Vivre sans musique est
difficile, non parce qu’il serait impossible de s’en passer, comme de certaines
nourritures, du tabac ou de l’alcool, mais parce qu’il faut trouver le lieu et
tout simplement l’espace de silence nécessaire. La musicolâtrie contemporaine a
atteint un niveau sonore tel et une aire si vaste qu’il faut presque fuir comme
Caïn afin de tenter, mais en vain, de lui échapper. Une chape de silence est
assurément éprouvante, on la dit de plomb, mais une chape de bruit, de musiques
mélangées ou de sirop musical confinent à la torture. L’état de fait est bien
connu, le constat critique l’est bien moins, puisqu’on semble sinon s’en
accommoder, du moins s’en faire une mauvaise raison. « La haine de la musique », a-t-on
relevé avec Pascal Quignard, en vient à prendre forme dans la désolation, dont
la seule mesure est l’amour qu’on lui porte en vérité. « Enfin le silence ! » se surprend-t-on aussi à constater, presque avec étonnement
dans telle ou telle, rare, circonstance. On dira qu’il s’agit d’une pollution
supérieure, à la fois immédiate et violente, et lourdement insidieuse. Et aussi
qu’elle brouille les territoires, ceux qui délimitent les espaces d’évolution
subjective de chacun, ses rêveries secrètes et ses tonalités propres. En somme,
elle touche aux libertés en s’en prenant aux tympans, en imposant sa loi et,
pour faire mention d’une humeur qui n’est pas si grincheuse que cela mais logiquement
déduite de l’état de fait, elle n’offre
qu’une musique fabriquée qui, loin de séduire, nous ramène aux Sirènes dont,
comme chacun sait, il faut se méfier. Sauf encore, qu’en la circonstance – au
restaurant, dans la rue, chez soi lorsque les voisins éprouvent par ce biais de
manifester qu’ils existent, c’est-à-dire qu’ils ont malgré tout des émotions,
en faisant partager fenêtres ouvertes leur léger enthousiasme du moment, au feu
rouge lorsqu’on est secoué par les vibrations du véhicule qui piaffe à nos
côtés, etc. –, la musique est sans musicalité, c’est-à-dire qu’elle ne retient
pas l’attention sur « elle », car un tel « soi » n’existe
pas, mais n’existe que sa réalité sonore qui fait obstacle comme le feraient,
au titre de réalité incontournable, cet arbre ou encore ce mur.
À la vérité, la situation
n’enveloppe pas nécessairement un jugement sur la nature de ce que l’on entend.
Chacun n’a-t-il pas fait l’expérience, n’importe où, par une chanson entendue à
l’improviste, par une musique se déployant comme un large et beau tissu depuis
une fenêtre, par l’équivalent de cet Ave
Maria de Schubert, joué à l’accordéon et provenant de quelque boyau éloigné
comme d’un autre monde, qui m’a ému aux larmes, un jour sinistre dans le métro
parisien, que la musique devait venir d’elle-même, qu’elle avait son intention,
qu’en somme elle (nous) parle ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, qu’elle parle
au moyen de sa distinction propre, de sa grammaire et de sa syntaxe, et qu’elle
est adressée et reçue. À l’inverse, lorsqu’elle est sans provenance, pour ainsi
dire objectivement lâchée dans l’air comme un nuage de pollution, lorsqu’elle
vise à pallier quelque vide présupposé, lorsqu’enfin elle tourne comme une
machine à laquelle personne n’est même censé faire attention, lorsqu’elle
configure la réalité, remplit et teinte toute sa présence phénoménale jusqu’à
la saturer, alors elle écrase toute chose, toute situation dans une
artificialité négative, au point qu’elle empêche et d’entendre et de voir la
moindre réalité. Ainsi, elle arrache de ce lieu (ce restaurant, cette rue que
je parcours, même ce parking souterrain qui a sa vie, ses bruits et ses odeurs),
de ce moment (le travail auquel je me livre, ce moment de solitude dans la
voiture, cet instant partagé dans une conversation). En somme, elle détruit la
réalité jusqu’à ses possibilités.
Peut-être, si l’on exagère
un peu, comme font les philosophes, pourra-t-on affirmer que dans cette
musicolâtrie, le terme même nous y porte, on tient précisément une idôlatrie.
Non pas à vrai dire une religion, mais sa forme la plus archaïque, la plus
élémentaire en tout cas. Déjà Platon savait que la musique est ce qui pénètre
le plus facilement et le plus rapidement dans l’âme. Par quoi elle occupe son
espace, la fait flotter au gré des humeurs, la désidentifie a volo. Rien ne serait donc aussi malheureusement
désirable que de se laisser ainsi occuper et pénétrer, par élision du manque et
du défaut d’être, qui, en principe, requièrent la recherche philosophique d’une
tonalité fondamentale et typée de l’âme. Tout en ne sachant pas de quoi la
musique est la réalité, nous serions très passivement, mais aussi très
activement, réceptifs à ce qui brise le silence, celui des choses et des êtres,
sans parler du silence en lui-même dont nous n’avons pas ou plus l’idée, parce
qu’il nous est devenu insupportable. Cette musique est en somme une réponse que
nous nous donnons.
Il faut préalablement se
rappeler que cela ne fait somme toute pas si longtemps que les hommes sont
habitués à la sonorisation artificielle de leur environnement, de la ville et
de la campagne, de la maisonnée (un autre aspect est celui de l’apparition de
la lumière artificielle ; avec l’éclairage au gaz, Baudelaire avait noté qu’
« il ne fera plus jamais nuit »).
À présent, le monde, pour désigner la réalité dans laquelle nous évoluons,
s’est retiré au profit de ses résonnances dont nous sommes les initiateurs par
nos productions techniques. Le Moderne est ainsi la naissance du bruit (vacarme
est peut-être le mot qui conviendrait le mieux). En tout cas, le monde a
radicalement changé de nature avec la lumière et le bruit artificiels. Et cela
ne fut pas sans effet – Baudelaire encore, à tous égards – sur nos systèmes
nerveux, des effets qui, si on y songe, sont bien plus efficaces et profonds
quant à leur impact sur et dans nos corps et nos psychés, en un mot leur
formation, que l’éducation, la lecture silencieuse, ou la réflexion.
Mais alors pourquoi
maintenir le terme de « religion », si ce n’est que ce vacarme
d’ensemble, accompagné d’images produites (ce qui permet alors de parler de
filmolâtrie), est désiré et non pas simplement subi ? On y recherche, semble-t-il, de quoi atténuer un
vide, non par des paroles qui en quelque façon en appellent toujours à la
raison, ni même par quelque sédatif humoral, mais par la réitération compulsive
de preuves d’existence. C’est pourquoi, l’habitus
en question ne relève pas du divertissement
qui, en soi, tient encore du rapport à soi, fût-ce dans et comme son
excentrement à travers un détournement et un oubli. Ce rapport à soi se trouve
neutralisé et comme suspendu dans le phénomène qu’on cherche à décrire, à telle
enseigne qu’il devient délicat de faire la part entre l’indifférence et
l’occupation par défaut. Et précisément, l’ampleur du phénomène témoigne d’une
réalité collective, civilisationnelle en vérité, par conséquent d’une
« structuration », d’une sorte de partage et d’un
« commun ». N’ayant pu produire vertueusement, c’est-à-dire
affirmativement, ce partage collectif, le phénomène a pris l’allure apparente d’une « culture ». Mais une fois devenu
habitus sinon règle sociale à
laquelle on ne saurait échapper, où que ce soit, il a endossé la forme de la
loi, d’autant plus contraignante qu’elle n’est pas discutée.
Mais de quelle loi peut-il
bien s’agir ? Et en quoi le terme se
justifie-t-il ? Elle est sans origine
assignable, autrement que par l’imputation aux nécessités commerciales. Sans
origine, donc originaire au sens où elle configure à la fois la source de la
réalité contemporaine (le marché) et sa vérité (les modes d’existences). Mais
il y a davantage : on peut, à cet égard, faire mention d’une profondeur pour ce phénomène qui
apparaît si superficiel. Il faudrait, par conséquent, que l’addiction à la musique soit en réalité si
forte qu’elle prenne la mesure d’une détresse réelle et que l’idéologie
commerciale réveille des racines qui ont trait à la possibilité même d’exister
dans un cadre en réalité insupportable. Ce dernier trait est affirmé et puis dénié par la musique en
question. En l’occurrence, la loi possède la double face d’une contrainte aussi
bien sociale qu’idéologique et de l’équivalent d’un baume qui rend possible son
efficace. Étrange pharmakon, en
vérité, que cette musique, qui empoisonne certainement et qui dans l’anesthésie
qu’elle provoque fournit le leurre de la consolation. La loi, par conséquent,
énonce que nul ne saurait échapper à ce « monde » s’il veut habiter
un monde. La musique est donc devenue emprise d’un « monde » sur les
individus. On ne niera pas qu’elle touche à nouveau, en ce sens, une de ses
raisons et de ses significations originaires et archaïques, d’être une
puissance redoutable. Ulysse, à propos des Sirènes, n’était pas sans l’ignorer
(du moins, dans la lecture de ce passage d’Homère, faut-il rendre justice,
fût-elle désagréable, à cette dimension de la musique). La religion demeure
l’instrument le plus naturel des pouvoirs. L’art fut ensuite instrumentalisé à
des fins semblables, et la musique connut dans le Moderne un destin comparable
(Wagner). Enfin, on peut considérer qu’elle est passée du côté du pouvoir en
démontrant partout sa toute-puissance, celle d’une divinité supérieure,
peut-être un diable. On peut se mettre à pleurer à cette idée, que la musique
peut être mauvaise, diabolique, ou carrément coupable. (Une question,
assurément cruciale, mais qu’on ne développera pas, reste en suspens :
celle du moment où la musique s’est accouplée avec l’image en mouvement, le
cinéma, le clip, vidéos et autres installations. Alors sa puissance s’est
démultipliée, occupant tous les lieux, tous les temps et moments, et la plus
simple et communes des âmes dans les régions les plus reculées du monde, dès
lors que cette image possède encore un sens eu égard au phénomène.)
*
Toutefois, loin de ce qui
précède et qui relève, dira-t-on au mieux, de la spéculation métaphysico-civilisationnelle
et sociale (le seul genre ou l’unique pratique théorique qu’il faudrait inventer
afin de rendre compte d’autre chose que du cas et des faits, par exemple dans
les sciences sociales), loin donc de l’aliénation
de la musique qui sert à aliéner, que devient la musique pour celui qui ne
peut vivre sans elle, réellement et non socialement ? Donc, Vivre sans la musique et non plus vivre
sans musique. Si la musique s’est trouvée aliénée parce que d’art et même de
divertissement (pourquoi pas, après tout ?) elle est devenue, dans sa
décrépitude, comme disait dans un de ses mauvais moments Baudelaire à Manet de
la peinture, une fonctionnalité, ne possède-t-elle pas encore une réalité dans
une subjectivité réelle ?
Il faudrait déjà supposer
que la musique s’est scindée, et même brisée, non pas, comme on dit couramment
en faisant usage de catégories pauvres et au demeurant fausses (le jazz, la
« grande musique pop des années 60 et 70, les musiques populaires appelées
à juste titre « du monde », lorsqu’il y en avait encore un dans sa
diversité constitutive en fournissent les preuves), entre la « grande musique » et l’autre ou
les autres – cette division étant plus sociale que réelle. Il faudrait supposer
tout autant que la subjectivité s’est scindée, et qu’il lui faut appréhender de
façon opposée et contradictoire le fait même de la musique ou son existence. Elle
s’est scindée entre ce qui lui est imposé comme le monde et l’espace et le
temps qu’elle estime être le sien. La souffrance subjective qui résulte de cet
écart répète la douleur qui est celle de la musique. Celle-ci, en effet,
recueille l’idée contradictoire d’une non appartenance à ce qui est et d’une
appartenance à l’ailleurs. Du reste, c’est en cela qu’elle est originairement
liée au religieux, et on peut comprendre pourquoi.
Il y a ceux qui ne
supportent pas la vie avec la musique : on songe à Freud pour qui,
semble-t-il, elle serait l’équivalent de la foule hypnotisée, de l’inconscient
en marche et des bas-fonds de la vie qui tourne sans but sur elle-même en
finissant par se dévorer et ne plus se vouloir ; on songe malheureusement à
Kafka, mais pour des raisons très mystérieuses et contradictoires qui le font
osciller d’une revendication absolue de silence face à la petite musique
obsédante de l’administration à une parole qui viendrait et qui enfin
l’enchanterait ; on songe en définitive à tous ceux et toutes celles que l’on
connaît dans son entourage et qui ne sont pas des compagnons sur le chemin de
Schubert par exemple. Une vie de cette sorte, qui refuse la musique, qui par
conséquent a réfléchi à elle, gagne-t-elle quelque chose, d’un gain spirituel
et existentiel, et encore d’un gain de pensée à un niveau auquel le seul
langage saurait se hisser ? Ou bien,
celui qui entre dans la musique,
d’une entrée qui ressemble bien à une grâce dès lors que, quelles que soient
les circonstances, elle ne se commande pas, bénéficierait-il a contrario d’une force, sinon d’une
puissance dans l’exercice tout subjectif de la pensée ? En somme, en quoi la musique, notre
appartenance à elle, à sa juridiction et à sa processualité spécifique serait-elle
le gage d’une quelconque supériorité ? Rien ne permet de l’affirmer avec
certitude, car une argumentation en ce sens ne pourrait jamais alléguer que des
impressions, des images et des expériences qu’il est impossible de partager en
l’état.
C’est peut-être le terme
d’ « expérience » qui autorise une pénétration en cette pensée,
soit une expérience en l’état de la désappropriation constitutive que la musique signalerait, une expérience encore de
la pure sonorité d’un espace et d’un temps dans lesquels rien n’apparaît
(l’état d’avant l’existence, l’état limite d’une pure existence au seuil de la
parution d’un monde, la mort ?). De cette constitution, négative, l’existant
musical ne ferait jamais le bilan ; aucune de ses pensées ne serait en mesure
de prendre en écharpe quelque contenu que ce soit, et rien le concernant ne
pourrait être partagé, au premier chef par lui-même. Ne se présenterait jamais
qu’un silence, une sorte de bruit blanc continu et obsédant comme celui que
percevait en acouphène Schumann dans la cristallisation d’une note. Tout à
l’inverse, l’existant purement parlant, se résolvant dans le seul langage,
traduisant même la part hypothétiquement musicale de lui en langage ferait de toute pensée l’objet d’une
appropriation ou encore la preuve d’une autonomie de son discours. Au fond,
dans les deux engagements de la pensée et de l’existence, musicale d’une part
et parlante de l’autre, le point est celui du commandement. Imagine-t-on un
instant l’impulsion, qui serait parlante, de Beethoven ? Ou à l’inverse le commandement musical d’un
Hegel ? En quoi consistent le déséquilibre et le seuil qui font qu’à un moment
décisif le musical l’emporte sur le parlant en se décidant pour lui, ou
inversement ?
Est-ce bien tout ? Et que signifie la sentence de Nietzsche
selon laquelle « la vie sans la musique
est une erreur » (Crépuscule des
Idoles, Maximes et traits, 33) ? Du
reste, Nietzsche complète sa formule dans une lettre à Peter Gast, du 15
janvier 1888 : « La vie sans
musique n’est qu’une erreur, une besogne éreintante, un exil ». Que
penser d’une telle sentence, pour le moins définitive dans l’ordre de la vie,
donc pour Nietzsche, de l’existence et de la pensée ? On pourrait croire, en effet, à un mouvement
d’humeur, à l’affirmation d’une passion exclusive, comme il en existe tant
d’autres. Or, il ne s’agit nullement de cela car, à l’extrême, on se
retrouverait dans le cas de l’aliénation collective qu’on a observée plus haut,
cette passion dépassionnée, ce pur manque souffreteux et qui sert de baume
religieux dans la vallée de larmes du Moderne. Nietzsche, en effet, amène sa
formule par les considérations suivantes, qui sont on ne peut plus
précises : « La musique me donne à présent des sensations comme
jamais je n’en ai ressenties. Elle me libère de moi-même, elle me détache de
moi-même comme si je me regardais, je me sentais de très loin ; elle me
fortifie en même temps, et toujours après une soirée musicale (– j’ai entendu
quatre fois Carmen) ma matinée abonde en jugements fermes et en idées. C’est
très curieux. C’est comme si je m’étais baigné dans un élément plus
naturel. » Suit la formule.
Le mot est lâché :
« jugement », par
conséquent la faculté non seulement de juger, mais de juger bien, juste,
exactement, en se déprenant de soi. La musique est en effet l’autre « élément », l’autre milieu auquel la
pensée appartient (et non l’inverse!). La véritable capacité de juger lui
revient et lui prêter l’oreille, c’est-à-dire la profondeur corporelle
elle-même, marque l’éveil de l’esprit, qui, d’abord, nettoie la subjectivité de
ses prétentions et de ses vapeurs, et ensuite donne du champ, élargit la
conscience en la rendant possible depuis les sensations. C’est la musique qui
agit en sujet, si on peut dire, c’est elle la nature, au sens de réalité avec
ses lois, c’est elle qui énonce la vérité. Et lorsque Nietzsche parle
inversement d’ « erreur »
s’agissant d’une vie sans la musique, il ne fait que confirmer ce trait
décisif, celui d’une malhonnêteté de la seule règle subjective et de parole
pure, et par conséquent d’une probité fondamentale de la musique.
La musique,
mais quelle musique ? Ici, Carmen
sert au moins à laver la subjectivité de son wagnérisme, donc dans l’esprit de
Nietzsche à ce moment de son histoire, du romantisme, de la décadence, en un
mot du Moderne. Le plus stupéfiant est que cette musique, dont Carmen serait le signe réel, endosse la
clarté, ou encore la visibilité et la distinction. Au fond, l’affaire est de
corps, de nerfs, ensemble revivifiés, comme apaisés, actifs et disponibles à
leur usage, et non assujettis. Musique contre musique, par conséquent. Et
« l’exil » dont parle
encore Nietzsche consiste dans la méconnaissance de cet autre milieu qu’est la
musique, qu’il qualifie, si l’on résume, de regard porté sur soi, d’un regard
qui rectifierait celui, étroit, de la subjectivité livrée à elle-même (d’où
l’éreintement d’une vie sans la musique qu’évoque la formule). La musique est
« critique ». C’est là son être et sa tâche : critique de la
subjectivité, de la vie, de l’existence et de la pensée.
Plus avant, la formule instruit
encore de ceci – le privatif en affirme la réalité –, que nous ne nous
appartenons pas, mais cette fois-ci non au sens religieux, celui qu’Augustin
avait théorisé en reprenant l’essentiel de Platon, mais dans le sens de
l’immanence radicale. La musique, celle de Bizet (ou celle que Bizet effleure
et veut signifier, car n’en doutons pas un seul instant, Bizet n’égale en rien
Wagner, mais Wagner est une contradiction entre le génie artistique et
l’abandon de son propre art à l’assujettissement idéologique, en somme le parengon du Moderne ou sa limite), se présente
au premier plan : c’est elle qui conduit, porte et supporte le personnage
de Carmen, c’est elle la dictée, l’éthique, la réalité et sa vérité. La musique
n’est donc plus le média de quoi que ce soit ; elle est en revanche le milieu,
« l’élément », l’index du
réel. Et faire l’expérience de la musique, ce serait se sentir touché par le
doigt de cet index, parque ce regard dans l’immanence, et non depuis l’ailleurs.
Car, il faut bien le préciser, la musique est l’ailleurs dans l’ici, l’ailleurs
présent ici, l’ailleurs qui n’a nul besoin de se situer ailleurs. La musique
est ce cœur du sensible, qui, si on
n’y prête pas l’oreille, ne sera jamais entendu en sa scansion et son déroulé
rythmique. Et la subjectivité a besoin de ce cœur pour s’excentrer et conquérir
son aire d’existence et de pensée, elle a besoin de sa rythmique pour prendre
la mesure exacte d’elle-même. D’où cette idée que la vie sans la musique est
non seulement une erreur, mais une faute,
contre l’esprit aussi bien que contre l’existence et la vie. Le Moderne n’est
alors que l’expiation de cette faute, de cette faute radicale – non le Mal,
comme on dit trop vite – à laquelle nous avons succombé et que nous sommes littéralement
devenus : une faute capitale de
jugement à l’évidence pour laquelle aucun dieu n’est disponible à des fins de
salvation. Mais il est toujours possible, Nietzsche avait cru le percevoir, que
la solution résidait dans une nouvelle musique. Mais qui osera entendre cela ?
André Hirt
Chronique du 16
(novembre 2014)
Moi...Je vais dire "Moi"...De la façon la plus simple qui soit...Moi j'ose entendre cela...Et en retour vous dire merci pour cette chaise là que je connais bien..."J'écoute" dit la chaise...La chaise vide du plein cœur...
RépondreSupprimerUne prose d'un André relevant d’une petite musique toute Hirt. Partition avec coda thématique d'une étendue Multivers, queue d'amimots nouveaux, nombreux et musicaux. Ça plane pour moi d'un pas de deux, trois, et même quatre.
RépondreSupprimerab