dimanche 16 novembre 2014

Vivre sans la musique / André Hirt




Vivre sans musique est difficile, non parce qu’il serait impossible de s’en passer, comme de certaines nourritures, du tabac ou de l’alcool, mais parce qu’il faut trouver le lieu et tout simplement l’espace de silence nécessaire. La musicolâtrie contemporaine a atteint un niveau sonore tel et une aire si vaste qu’il faut presque fuir comme Caïn afin de tenter, mais en vain, de lui échapper. Une chape de silence est assurément éprouvante, on la dit de plomb, mais une chape de bruit, de musiques mélangées ou de sirop musical confinent à la torture. L’état de fait est bien connu, le constat critique l’est bien moins, puisqu’on semble sinon s’en accommoder, du moins s’en faire une mauvaise raison. « La haine de la musique », a-t-on relevé avec Pascal Quignard, en vient à prendre forme dans la désolation, dont la seule mesure est l’amour qu’on lui porte en vérité. « Enfin le silence ! » se surprend-t-on aussi à constater, presque avec étonnement dans telle ou telle, rare, circonstance. On dira qu’il s’agit d’une pollution supérieure, à la fois immédiate et violente, et lourdement insidieuse. Et aussi qu’elle brouille les territoires, ceux qui délimitent les espaces d’évolution subjective de chacun, ses rêveries secrètes et ses tonalités propres. En somme, elle touche aux libertés en s’en prenant aux tympans, en imposant sa loi et, pour faire mention d’une humeur qui n’est pas si grincheuse que cela mais logiquement déduite de l’état de fait,  elle n’offre qu’une musique fabriquée qui, loin de séduire, nous ramène aux Sirènes dont, comme chacun sait, il faut se méfier. Sauf encore, qu’en la circonstance – au restaurant, dans la rue, chez soi lorsque les voisins éprouvent par ce biais de manifester qu’ils existent, c’est-à-dire qu’ils ont malgré tout des émotions, en faisant partager fenêtres ouvertes leur léger enthousiasme du moment, au feu rouge lorsqu’on est secoué par les vibrations du véhicule qui piaffe à nos côtés, etc. –, la musique est sans musicalité, c’est-à-dire qu’elle ne retient pas l’attention sur « elle », car un tel « soi » n’existe pas, mais n’existe que sa réalité sonore qui fait obstacle comme le feraient, au titre de réalité incontournable, cet arbre ou encore ce mur.
À la vérité, la situation n’enveloppe pas nécessairement un jugement sur la nature de ce que l’on entend. Chacun n’a-t-il pas fait l’expérience, n’importe où, par une chanson entendue à l’improviste, par une musique se déployant comme un large et beau tissu depuis une fenêtre, par l’équivalent de cet Ave Maria de Schubert, joué à l’accordéon et provenant de quelque boyau éloigné comme d’un autre monde, qui m’a ému aux larmes, un jour sinistre dans le métro parisien, que la musique devait venir d’elle-même, qu’elle avait son intention, qu’en somme elle (nous) parle ?  Car c’est bien de cela qu’il s’agit, qu’elle parle au moyen de sa distinction propre, de sa grammaire et de sa syntaxe, et qu’elle est adressée et reçue. À l’inverse, lorsqu’elle est sans provenance, pour ainsi dire objectivement lâchée dans l’air comme un nuage de pollution, lorsqu’elle vise à pallier quelque vide présupposé, lorsqu’enfin elle tourne comme une machine à laquelle personne n’est même censé faire attention, lorsqu’elle configure la réalité, remplit et teinte toute sa présence phénoménale jusqu’à la saturer, alors elle écrase toute chose, toute situation dans une artificialité négative, au point qu’elle empêche et d’entendre et de voir la moindre réalité. Ainsi, elle arrache de ce lieu (ce restaurant, cette rue que je parcours, même ce parking souterrain qui a sa vie, ses bruits et ses odeurs), de ce moment (le travail auquel je me livre, ce moment de solitude dans la voiture, cet instant partagé dans une conversation). En somme, elle détruit la réalité jusqu’à ses possibilités.

Peut-être, si l’on exagère un peu, comme font les philosophes, pourra-t-on affirmer que dans cette musicolâtrie, le terme même nous y porte, on tient précisément une idôlatrie. Non pas à vrai dire une religion, mais sa forme la plus archaïque, la plus élémentaire en tout cas. Déjà Platon savait que la musique est ce qui pénètre le plus facilement et le plus rapidement dans l’âme. Par quoi elle occupe son espace, la fait flotter au gré des humeurs, la désidentifie a volo. Rien ne serait donc aussi malheureusement désirable que de se laisser ainsi occuper et pénétrer, par élision du manque et du défaut d’être, qui, en principe, requièrent la recherche philosophique d’une tonalité fondamentale et typée de l’âme. Tout en ne sachant pas de quoi la musique est la réalité, nous serions très passivement, mais aussi très activement, réceptifs à ce qui brise le silence, celui des choses et des êtres, sans parler du silence en lui-même dont nous n’avons pas ou plus l’idée, parce qu’il nous est devenu insupportable. Cette musique est en somme une réponse que nous nous donnons.
Il faut préalablement se rappeler que cela ne fait somme toute pas si longtemps que les hommes sont habitués à la sonorisation artificielle de leur environnement, de la ville et de la campagne, de la maisonnée (un autre aspect est celui de l’apparition de la lumière artificielle ; avec l’éclairage au gaz, Baudelaire avait noté qu’ « il ne fera plus jamais nuit »). À présent, le monde, pour désigner la réalité dans laquelle nous évoluons, s’est retiré au profit de ses résonnances dont nous sommes les initiateurs par nos productions techniques. Le Moderne est ainsi la naissance du bruit (vacarme est peut-être le mot qui conviendrait le mieux). En tout cas, le monde a radicalement changé de nature avec la lumière et le bruit artificiels. Et cela ne fut pas sans effet – Baudelaire encore, à tous égards – sur nos systèmes nerveux, des effets qui, si on y songe, sont bien plus efficaces et profonds quant à leur impact sur et dans nos corps et nos psychés, en un mot leur formation, que l’éducation, la lecture silencieuse, ou la réflexion.
Mais alors pourquoi maintenir le terme de « religion », si ce n’est que ce vacarme d’ensemble, accompagné d’images produites (ce qui permet alors de parler de filmolâtrie), est désiré et non pas simplement subi ?  On y recherche, semble-t-il, de quoi atténuer un vide, non par des paroles qui en quelque façon en appellent toujours à la raison, ni même par quelque sédatif humoral, mais par la réitération compulsive de preuves d’existence. C’est pourquoi, l’habitus en question ne relève pas du divertissement qui, en soi, tient encore du rapport à soi, fût-ce dans et comme son excentrement à travers un détournement et un oubli. Ce rapport à soi se trouve neutralisé et comme suspendu dans le phénomène qu’on cherche à décrire, à telle enseigne qu’il devient délicat de faire la part entre l’indifférence et l’occupation par défaut. Et précisément, l’ampleur du phénomène témoigne d’une réalité collective, civilisationnelle en vérité, par conséquent d’une « structuration », d’une sorte de partage et d’un « commun ». N’ayant pu produire vertueusement, c’est-à-dire affirmativement, ce partage collectif, le phénomène a pris l’allure apparente  d’une « culture ». Mais une fois devenu habitus sinon règle sociale à laquelle on ne saurait échapper, où que ce soit, il a endossé la forme de la loi, d’autant plus contraignante qu’elle n’est pas discutée.
Mais de quelle loi peut-il bien s’agir ?  Et en quoi le terme se justifie-t-il ? Elle  est sans origine assignable, autrement que par l’imputation aux nécessités commerciales. Sans origine, donc originaire au sens où elle configure à la fois la source de la réalité contemporaine (le marché) et sa vérité (les modes d’existences). Mais il y a davantage : on peut, à cet égard, faire mention d’une profondeur pour ce phénomène qui apparaît si superficiel. Il faudrait, par conséquent, que l’addiction à la musique soit en réalité si forte qu’elle prenne la mesure d’une détresse réelle et que l’idéologie commerciale réveille des racines qui ont trait à la possibilité même d’exister dans un cadre en réalité insupportable. Ce dernier trait est affirmé et puis dénié par la musique en question. En l’occurrence, la loi possède la double face d’une contrainte aussi bien sociale qu’idéologique et de l’équivalent d’un baume qui rend possible son efficace. Étrange pharmakon, en vérité, que cette musique, qui empoisonne certainement et qui dans l’anesthésie qu’elle provoque fournit le leurre de la consolation. La loi, par conséquent, énonce que nul ne saurait échapper à ce « monde » s’il veut habiter un monde. La musique est donc devenue emprise d’un « monde » sur les individus. On ne niera pas qu’elle touche à nouveau, en ce sens, une de ses raisons et de ses significations originaires et archaïques, d’être une puissance redoutable. Ulysse, à propos des Sirènes, n’était pas sans l’ignorer (du moins, dans la lecture de ce passage d’Homère, faut-il rendre justice, fût-elle désagréable, à cette dimension de la musique). La religion demeure l’instrument le plus naturel des pouvoirs. L’art fut ensuite instrumentalisé à des fins semblables, et la musique connut dans le Moderne un destin comparable (Wagner). Enfin, on peut considérer qu’elle est passée du côté du pouvoir en démontrant partout sa toute-puissance, celle d’une divinité supérieure, peut-être un diable. On peut se mettre à pleurer à cette idée, que la musique peut être mauvaise, diabolique, ou carrément coupable. (Une question, assurément cruciale, mais qu’on ne développera pas, reste en suspens : celle du moment où la musique s’est accouplée avec l’image en mouvement, le cinéma, le clip, vidéos et autres installations. Alors sa puissance s’est démultipliée, occupant tous les lieux, tous les temps et moments, et la plus simple et communes des âmes dans les régions les plus reculées du monde, dès lors que cette image possède encore un sens eu égard au phénomène.)
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Toutefois, loin de ce qui précède et qui relève, dira-t-on au mieux, de la spéculation métaphysico-civilisationnelle et sociale (le seul genre ou l’unique pratique théorique qu’il faudrait inventer afin de rendre compte d’autre chose que du cas et des faits, par exemple dans les sciences sociales), loin donc de l’aliénation de la musique qui sert à aliéner, que devient la musique pour celui qui ne peut vivre sans elle, réellement et non socialement ? Donc, Vivre sans la musique et non plus vivre sans musique. Si la musique s’est trouvée aliénée parce que d’art et même de divertissement (pourquoi pas, après tout ?) elle est devenue, dans sa décrépitude, comme disait dans un de ses mauvais moments Baudelaire à Manet de la peinture, une fonctionnalité, ne possède-t-elle pas encore une réalité dans une subjectivité réelle ? 

Il faudrait déjà supposer que la musique s’est scindée, et même brisée, non pas, comme on dit couramment en faisant usage de catégories pauvres et au demeurant fausses (le jazz, la « grande musique pop des années 60 et 70, les musiques populaires appelées à juste titre « du monde », lorsqu’il y en avait encore un dans sa diversité constitutive en fournissent les preuves), entre la  « grande musique » et l’autre ou les autres – cette division étant plus sociale que réelle. Il faudrait supposer tout autant que la subjectivité s’est scindée, et qu’il lui faut appréhender de façon opposée et contradictoire le fait même de la musique ou son existence. Elle s’est scindée entre ce qui lui est imposé comme le monde et l’espace et le temps qu’elle estime être le sien. La souffrance subjective qui résulte de cet écart répète la douleur qui est celle de la musique. Celle-ci, en effet, recueille l’idée contradictoire d’une non appartenance à ce qui est et d’une appartenance à l’ailleurs. Du reste, c’est en cela qu’elle est originairement liée au religieux, et on peut comprendre pourquoi.

Il y a ceux qui ne supportent pas la vie avec la musique  : on songe à Freud pour qui, semble-t-il, elle serait l’équivalent de la foule hypnotisée, de l’inconscient en marche et des bas-fonds de la vie qui tourne sans but sur elle-même en finissant par se dévorer et ne plus se vouloir ; on songe malheureusement à Kafka, mais pour des raisons très mystérieuses et contradictoires qui le font osciller d’une revendication absolue de silence face à la petite musique obsédante de l’administration à une parole qui viendrait et qui enfin l’enchanterait ; on songe en définitive à tous ceux et toutes celles que l’on connaît dans son entourage et qui ne sont pas des compagnons sur le chemin de Schubert par exemple. Une vie de cette sorte, qui refuse la musique, qui par conséquent a réfléchi à elle, gagne-t-elle quelque chose, d’un gain spirituel et existentiel, et encore d’un gain de pensée à un niveau auquel le seul langage saurait se hisser ?  Ou bien, celui qui entre dans la musique, d’une entrée qui ressemble bien à une grâce dès lors que, quelles que soient les circonstances, elle ne se commande pas, bénéficierait-il a contrario d’une force, sinon d’une puissance dans l’exercice tout subjectif de la pensée ?  En somme, en quoi la musique, notre appartenance à elle, à sa juridiction et à sa processualité spécifique serait-elle le gage d’une quelconque supériorité ? Rien ne permet de l’affirmer avec certitude, car une argumentation en ce sens ne pourrait jamais alléguer que des impressions, des images et des expériences qu’il est impossible de partager en l’état.
C’est peut-être le terme d’ « expérience » qui autorise une pénétration en cette pensée, soit une expérience en l’état de la désappropriation constitutive que la musique signalerait, une expérience encore de la pure sonorité d’un espace et d’un temps dans lesquels rien n’apparaît (l’état d’avant l’existence, l’état limite d’une pure existence au seuil de la parution d’un monde, la mort ?). De cette constitution, négative, l’existant musical ne ferait jamais le bilan ; aucune de ses pensées ne serait en mesure de prendre en écharpe quelque contenu que ce soit, et rien le concernant ne pourrait être partagé, au premier chef par lui-même. Ne se présenterait jamais qu’un silence, une sorte de bruit blanc continu et obsédant comme celui que percevait en acouphène Schumann dans la cristallisation d’une note. Tout à l’inverse, l’existant purement parlant, se résolvant dans le seul langage, traduisant même la part hypothétiquement musicale de lui en langage  ferait de toute pensée l’objet d’une appropriation ou encore la preuve d’une autonomie de son discours. Au fond, dans les deux engagements de la pensée et de l’existence, musicale d’une part et parlante de l’autre, le point est celui du commandement. Imagine-t-on un instant l’impulsion, qui serait parlante, de Beethoven ?  Ou à l’inverse le commandement musical d’un Hegel ? En quoi consistent le déséquilibre et le seuil qui font qu’à un moment décisif le musical l’emporte sur le parlant en se décidant pour lui, ou inversement ?

Est-ce bien tout ?  Et que signifie la sentence de Nietzsche selon laquelle « la vie sans la musique est une erreur » (Crépuscule des Idoles, Maximes et traits, 33) ?  Du reste, Nietzsche complète sa formule dans une lettre à Peter Gast, du 15 janvier 1888 : « La vie sans musique n’est qu’une erreur, une besogne éreintante, un exil ». Que penser d’une telle sentence, pour le moins définitive dans l’ordre de la vie, donc pour Nietzsche, de l’existence et de la pensée ?  On pourrait croire, en effet, à un mouvement d’humeur, à l’affirmation d’une passion exclusive, comme il en existe tant d’autres. Or, il ne s’agit nullement de cela car, à l’extrême, on se retrouverait dans le cas de l’aliénation collective qu’on a observée plus haut, cette passion dépassionnée, ce pur manque souffreteux et qui sert de baume religieux dans la vallée de larmes du Moderne. Nietzsche, en effet, amène sa formule par les considérations suivantes, qui sont on ne peut plus précises : « La musique me donne à présent des sensations comme jamais je n’en ai ressenties. Elle me libère de moi-même, elle me détache de moi-même comme si je me regardais, je me sentais de très loin ; elle me fortifie en même temps, et toujours après une soirée musicale (– j’ai entendu quatre fois Carmen) ma matinée abonde en jugements fermes et en idées. C’est très curieux. C’est comme si je m’étais baigné dans un élément plus naturel. » Suit la formule.
Le mot est lâché : « jugement », par conséquent la faculté non seulement de juger, mais de juger bien, juste, exactement, en se déprenant de soi. La musique est en effet l’autre « élément », l’autre milieu auquel la pensée appartient (et non l’inverse!). La véritable capacité de juger lui revient et lui prêter l’oreille, c’est-à-dire la profondeur corporelle elle-même, marque l’éveil de l’esprit, qui, d’abord, nettoie la subjectivité de ses prétentions et de ses vapeurs, et ensuite donne du champ, élargit la conscience en la rendant possible depuis les sensations. C’est la musique qui agit en sujet, si on peut dire, c’est elle la nature, au sens de réalité avec ses lois, c’est elle qui énonce la vérité. Et lorsque Nietzsche parle inversement d’ « erreur » s’agissant d’une vie sans la musique, il ne fait que confirmer ce trait décisif, celui d’une malhonnêteté de la seule règle subjective et de parole pure, et par conséquent d’une probité fondamentale de la musique.
La musique, mais quelle musique ? Ici, Carmen sert au moins à laver la subjectivité de son wagnérisme, donc dans l’esprit de Nietzsche à ce moment de son histoire, du romantisme, de la décadence, en un mot du Moderne. Le plus stupéfiant est que cette musique, dont Carmen serait le signe réel, endosse la clarté, ou encore la visibilité et la distinction. Au fond, l’affaire est de corps, de nerfs, ensemble revivifiés, comme apaisés, actifs et disponibles à leur usage, et non assujettis. Musique contre musique, par conséquent. Et « l’exil » dont parle encore Nietzsche consiste dans la méconnaissance de cet autre milieu qu’est la musique, qu’il qualifie, si l’on résume, de regard porté sur soi, d’un regard qui rectifierait celui, étroit, de la subjectivité livrée à elle-même (d’où l’éreintement d’une vie sans la musique qu’évoque la formule). La musique est « critique ». C’est là son être et sa tâche : critique de la subjectivité, de la vie, de l’existence et de la pensée.
Plus avant, la formule instruit encore de ceci – le privatif en affirme la réalité –, que nous ne nous appartenons pas, mais cette fois-ci non au sens religieux, celui qu’Augustin avait théorisé en reprenant l’essentiel de Platon, mais dans le sens de l’immanence radicale. La musique, celle de Bizet (ou celle que Bizet effleure et veut signifier, car n’en doutons pas un seul instant, Bizet n’égale en rien Wagner, mais Wagner est une contradiction entre le génie artistique et l’abandon de son propre art à l’assujettissement idéologique, en somme le parengon du Moderne ou sa limite), se présente au premier plan : c’est elle qui conduit, porte et supporte le personnage de Carmen, c’est elle la dictée, l’éthique, la réalité et sa vérité. La musique n’est donc plus le média de quoi que ce soit ; elle est en revanche le milieu, « l’élément », l’index du réel. Et faire l’expérience de la musique, ce serait se sentir touché par le doigt de cet index, parque ce regard dans l’immanence, et non depuis l’ailleurs. Car, il faut bien le préciser, la musique est l’ailleurs dans l’ici, l’ailleurs présent ici, l’ailleurs qui n’a nul besoin de se situer ailleurs. La musique est ce cœur du sensible, qui, si on n’y prête pas l’oreille, ne sera jamais entendu en sa scansion et son déroulé rythmique. Et la subjectivité a besoin de ce cœur pour s’excentrer et conquérir son aire d’existence et de pensée, elle a besoin de sa rythmique pour prendre la mesure exacte d’elle-même. D’où cette idée que la vie sans la musique est non seulement une erreur, mais une faute, contre l’esprit aussi bien que contre l’existence et la vie. Le Moderne n’est alors que l’expiation de cette faute, de cette faute radicale – non le Mal, comme on dit trop vite – à laquelle nous avons succombé et que nous sommes littéralement devenus : une faute capitale de jugement à l’évidence pour laquelle aucun dieu n’est disponible à des fins de salvation. Mais il est toujours possible, Nietzsche avait cru le percevoir, que la solution résidait dans une nouvelle musique. Mais qui osera entendre cela ?

André Hirt
Chronique du 16

(novembre 2014)

2 commentaires:

  1. Moi...Je vais dire "Moi"...De la façon la plus simple qui soit...Moi j'ose entendre cela...Et en retour vous dire merci pour cette chaise là que je connais bien..."J'écoute" dit la chaise...La chaise vide du plein cœur...

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  2. Une prose d'un André relevant d’une petite musique toute Hirt. Partition avec coda thématique d'une étendue Multivers, queue d'amimots nouveaux, nombreux et musicaux. Ça plane pour moi d'un pas de deux, trois, et même quatre.
    ab

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