chez Deleuze, j’ai l’impression de parler tout autant d’« esthétique » si on tient à conserver ces distinctions — et justement à propos de la question de la perception dont vous parlez. Vous invoquez votre intérêt pour cette question chez Deleuze. Mais justement la perception ne devient-elle pas un problème de plus en plus politique chez Deleuze ? C’est comme ce que dit Kaurismäki au sujet du film Le Havre. Il ne peut pas faire un film engagé mais, précise-t-il aussitôt, il a passé l’âge de faire un film apolitique. Les livres sur le cinéma, la disjonction qu’ils introduisent entre voir et parler, et qui sera reprise dans le Foucault, ne sont-ils pas profondément politique en ce sens ? C’est ce que je tente de montrer dans le chapitre « Fendre la monade », le lien profond entre voir/parler et agir. Toute perception est politique, même si son fond est non-politique. C’est la grande leçon du cinéma des Straub ou de Syberberg qui se raccorde au texte sur les sociétés de contrôle dans Pourparlers. Ce n’est ni une esthétisation du politique, ni une politisation de l’esthétique, mais une inséparabilité en droit dont témoignent les actes de perception — que Deleuze définit comme « voyance » — et les actes de fabulation comme créations de nouvelles populations. Dans les deux cas, il s’agit de rendre audibles et visibles des populations « minoritaires », qu’elles soient picturales, musicales, politiques ou sociales. Tout ne se mélange pas, tout n’est pas au même niveau, mais les deux processus sont inséparables. Ce sont les perceptions qui engendrent de nouvelles formes de lutte, de « résistance » et de création, conformément à l’empirisme deleuzien, pourvu qu’il soit conçu comme expérimentation des puissances de vie.


David Lapoujade, propos recueillis par J.Cl. Martin.


1 commentaire:

  1. J'ai bien aimé ce livre! Parfois il y aura un autre point de vue aussi puissant que celui de Zourabichvili...

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