« J’eus soudain l’impression (ce qui d’après les psychologues correspond à un état de fatigue) d’avoir déjà vécu ce moment. », J. L. Borges, Le livre de sable, Gallimard, « Folio Bilingue », trad. F. Rosset revue par J. P. Bernès, p. 17.
« Chaque clair de lune qui revient hanter les saisons est empli de détails infimes qui sont déjà aussi larges que la nuit immense, peuplés de grillons qui chantent et qui entendent sourdre, sous leurs élytres, des tremblements de terre, des oscillations, des remous que mon oreille doit bien, elle aussi, percevoir en l’un de ses recoins labyrinthiques. Pareillement, la vie d’un homme n’est pas une vie finie, tranchée par la mort, mais un nombre vertigineux de carrefours qui ne se ferment que de manière contingente, comme s’arrête une nuit, au voisinage d’un seuil arbitraire que le rêveur pourrait excéder d’un épisode surnuméraire, d’une frange peuplée d’autres rêves encore. »
J. C. Martin, Borges. Une biographie de l’éternité, p. 183.
Les noces de la philosophie et de la littérature sont devenues monnaie courante sur la scène éditoriale de langue française. Cela fait longtemps maintenant que la parution d’un ouvrage écrit par un philosophe de profession, sinon de conviction, au sujet d’un écrivain ou d’un poète n’étonne plus grand monde tant la philosophie a appris, avec plus ou moins de bonheur, à mettre en pratique la formule de G. Canguilhem selon qui « La philosophie est une réflexion pour qui toute matière étrangère est bonne, et nous dirions pour qui toute bonne matière est étrangère». Le philosophe prend donc plaisir et intérêt à s’encanailler en fréquentant d’autres gens que ceux de sa caste. La chose n’est pas nouvelle, on l’a dit, et, à certains égards, elle relève du truisme. Tout le monde sait les qualités littéraires des dialogues de Platon, et tout le monde sait aussi que son acharnement à mettre une certaine poésie hors les murs de la cité idéale trahit un rapport à la chose littéraire autrement plus complexe que celui à quoi on le réduit en pointant, en toute bonne conscience professorale, la parenté coupable du poète et du satané sophiste.
Aujourd’hui le philosophe assume et revendique joyeusement ses mauvaises fréquentations, se laissant contaminer par le meilleur, par ce qui vient des dehors de la philosophie. Chacun sait que les belles plantes, comme la Nana de Zola, «née de quatre ou cinq générations d’ivrognes », pareille à « une mouche couleur de soleil, envolée de l’ordure, une mouche qui prenait la mort sur les charognes […], empoisonnait les hommes rien qu’à se poser sur eux », mûrissent dans le fumier et les relations coupables, et que l’impureté bâtardes a des vertus fécondantes autant que mortifères. Au reste, on peut appliquer à l’endroit du philosophe qui se pique ou plutôt se laisse piquer par le récit ou la fiction des autres ce que Deleuze s’appliquait à lui-même quand il avait à revenir sur son rapport à l’histoire de la philosophie : faire des enfants dans le dos aux philosophes dignes d’en avoir, tel était en substance ce qu’on pouvait faire de mieux en la matière. Jean-Clet Martin en fait-il autant à Borges en publiant son Borges. Une biographie de l’éternité aux Editions de l’Eclat dans la collection « Philosophie imaginaire » ?
La réponse est oui. Et pourtant faire de beaux enfants à Borges – d’une beauté qui peut être celle du diable en personne et s’écarter des canons de la beauté convenue, lisse, harmonieuse ad nauseam, pour flirter avec le monstrueux – quand on vient de la philosophie et entend y rester n’est pas chose facile. Non pas parce que l’œuvre de l’écrivain argentin serait a priori réfractaire à ce genre d’accouplement mais bien plutôt pour la raison inverse. L’œuvre de Borges s’offre si bien à l’érotique conceptuelle que s’en devient suspect tant il s’agit d’un « écrivain pour philosophes » à l’instar de Proust, de Joyce ou de Musil pour ne citer que les plus connus et exploités par la philosophie contemporaine.
Jean-Clet Martin est un auteur prolixe dont les centres d’intérêt sont multiples quoique non dispersés. Qu’il s’empare en philosophe du moyen-âge roman, publie un petit livre tonique et jubilatoire sur une notion rebattue comme celle d’ « apparence » ou consacre une étude aux travaux de J.-L. Nancy, c’est toujours avec le même enthousiasme, la même fougue conceptuelle non dépourvue d’érudition et un même ton ou plus exactement, osons le mot, la recherche d’un même style, qui certes peut agacer, qu’il trace ses chemins, construit son territoire, reprend des ritournelles qu’il ne cesse de faire varier afin de produire la cohérence d’une philosophie. Sans être un « deleuzien » (mais qu’est-ce que cela veut dire ?) convaincu, on aura reconnu à la lecture de ce qui précède l’ombre portée de l’auteur de Différence et répétition.
Cette filiation, Jean-Clet Martin ne l’assume pas à proprement parler car dans l’idée d’assomption il y a encore trop de lourdeur, toute une pensée du fardeau encombrant qui limite la célérité et l’élégance du mouvement de la pensée en acte. Disons plutôt que J.C Martin prolonge le travail de Deleuze en faisant, on a envie de dire, tout simplement, de la philosophie sans complexe, sans ennuyer ses lecteurs, en générant un effet que parfois la lecture philosophique peut produire : divertir en donnant au lecteur l’impression de sortir de la bêtise ordinaire en aiguisant sa curiosité. Jean-Clet Martin a du reste consacré un livre à l’œuvre de Deleuze, initialement intituléVariation. La philosophie de Gilles Deleuze (précédé d’une préface de Deleuze lui-même) paru chez Payot en 1993 et réédité, toujours chez Payot en poche en 2005 sous le titre La philosophie de Gilles Deleuze. Cette étude constitue, avec le Borgès et un ouvrage consacré cette fois à Van Gogh, intituléVan Gogh. L’œil des choses paru au Seuil en 1998, un triptyque.
Afin de dissiper une possible équivoque, il faut tout de suite indiquer que ce livre sur Borges est bel et bien un livre de philosophie, de philosophie appliquée à la chose littéraire et pas une biographie qui retracerait l’itinéraire de l’existence de l’individu Jorge Louis Borges né à Buenos Aire en 1899 et mort à Genève en 1986, écrivain mondialement connu, élu à l’Académie argentine des lettres en 1955, partageant, la même année, avec Beckett, le prix du Congrès international des éditeurs, devenu, cruelle ironie du destin, aveugle au moment même ou il devint directeur de la bibliothèque national, etc. Pour se convaincre du fait que ce livre est un authentique livre de philosophie, il suffit de prendre la mesure des concepts qu’on y rencontre et qui sont soumis à un stimulant et puissant traitement réflexif. On en citera simplement ici quelques uns pour exemple : le sujet, bien sûr le temps, la durée, l’éternité et la mort, le langage, la vérité et la fiction, la question de Dieu ou encore le traditionnel problème du déterminisme et de la liberté . A cela on peut ajouter une mention spéciale à l’endroit des catégories et des genres littéraires traditionnels, comme la catégorie d’auteur, de propriété littéraire, de métaphore, de traduction, d’imitation ou de nouvelle qui sont dans ce livre, et grâce à la fréquentation assidue de l’œuvre de Borges, littéralement mises en circulation, plus exactement mises sans dessus dessous.
On peut en outre se douter du caractère éminemment conceptuel de cet ouvrage en s’arrêtant sur son titre : Borges. Une biographie de l’éternité. On y remarque en effet une sorte d’oxymore qui d’emblée attire l’attention et donne envie d’aller au-delà du titre pour voir, pour vérifier si la rencontre des contraires, déjà suffisamment intéressante en soi, va tenir ses promesses et proposer, par exemple, une tentative d’explicitation, puisqu’une biographie concerne a priori quelqu’un, un semblable, qui, comme nous tous, vit une vie bornée par la naissance et la mort, donc une vie temporelle et non pas éternelle. Or il s’agit bien avec cette étude sur Borges d’une biographie de l’éternité.
Ce titre, on peut encore l’entendre en un sens plus déconcertant en comprenant que s’intéresser ainsi à l’œuvre de l’écrivain argentin, c’est s’engager dans une biographie ne portant certes pas, comme on l’a dit, sur l’individu Borges, mais dans une entreprise un peu folle, il faut bien le dire, puisqu’il pourrait s’agir aussi d’entreprendre une biographie de l’éternité elle-même dont l’œuvre de Borges serait comme la cause occasionnelle ou le chiffre crypté, ce qui, on en conviendra sans peine, est pour le moins assez désarçonnant et donne un peu le vertige. En tout état de cause, ce qui paraît assuré c’est qu’avec un pareil ouvrage le temps « sort de ses gonds » et que le lecteur est pour ainsi dire projeté dans le labyrinthe du temps ou plutôt des temps, au pluriel. La temporalité en vient ainsi à se feuilleter sous un horizon indéfiniment reculé, adoptant une structure réticulaire en fonction de laquelle, aussi déboussolant que cela puisse paraître pour nos habitudes séculaires de pensée, « l’éternité est un écho du temps ». Bref, c’est un livre au titre étrange, qui ne peut laisser indifférent, un titre qui laisse présager quelque chose d’un peu fantastique, bien dans la manière de Borges, qui lui-même est l’auteur d’une Histoire de l’éternité, laquelle devait remplacer le projet initial qu’il avait de composer une Biographie de l’éternité, voire, excusez du peu, celle de l’infini .
La table des matières n’a rien non plus qui puisse nous rassurer. Ne suivant pas le bel ordre des raisons, elle adopte plutôt un parcours lui aussi très borgésien constitué de 17 bifurcations accompagnées chacune d’un titre ou, pour mieux dire, d’une direction possible. Remarquons en passant que ce procédé d’exposition de la pensée n’est pas sans faire écho aux deux façons de faire plan chez Deleuze lorsque ce dernier oppose le plan au sens d’un « dessein dans l’esprit », d’un « projet » ou d’un « programme », et le « plan d’immanence ou de consistance » qui est « un plan au sens géométrique du terme » constitué de sections, d’intersections et de diagrammes, plan qui s’élabore à même le mouvement de son déploiement, en direct serait-on tenté de dire ou, pour reprendre une formule à la mode mais qui dans le contexte qui nous occupe fait réellement sens, « en temps réel ». Ce temps réel, effectif n’est plus enté sur une ontologie qui elle-même, comme l’a suffisamment montré Nietzsche, relève en dernière instance des habitudes grammaticales surdéterminées par l’emploi, pour l’ère géographique occidentale, du verbe être, bien que néanmoins la langue espagnole a ceci de remarquable qu’elle seule possède à la différence des autres langues européennes dérivées du grec et du latin, deux verbes pour dire l’être : ser et estar .
Cette distinction, qui vient pour ainsi dire lézarder l’unité d’un idiome en son fondement ontologique, n’est sans doute pas innocente dans le procès de déconstruction du temps auquel s’est livré Borges. La troublante indécision qui parfois saisit celui qui connaît le plaisir de parler cette langue lorsque d’aventure il participe à une conversation avec les autochtones n’est pas sans rappeler celle qui le frappe à la lecture de Borges : où sommes-nous ? (dans l’ordinaire ou l’extraordinaire, le réel ou le fantastique, en état de veille ou de songe) qui sommes-nous ? qui est et où se situe le narrateur ? y en a-t-il même un ? Quoi qu’il en soit de ce rapport déterminant qui lie l’être au langage (qui naturellement réclamerait bien plus qu’une simple remarque), le verbe être cède ici la place à la petite conjonction de coordination « et » dont, à cause de sa discrétion et son humilité linguistique et non seulement philosophique, on ne se méfie jamais ; elle supplante dans l’univers borgésien l’hégémonie métaphysique du « est ». La fameuse « question de l’être » se voie innocemment contaminée par la prolifération du virus de la coordination qui, sans égards pour l’autorité d’une tradition plus ou moins muséifiée par les gardiens du temple, déploie son conatus selon une logique de la juxtaposition ou de la rencontre résolument aléatoire. La parataxe déjoue la syntaxe, tant et si bien qu’il faudrait user d’un néologisme à la Jankélévitch pour qualifier ces étranges parcours, lignes d’ère dans une bibliothèque infinie, qui dessinent ce qu’il faudrait appeler une « nontologie » ou une « a-ontologie » dans un sens pas tellement éloigné de l’ « a-théologie » de Georges Bataille.
Ces quelques remarques ne peuvent donner qu’une idée très générale de l’ouvrage de Jean-Clet Martin. Il n’est pas possible dans le cadre de cette présentation d’aborder toute la richesse des thèmes et des enjeux de cette Biographie de l’éternité. Alors, afin d’en donner tout de même un aperçu, entrons dans le labyrinthe de Jean-Clet Martin qui lui-même n’est qu’un écho, une reprise ou répétition du labyrinthe borgésien qui lui-même…Prenons un chemin au hasard, puisqu’il faut bien commencer, et puisque ce celui-ci, ce chemin pris au hasard, qui est déjà une bifurcation, nous mènera bien à un moment ou à un autre à tous les autres. Commençons par la notion fort classique de « sujet », voyons un peu comment elle fonctionne ou, plus exactement, on s’en doute, jusqu’à quel point elle déraille chez Borges lu par J. C. Martin. Entendons la question littéralement : que devient le sujet avec Borges ? On peut considérer que la « Bifurcation 15 » porte sur ce problème même si, comme on peut s’en douter, cette dernière ne fait sens qu’avec les autres qui lui répondent et auxquelles elle envoie à la manière d’une anamorphose.
Le « sujet » répète en quelque façon le temps autre ou l’autre temps auquel J. C. Martin nous rend sensible à sa lecture de Borges. Dans cette perspective, le sujet est bel et bien une variation du temps, il rejoue à sa manière et selon son point de vue la « forme déchaînée » du temps. « Je » ne suis par conséquent pas un sujet substance ou substantiel. Il n’existe pas de sol ferme et continu en dessous, sub-stance procurant un fondement ontologique au moi alors à la fois assuré de lui-même et par là rassuré. Si le temps est, comme on l’a rappelé plus haut, feuilleté, constitué par des couches qui communiquent entre elles par percolation, le moi qui en est tissé peut lui aussi être subdivisé, traversé en tous sens sans direction normative. Le moi se désolidarise de fait, de part sa structure singulière, de toute une conception de la subjectivité qui articule le sujet à une pensée d’un temps fléché, orienté en un sens, de la naissance au trépas. On objectera que, précisément grâce à la mémoire et ses prothèses aujourd’hui de plus en plus réticulées, cette vectorisation du temps peut être reprise et réorientée en fonction des exigences de la culture, ce qui permet d’habiter le temps (et l’espace) humainement en limitant l’entropie. Cette récupération anthropologique n’atteint cependant pas le fond de la conception borgésienne du « sujet » dans la mesure où elle reste encore trop humaniste. La mémoire qu’elle met en avant est encore trop superficielle, elle est bien trop raisonnable pour comprendre ce qu’est un « moi moléculaire » dont la mémoire, comme la perception dont nous allons bientôt parler, ne se limite pas à la seule mémoire individuelle et temporelle et culturelle, celle-ci fût-elle tendanciellement mondialisée.
Il faut bien entendre la foncière hétérogénéité du « sujet » borgésien tel que l’envisage J. C. Martin. Sa mémoire n’est pas fonction du temps ou en tout cas d’un temps limité à trois dimensions ou extases, mais bien plutôt est-elle pour ainsi dire branchée sur l’éternité et ses infinis chemins qui là sont, au sens le plus fort, des Holzwege, des chemins qui se parcourent en tout sens et parfois même en même temps dans une sorte de superposition quelque peu affolée du temps et de l’espace, un peu comme lorsqu’on est pris dans un rêve. Un rien suffit à me faire prendre imperceptiblement une autre direction. Un pas de côté, un petit écart, l’équivalent sur le plan de la vie ordinaire du petit « et » sur le plan grammatical, sans aller bien loin, juste à côté et me voilà embarqué dans un couloir du temps tout différent (ou, en adoptant la graphie derridiennne, tout différant). C’est cela aussi « nomadiser sur place », en lisant, en rêvassant, en contemplant à la brune les variations de la lumière, en rêvant, toutes activités qui ne sont pas exclusives les unes des autres mais peuvent fort bien par les vertus de la bifurcation faire continuum, se parcourir d’un même mouvement.
Pour préciser davantage cette curieuse vision du sujet, il faudrait reprendre les acquis de la psychanalyse jungienne en les confrontant systématiquement à la théorie freudienne afin de montrer comment s’articulent les trois labyrinthes du temps, de la mémoire et de l’inconscient qui ne cessent de tisser le moi conscient au point que les frontières entre passé, présent, futur, non moins que celles entre la veille et le rêve, sont sans cesse remises en question. Rappelons simplement que pour Borges, comme pour Jung, l’inconscient est collectif, ce qui du reste est encore trop peu dire puisqu’il est en vérité cosmique, ce qui suffit à entraîner le sujet hors des sentiers balisés de l’humanisme moderne (mais pas Renaissant, encore folâtre et allègre). Si on peut encore parler d’une anthropologie, alors il faut la qualifier d’anthropologie ouverte, et ouverte tendanciellement à et pour l’Infini. Dans ces conditions, la célèbre formule de Rimbaud est on ne peut plus pertinente : « Je est un autre ». « Je » suis même plusieurs ; nous pouvons en droit sinon en fait communiquer avec tout ou le Tout, avec la totalité non close du réel en allant ici et là et là-bas et ailleurs ad infinitum. Nous sommes tous en puissance comme ce personnage inventé par l’auteur du Livre de sable, personnage qui a rendez-vous avec un autre qui lui ressemble étrangement, à tel point qu’en définitive l’existence de ce double en vient à remettre en question la préséance de l’identité du premier.
En toute rigueur, la solitude n’existe pas, quelque part dans un des innombrables couloirs du temps quelqu’un éprouve une pensée ou un affect semblable au mien quoique non identique. Nous sommes ainsi toujours sur la même longueur d’onde qu’un (ou qu’une) autre, et parfois en étant un peu attentif, ou par une sorte de grâce (Bataille dirait « chance »), il est possible de percevoir ces choses là. Par ce jeu de miroir se pose le problème de « l’indiscernabilité de la personne » et du droit que s’octroie le premier occupant d’une enveloppe corporelle à être le propriétaire de lui-même. Cette fiction a bien des vertus heuristiques, elle rend sensible au fait que nous sommes toujours déjà impropres, propriétaires de rien et surtout pas de soi-même, expropriés de nous-même par quelque double ou fantôme qui, à la lettre, nous mettent hors de nous, jetés dans l’impropriété et l’intranquillité, ce qui jette un sérieux doute sur la consistance de la catégorie d’ « auteur » : nul ne peut s’arroger le droit, sauf sur un mode parodique, d’être l’Auteur d’une œuvre puisque celle-ci, tel le Don Quichotte, n’est qu’une variante d’un texte (si c’est un texte) qui fait retour avec plus ou moins d’originalité. (En outre, on notera aussi qu’il serait trop réducteur de songer seulement à nos déambulations électroniques, même si celles-ci donnent une petite idée du sujet nomadique ou moléculaire qui par essence, ou plutôt par accident essentiel, est toujours déjà embarqué dans un voyage différent du trajet de la finitude – ce dernier encore trop accompagné du pathos de l’existence –, un voyage qui précède le voyageur dans la mesure où il « est » fait d’étoffes multiples qui de l’intérieur le connectent avec tout le reste : la mémoire, l’inconscient, la culture dans l’ensemble de ses ramifications).
On a donc affaire à un sujet peu consistant, délicieusement fragile. A la question tout à la fois philosophique, psychologique et policière qui demande « qui êtes-vous ? » (« Qui suis-je ? »), il faudrait pouvoir répondre en empruntant avec Borges lui-même la formulation poétique de sa taxinomie chinoise des animaux, reprise par Foucault dans la Préface de son maître-livre, et décliner une cascade d’événements un brin carnavalesques, sans rime ni raison. Réponse insatisfaisante pour la philosophia perennis autant que pour les agents de l’ordre. En substituant à une logique de la prédication une logique de la juxtaposition, du collage ou du rapiècement débridé, on ne peut si l’on y tient absolument – et, pour des exigences autant sociales que psychologiques qu’il serait stupide de négliger, il faut bien y tenir au moins un minimum – parler du sujet que de façon discrète (concept nécessaire mais vide), à l’instar des molécules représentant l’état discret de la matière par distinction avec ses états continus.
De temps à autre, il faut bien qu’il y ait des points de concrétion qui sauvent pour des raisons de santé publique et privée l’identité lacunaire ou moléculaire du « moi ». Alors oui, nous avons certes une identité psychologique, administrative et civile sans doute nécessaire mais au fond tout aussi fictive et contingente que les autres, et peut-être l’est-elle d’ailleurs davantage dans l’absolu, au point de vue du vrai. Je ne suis jamais vraiment le même, je ne suis jamais, je deviens et reviens à la manière d’un refrain fredonné par l’éternité en personne, une vieille et pourtant encore verte rengaine, unemilonga venue, c’est le cas de le dire, de la nuit des temps qui par hasard autant que par nécessité s’actualise ici et maintenant sans sacrifier au principe de raison. Ce sujet de peu relève en dernière instance d’une «superstition des logiciens » beaucoup moins poétique que les autres « faisant de l’humanité quelque chose comme un […] effet de surface ». L’air de rien, sans jamais jargonner, avant les penseurs du soupçon systématique Hume a dit l’essentiel sur cet aspect du problème : le moi n’est rien d’autre qu’un amas, une collection de perceptions multiples et diverses unies entre elles par certaines relations constantes en deçà desquelles il serait illusoire de vouloir retrouver un substrat ou un invariant nécessairement mystérieux. A la limite, si « je » suis encore c’est au sens d’un flux (donc non plus « être » mais bien devenir), d’un processus ou d’un agrégat tissé d’impermanence en dessous duquel rien n’est jeté, rien n’est sous-jacent.
Le sujet comme théâtre baroque ou, à la Deleuze, comme « patchwork » répond à notre besoin foncier de croire, pour des motifs indissolublement théoriques et pratiques, en quelque chose. Je suis moi parce qu’on me l’a dit, j’en ai contracté l’habitude, je me suis habitué à être un sujet, et parfois je me prends même à vouloir être quelqu’un en particulier (si possible important) ; mais toute cette fragile construction n’est qu’un effet linguistique comme le reste, simplement toute la phraséologie de l’intériorité subjective est certes moins excitante et, pour la poièsis (littéraire notamment), moins féconde voilà tout.
L’éternité borgésienne, faite « d’un temps qui se fibre en tous sens », imprime son sceau sur le moi qui épouse sa structure gigogne. Il s’apparente à un mille feuilles dont le cogito cartésien ne représente qu’une couche, qu’une virtualité finalement assez triste et ontologiquement pauvre dans la mesure où elle tend à réduire a priori les possibles de la bifurcation. Or cette fibrure du sujet, son effilochement, sa nature littéralement schizophrénique et, à terme, purement fictionnelle entraîne une semblable « déconstruction » de la catégorie d’objet, particulièrement nette si l’on s’arrête sur la question de la perception, question elle aussi éminente pour toute une tradition philosophique. De même qu’il n’existe à la rigueur de « sujet » que relativement à d’autres « sujets» qui le hantent et entrent avec « lui » dans des rapports de plus ou moins grande proximité qui vont du dédoublement (et même faudrait-il oser parler, si ces néologismes ne frisaient le ridicule, du détriplement’’, du ‘’déquadriplement’’, etc.) à la fusion ou confusion, il n’existe pas à proprement parler « d’objets nettement individués puisqu’ils se démultiplient de manière cubiste, comme une forme issue de la main de Picasso se divise encore en figures plus fines. » Pour les mêmes raisons qui nous faisaient parler d’un « sujet de peu », on envisagera les objets perçus comme autant d’apparitions, de phénomènes au sens étymologique du terme qui ne se détachent du « sujet » pour devenir précisément des ob-jets qu’à la faveur de conventions linguistiques dont la pensée et l’agir modernes on su tirer tous les bénéfices. L’objet comme son sujet est « un infini habité d’infinis ».
Un objet en cache toujours une multitude d’autres pris dans la trame du temps, si bien que la vérité de l’objet c’est la chose dont les profils débordent les cadres de la perception conventionnelle que rien, sinon des habitus profondément incorporés, ne nous empêchent de transgresser en bifurquant de la science vers la science et la fiction. « Chaque portion de la matière peut être conçue comme un jardin plein de plantes et comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin ou un tel étang. »; ainsi, si j’en ai le goût, je peux toujours pratiquer une « variation eidétique » hérétique en ne cherchant pas l’invariant qui me permettrait d’intuitionner les essences mais, à l’inverse, en privilégiant une variation plus imaginaire que rationnelle, me lancer dans une randonnée perceptive me faisant passer sans transition d’une région de l’être à une autre, percevant de façon dynamique et en fonction d’une vitesse exponentielle des mondes inédits – autre façon de « plonger dans l’inconnu pour y trouver du nouveau ». Derrière cet arbre perçu hic et nunc, ou juste à côté ou même au creux de ses nœuds existent des univers emboîtés et faisant réseau avec d’autres que je ne soupçonne même pas et que la « folle du logis » qui habite Borges m’invite à visiter. De ce point de vue, il est profondément vrai d’affirmer que je perçois tout et toujours, que n’importe qui à n’importe quel instant peut me percevoir, au sens où cet autre « sujet » peut me saisir selon des régimes de perception plus ou moins accompagnés d’aperception, y compris en me prenant dans les résilles de ses rêves et/ou de ses désirs – d’où notre remarque sur l’impossible solitude évoquée plus haut. Il n’y a donc pas de raison pour qu’on arrête, sinon de manière totalement arbitraire, un seuil de perception. Celle-ci ne s’arrête pas au contour identitaire de l’objet, elle peut fort bien dériver, trouer la périphérie du réel et aller tendanciellement à l’infini en franchissant toujours un nouveau seuil, une nouvelle frontière au-delà de laquelle les règles du jeu s’infléchissent ou changent radicalement. Analogon des « sujets », les « objets » sont comparables à l’écume ; ils sont justes « des images émergentes, des stabilisations transitoires d’une masse labile de fréquences temporelles hétéroclites. »
Un sujet qui n’en est pas dans un monde d’objets qui n’en sont pas. Telle est, à peu près, la conclusion qu’on pourrait légitiment tirer des considérations qui précèdent. Il nous resterait encore à examiner cet étrange sujet sous l’angle de la praxis, autrement dit à envisager ce qu’on devrait appeler son « éthique » ou, en un sens un peu différent, sa « morale ». La « Bifurcation 16 » porte précisément sur ce point, on y lit une méditation pour le moins éthiquement incorrecte sur l’agir qui prend rapidement la forme d’un « éloge de l’infamie ». Borges, qui avait pour projet d’écrire un cinquième Evangile dont l’auteur eût été Judas lui-même, donne dans son Histoire de l’infamie relue par J.C Martin les moyens de penser une « généalogie de la morale » d’inspiration nettement nietzschéenne qui laisse poindre « une beauté et un honneur propres à l’infamie ». En relisant l’histoire des hommes, et non seulement les seuls Evangiles, à rebrousse-poil, il n’est pas interdit de montrer que l’action « ignoble n’est certainement pas sans noblesse, sans courage, sans obstination.» Elle produit le négatif, l’envers insu et inavouable de nos sociétés et signale par là une autre forme de grandeur, une geste éthique aristocratique qui part son écart, sa foncière déviance touche à la vérité, un peu comme chez Bataille l’expérience authentique du sacré se fait par le bas, en cette zone d’indiscernabilité qui fait communiquer l’ordure et la sainteté.
Dans ce monde des paradoxes vertigineux, des constants et aberrants « renversements du pour au contre », les « derniers seront les premiers ». Nous pénétrons une région située « par-delà bien et mal » où « L’imposteur est un révélateur » et dans laquelle celui qui vient en sauveur peut fort bien dissimuler le pire malfrat. Le sens commun s’indigne avant de perdre pied et demande : qu’est-ce qui est bien ? qu’est-ce qui est mal ? Nous demandions tout à l’heure « qui suis-je ? » ; il faut maintenant demander : qui est bon ? qui est méchant ? que faire ? En ce point il convient d’abandonner les oppositions bien tranchées et les alternatives convenues. La fiction borgésienne nous entraîne en un point d’indistinction qui nous force à sortir au moins le temps d’une lecture – d’un divertissement supérieur – de notre confort axiologique pour reconnaître que parfois l’action différentielle de certains « sujets » indique que « la frontière entre le mal et le bien se délite pour une révélation d’un autre genre, laissant place à un nouvel évangile. »
« La vraie philosophie se moque de la philosophie », ainsi en est il aussi des vrais évangélistes. A cet égard, Judas en représente la figure exemplaire car excédentaire à tout le régime par trop linéaire et tellement prévisible de la morale. Non seulement la vermine, la lie de l’humanité, la cohorte des petites frappes et des renégats expriment le négatif de notre bonne conscience, c’est là sa fonction critique, mais elle a aussi sa face plus positive, constructive en appelant à « faire advenir autre chose que l’homme, un principe supérieur à l’homme »
Nous sommes loin d’avoir épuisé la richesse de cet ouvrage consacré à l’auteur des Ficciones par principe impossible à com-prendre ; notre approche a forcément simplifié la lecture qu’en fait J. C. Martin. D’autres parcours pour y introduire étaient praticables, il ne tient qu’au lecteur de s’y engager ; on espère simplement lui avoir donné une petite idée de ce qui l’attend : l’aventure de la lecture couplée à la pensée. Nous souhaiterions toutefois, pour finir, faire part d’une impression toute personnelle et qui n’engage que l’auteur de ces lignes. Pour la rendre au plus près on rappellera l’anecdote suivante : un lecteur empli de ferveur s’étend enfermé pour lire l’Ethique de Spinoza sorti au bout de quelques temps en s’écriant à peu près ceci : « Je suis éternel ! Je suis éternel ! ». Sans nous enfermer à proprement parler et sans verser dans un comportement aussi physiquement démonstratif, on n’est cependant pas loin du même enthousiasme au sortir de la lecture de Borges et de Jean-Clet Martin lisant en philosophe Borges. « Nous sentons […] et nous savons par expérience que nous sommes éternels » écrit Spinoza dans le scolie de la proposition XXIII du livre cinq de son Ethique. Avec J. C. Martin, au milieu du dédale borgésien, on se prend à vouloir répéter en la recopiant comme sous la dictée cette phrase. Ce qui pourtant diffère ce sont les chemins empruntés pour y parvenir, même si, soit dit en passant, sub specie aeternitatis, ils finiront bien au bout d’un certain nombre de combinaisons par se superposer.
Pour Spinoza, l’expérience de l’éternité suppose l’exercice de la rationalité poussé à son intensité maximum, comme c’est le cas pour la connaissance du troisième genre ; pour Borges, c’est plutôt en emboîtant en tous sens les chemins de la fiction et en donnant sa pleine démesure à l’imagination littéraire – la « puissance du faux » ! – qu’on en vient à sentir passer l’éternité. Curieuse éternité pourtant, suspecte même (on en conviendra en revenant à ce que nous avons dit des tribulations du « sujet »). Mais enfin, il est tout de même étonnant qu’avec des auteurs pour lesquels nos corps propres « et nos postures reçoivent des attitudes qui viennent évidemment de loin, rejouent des mimiques qui ne nous appartiennent pas vraiment mais se stabilisent, comme un sourire convenu, devant un enfant et sa mère, ou une émotion de souffrance devant un miséreux qui passe en portant sa croix », il est tout de même étonnant donc que cette dépersonnalisation contribue à procurer une émotion de joie. Apprendre, et qui plus est par les voies de la futile dentelle de l’écriture fictionnelle, que je ne suis qu’un sujet-ritournelle, un Funes ayant ‘’ plus de souvenirs que s’il avait mille ans’’, apprendre que je suis pour l’éternité au milieu d’une drôle d’histoire, que je suis sans origine assignable, ni fondement, ni finalité et que « je » serai éternellement répété, réfléchi, que quelque chose de « moi » reviendra (mais quoi ?), apprendre tout cela et connaître un sentiment de libération, véritable antidote à la mauvaise mélancolie, voilà qui ne donne pas envie de sortir du labyrinthe et nous ne fait pas regretter de n’être pas quelqu’un.
Olivier Koettlitz
1 Cf. G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, rééd, collection « Quadrige », p. 7.
2 Zola cité par Patrick Wald Lasowski, in. Syphilis, Paris, Gallimard, 1982, pp. 51-52.
3 Pour une lecture de Proust qui ne sacrifie pas à la mystique facile de la petite madeleine, on lira le livre de V. Descombes, Proust – Philosophie du roman, Paris, Editions de Minuit, 1987. Cf. aussi la présentation de P. Macherey sur le site de « La philosophie au sens large » (http://www.univ-lille3.fr/ set/sem/Macherey - séance du 29/05/2004).
4 4. Cf. J. C. Martin, Ossuaires, Anatomie du Moyen Âge roman, Paris, Payot, 1995 ; Parures d’Eros. Un traité du superficiel, Paris, Kimé, 2001 ;Sens en tous sens. Autour des travaux de J.-L. Nancy, Paris, Galilée, 2004.
5 Hume concède que ce qui le pousse à faire de la philosophie c’est le désir d’apporter sa modeste contribution à l’ « instruction de l’humanité ». Et rien d’autre ne l’y pousse qu’une simple, mais irrépressible, curiosité. « Ces sentiments surgissent naturellement de ma disposition présente ; et si je cherchais à les bannir, en m’attachant à quelque autre occupation ou distraction, je sens que je serais perdant en fait de plaisir : et telle est l’origine de ma philosophie. », cité par Gérard Lebrun, « Devenir de la philosophie », in. Notions de philosophie, III, Paris, Gallimard, collection « Folio/Essais », 1995, pp. 654-655.
6 Cf. J. C. Martin, Borges. Une biographie de l’éternité, Paris Tel-Aviv, Editions de l’Eclat, 2006, collection « Philosophie imaginaire ». On renvoie ici le lecteur aux titres des différentes « Bifurcations » (pour la question du déterminisme et de la liberté, cf. pp. 158-159, notamment). On pourrait très bien bâtir un cours de « philosophie classique » à l’usage des terminales à partir de cette lecture de Borges.
7Cf. Ibid., respectivement : pp. 82, 88, 89 ; p. 88 ; pp. 21, 41 et suivantes ; p. 88 et suivantes ; p. 65 ; pp. 78-79.
8 Ibid., p. 182.
9 Cf. Borges, Histoire de l’éternité, in Histoire universelle de l’infamie, trad. R. Caillois, L. Guille Bataillon, avec la collaboration de J. Cortàzar, rééd, Paris, « 10-18. Domaine étranger », 1994.
10 Cf. G. Deleuze, Spinoza. Philosophie pratique, Paris, Editions de Minuit, 1981, p. 164.
11 On suit ici les remarques faites par Clément Rosset dans son petit livre intitulé Le choix des mots, Paris, Editions de Minuit, p. 150 et suivantes : « Appendice II (L’Espagne des apparences) »
12 J. C. Martin, Borges. Une biographie de l’éternité, op. cit., p. 182.
13 Ce concept de « percolation » court tout le livre sur le Moyen Âge roman, cf. Ossuaires, Anatomie du Moyen Âge roman, op. cit.
14 J. C. Martin, Borges. Une biographie de l’éternité, op. cit., p. 184.
15 Cf. Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, collection « Tel », « Préface ».
16 Nietzsche, Par-delà Bien et Mal, trad. G. Bianquis, Paris, Aubier-Montaigne, 1951, I, § 17.
17 J. C. Martin, Borges. Une biographie de l’éternité, op. cit., p. 189.
18 Cf. Hume, Traité de la nature humaine, trad. A. Leroy, Paris, Aubier, 1962, t. I, Livre I, IV, 6.
19 J. C. Martin, Borges. Une biographie de l’éternité, op. cit., p. 176.
20 Cf. C. Rosset, Loin de moi. Etude sur l’identité, Paris, Editions de Minuit, 1999.
21 J. C. Martin, Borges. Une biographie de l’éternité, op. cit., p. 186.
22 Ibid., p. 185.
23 Leibniz, La monadologie, Paris, Aubier, § 67.
24 « Esse est percipi et percipere » : il faudrait procéder à une relecture fantastique de l’œuvre de Berkeley à la lumière de la conception borgésienne de la perception, faire revenir l’évêque de Cloyne mais possédé par le Malin. « Si esse est percipi, écrit J.C Martin, si comme l’affirme Berkeley « être, c’est être perçu », alors rien ne me garantit que celui qui perçoit ne soit pas déjà le résultat d’une perception antérieure. », Borges. Une biographie de l’éternité, op. cit., p. 34.
25 J. C. Martin, Borges. Une biographie de l’éternité, op. cit., p. 186.
26 Ibid., p. 195.
27 Ibid., p. 195.
28 Ibid., p. 198.
29 Ibid..
30 Ibid., p. 205.
31 Spinoza, Ethique, trad. Ch. Appuhn, Paris, Garnier, 1934, p. 209.
32 J. C Martin, Borges. Une biographie de l’éternité, op. cit., p. 188.
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