->English translation at the end
Il y a quelque
chose de bien plus profond que les nombres, de plus terrible que ces belles unités
dont on se sert comme d’un outil en oubliant leur nature d’outil. Pour Riemann, nos calculs sont basés sur une qualité
moins prévisible que les nombres. Qu’est-ce que cette qualité plus profonde ?
Riemann dira qu'il s'agit d'un embryon, un embryonnement de l’espace, comme lorsque
vous considérez le siphon de la baignoire où l’eau se soumet à un tourbillon au
lieu de laisser compter son volume. Calculer le rapport de deux points sur ce
tourbillon, ce n’est pas la même chose que de le mesurer sur la surface plane
du bain. Nous voilà donc en pleine descente, devant une espèce de Vortex ou de
Maelström dont, vous le savez, la science fiction raffole depuis la nouvelle
qui s’intitule « Descente dans un maelström ».
Au cœur du tourbillon décrit par Poe, le navire qui
dévale cet espace circulaire, ce cercle vicieux, prend une vitesse et rencontre
des objets qu’on ne peut plus mesurer, évaluer avec les mêmes nombres que sur
une mer calme. Il y a une distorsion affolante des distances qui deviennent
incalculables en se servant des nombres habituels. Le maelström que nous décrit
Poe est une espèce d’entonnoir où, comme pour le pavillon d’un saxophone, se
dessine un espace dont la courbure est négative. Il s’agit d’un immense
gouffre, d’un abîme sur lequel le navire pénètre dans les tréfonds des
mathématiques. Je me permets si vous voulez bien de citer quelques phrases de
Poe pour entrer dans cet art de compter qui est aussi un art de conter, ou de
raconter une histoire. Voici ce qu’il dit : « Au-dessus et au-dessous de nous,
on voyait des débris de navires, de gros morceaux de charpente, des troncs
d’arbre, ainsi qu’un bon nombre d’articles plus petits, tels que les pièces de
mobilier, des malles brisées, des barils et des douves ». Voici donc fixée une
espèce de rubrique dont les éléments sont en déroute. Dans l’urgence de cette
situation, au lieu d’agir, le narrateur, atterré, se perd en une étrange forme
de suspens ou de « supense », un étrange délire dont voici la formulation : «
je commençais dit-il à épier avec un étrange intérêt les nombreux objets qui
flottaient en notre compagnie. Il fallait que j’eusse le délire, car je
trouvais même une sorte d’amusement à calculer les vitesses relatives de leur
descente vers le tourbillon d’écume ».
L’impossibilité physique d’agir se trouve détournée par
la frénésie de penser. On bascule ainsi vers un art de calculer, vers un plan
très spécial, un plan de stupeur qui suspend toutes les appréciations normales,
l’évaluation naturelle des distances. S’en suivent des remarques, une série de
considérations sur la géométrie, une étrange réflexion sur la vitesse et la
forme des objets, Poe découvrant que la mesure, la métrique, les nombres pour
évaluer tout cela dépendent d’autres choses que des règles de la géométrie
classique, à savoir de l’incurvation du plan, de la courbure de l’entonnoir et
de la vitesse des flux induisant autant de déformations de l’espace. En faisant
ces réflexions, le narrateur va comprendre qu’il peut se tirer de là, sautant
vers des objets dont la trajectoire était susceptible de remonter le cours de
la gravitation comme certains filets d’eaux nappés de petits ballons rouges
montrent des flux qui remontent le fleuve à contre-courant. On passe ainsi
d’une mathématique abstraite à une mathématique vitale, d’une géométrie immobile
à une géométrie fluviale.
On tout cas, on verra immédiatement par là que les
nombres, un peu comme les ballons rouges sur l’eau ne fondent rien. Ils sont
eux mêmes l’expression d’un autre principe, d’autres forces dont ils dépendent.
Ce qui est premier, ce n’est pas le nombre, ce n’est pas le mathème mais le
lieu : une espèce d’incurvation sur laquelle les nombres vont pouvoir se
développer, une qualité de l’espace, une torsion qui fonde la quantité, qui
gouverne le mètre. Et ce qui s’appelle normalement un mètre sur un plan, cela
n’aura pas la même expression sur les pentes courbées du maelström. C’est comme
si les barres parallèles du boulier était remplacées par un ordre spiralé de
la répartition des nombres. Jetez ce boulier dans l’eau, avec les billes en
bois numérotées et voyez l’ordre des nombres, la suite des entiers naturels
entrer dans un autre groupe (Spirale d'Ulam, cf. image supra). Riemann sous ce rapport soumet la géométrie à la
topologie et redécouvre la notion grecque du lieu que Descartes avait éliminée
au profit du "point", croisement de y et de x. En renouant avec l’intuition des
lieux, par l’analyse de sites, Riemann découvrira en effet que la mesure d’un
triangle sur un plan ne correspond pas aux mêmes dimensions que sa mesure sur
un entonnoir. Je ne sais s’il a lu Poe, mais sa dissertation sur Les hypothèses
qui servent de fondement à la géométrie doit être parcourue comme une espèce de
conte mathématique, même si la chose est évidemment bien ardue.
C’est étrange, les hommes n’ont pas eu à attendre la
perception des trous noirs pour en imaginer la turbulence. Avant de songer au
cœur de nos galaxies, notre imagination s’est emballée déjà autour de
tourbillons océaniques, de typhons qui changent toutes les donnes pour autant
que je me rappelle l’horreur de la nouvelle de Conrad au sujet d’un « Typhon ».
Mais pour corser la chose, ou pour accélérer encore un peu la vitesse de
ce manège, il faudrait renouveler la perspective océanique de Poe ou de Conrad,
la projeter au cœur des galaxies, au centre d’un trou noir aspirant tous les
points par une force vertigineuse qui dérègle la sévérité des mathématiques
mises en demeure de penser tout autrement, ou de penser vraiment, de se mettre
à penser ce qui les fonde. C'est-à-dire l’enfer !
Riemann est donc, dans l’histoire des mathématiques, un
étrange magicien, quelqu’un qui a d’abord beaucoup effrayé ses collègues. C’est
un étranger, immigré des mathématiques ou peut-être une espèce de barbare dont
la réflexion ne sera prise au sérieux que par Einstein, renouvelant ainsi sa
vision de l’espace. Riemann était aussi révolutionnaire que Galois bien plus
jeune, jeune homme qui meurt à 18 ans avec une manière très féconde de grouper
les équations. Mais Riemann sera autrement inventif, ouvrant partout des
bifurcations, des cercles infernaux dont il montre la disproportion,
l’excentrement. C’est un être aux propositions obscures qui fait trembler le système
grec, la beauté grecque, celle apollinienne d’Euclide. Et il va montrer qu’on
peut contester Euclide dont la manière de penser la géométrie était bien
commune, trop commune.
Du mathème, il n’y a rien à attendre si on ne cherche
pas un plan plus méphitique, plus grave qui n’a rien à voir d’abord avec les
mathématiques et qui intéresse surtout les logiciens. Alors, quand le démon de
la logique bouleverse les planifications des idéalités mathématiques, le
mathématicien devant le siphon d’une baignoire, plongé dans ses sulfures, se
verra appelé par une expérience, une expérience qui lui apprend que l’espace
est un labyrinthe. Du boulier aux lignes équidistantes, on passe à un vertige
dont les nombres vont sentir l’affolement en entrant dans un nouveau « groupe
de transformation ». Voilà donc une expérimentation fort dangereuse des cercles
de l’enfer, mettant à mal la logique classique et en premier lieu le principe
de contradiction. Je ne vais pas parler du principe de contradiction d'Aristote pour le plaisir de faire montre d’un savoir. Simplement, je dirais
que pour Riemann dire que « A n’est pas égal à non A », un tel principe n’est
valable que sur la place d’un général quelconque comme Kléber à Strasbourg,
quand on ne peut pas en même temps discuter avec tous les passants, sauf à
imaginer un gueuloir, ce brouhaha que Flaubert aura expérimenté d’ailleurs en
écrivant vraiment pour sentir la sonorité de son récit. Le principe d’Aristote,
hostile aux interférences des voix est valable seulement dans un monde ordonné
où les choses ne mettent pas en péril le rapport des éléments et des pensées,
monde militaire des parallèles, monde des commandements incontestés, sauf sous
la défaite d’une bataille. Riemann prend me semble-t-il la peine de descendre
dans le gueuloir évoqué à l’instant. Il s’engage dans un espace saturé où
s’affrontent des propositions contradictoires sans que nous puissions
déterminer a priori laquelle est la bonne. La vérité axiomatique et générique,
vérité de général, reste pour Riemann une plaisanterie pour des étudiants en
mathématique. La vérité, les splendides vérités ne font pas du tout un
événement pour Riemann, elles ne sont que des opinions qui s’ignorent comme
opinion. En-dessous des vérités caporalisées, on ne peut pas ne pas entendre
des cris sauvages comme ceux que Lovecraft expérimente en bravant les ténèbres.
Partout la science doit recourir à la fiction pour entendre les clivages qui
empirent et les chaines de raison qui éclatent, le boulier qui cède et dont les
tiges se tordent en tous sens.
Voilà, c’est de ce côté-là que se tient ce que
j’appelle le plurivers, c’est dans ces ténèbres que ma pensée de logicien
chemine en se méfiant de la splendeur des beaux événements qui ne font rien
arriver d’autres que des vérités trop Platoniques, trop cristallines comme une
guillotine pour géométriser les hostilités. Je ne suis donc pas du tout
Platonicien et refuse le réalisme qu’il impose aux Idées mathématiques.
Souscrire à Platon, c’est entraîner les mathématiques sur un chemin où l’on ne
pense plus que sous la juridiction d’un ordre sectaire comme celui qui règne
dans la cité idéale autour de laquelle s’organise la « République ». Riemann
quand à lui revendique une autre expérience du partage, un autre rapport des
nombres que celui de la mesure et de la distinction en classes.
Pour Riemann, les nombres ne sont que des expressions,
pas des principes. Ils sont comme les boules en bois qui flottent sur le
maelström et dont le cadre des tiges métalliques aura cédé. Autant de
propriétés dérivées d’un fond larvaire qu’il nous faudra bien investir. On peut
dire que les nombres sont seulement des mécanismes utiles et non des axiomes
sublimes. Riemann procède à une déconstruction de la géométrie au non d’une région
obscure où circulent des lignes dangereuses qui font tout chavirer, y compris
les principes les plus évidents comme ceux d’Euclide sur les parallèles. C’est
pour cet affront non-euclidien que Riemann est célèbre. Ce penseur des
mathématiques est un sorcier extraordinaire qui nous entraîne dans un monde où
les parallèles se rencontrent. Cela peut prendre un tour complexe à démontrer
mais on peut très bien l’imaginer.
Tracez des sillages parallèles sur la surface d’une
baignoire avec des fils de peinture blanche et vous verrez bien que dans le
tourbillon elles vont se mélanger et se rapprocher à partir du point de
vidange. C’est ce genre d’espace qui impose sa loi, pas les nombres ! Ce sont
les turbulences qui gouvernent et non les régularités. Quoi qu’il en soit, vous
pourrez comprendre aisément qu’un monde où les parallèles se rencontrent sera
de nature à déstabiliser toutes nos habitudes, procédant à une véritable
réduction de nos croyances, une « réduction transcendantale » pour prendre un
mot de Husserl. Et si je traduits un peu cet horrible barbarisme, je dirais que
penser avec Riemann, c’est réduire les parallèles figées, c’est penser dans un
monde peuplé de lignes au comportement aberrant vis à vis de nos certitudes
séculaires, mais pour découvrir progressivement que ce monde pluriel, c’est le
nôtre.
Platon avait besoin d’un autre monde pour parler des
mathématiques. Riemann, lui, nous apprend que les mathématiques, c’est ici et
maintenant, dans la caverne, dans le trou, dans le vortex d’une baignoire
cosmologique où il engendre des cônes, des variétés d’espaces. Riemann trouve
les Idées non pas dans le ciel éternel, il découvre l’Idée dans la caverne,
dans la chute. L’événement n’est pas dehors, là bas, au-delà, transcendant. Il
est immanent à l’espace sensible dans lequel nous sommes perdus. Il s’agit
alors de prendre le navire, de partir avec Poe, sur le radeau qui tourne et se
déplace dans le vertige d’un univers qui ne possède en réalité aucune unité. Le
mot univers ne saurait sans doute convenir à décrire ce vertige. Il n’y a pas
d’univers, pas de monde. Voilà pourquoi on pourrait dire que la modernité
s’effondre avec Riemann à la fin du XIXe en même temps que la croyance à
l’universalité d’un monde. Pour le dire mathématiquement, l’espace que conçoit
Riemann est "un espace à n dimensions". Chacune de ces dimensions
fonctionne selon des lois propres qu’on ne peut pas exporter ailleurs, à moins
de les traduire dans un dialecte très compliqué, une intrication plurielle. Le
réel c’est comme un mille-feuille. Sur chaque feuillet émerge un ordre, une
organisation des parties qui ne doit rien à ce qui se passe sur un autre
feuillet. Ils sont tous autonomes. Comme sur un bloc-notes dont les pages se
vrillent en adoptant chaque fois une métrique propre, une géométrie singulière.
Du coup, la distribution des nombres sur ce mille-feuilles, ne composera pas la
même suite sur l’une des couches que sur les autres. Sur l’un des feuillets «
deux » pourra suivre « un », tandis que sur l’autre « un » sera immédiatement
suivi par « trois ». Chaque feuillet formera un groupe numéraire, une meute
dont il y aurait chaque fois un poème particulier à construire. Je le dis
rapidement en passant, c’est Galois qui au début du XIXe travaillera avec de
tels groupes qu’on appelle des groupes de transformation. Il faudra ensuite
attendre que les choses se décante jusqu’au tournant du XXe siècle.
Au carrefour des deux siècles, la croyance au monde
perd son contour comme pour une variation de Mahler ou un dessin de Kandinsky.
Mahler et Riemann habitent une même contrée agitée, tout à fait folklorique où
les étoiles sont en guerre, où le chaos gronde de partout. La cinquième de
Mahler n’est pas loin de ce folklore, de cette créolisation des espaces. Il y a
là, véritablement ce que j’appelle une fin du monde, une fin du monde au profit
d’un plurivers qui appelle une pensée du chaos plutôt que de l’événement ou
encore l’assomption de certains principes surnuméraires.
Les mathématiques se sont beaucoup trop intéressées à
l’infini et Cantor lui-même invente des nombres transfinis, pour ainsi dire
surnuméraires, plus grands que tout nombre. Mais pour Riemann compter des
transfinis ce serait encore une pensée organique, celle de la progression d’une
suite, enchaînement « moderne » qui veut que l’infini on peut le sommer pour un,
même dans les excès qu’il provoque par des nombres comme «Aleph » qui
enchaîne des infinis au lieu de compter des unités simples. Mais c’est là une
vieille habitude platonicienne qui veut que l’infini, on peut s’en accommoder
en y esquissant des événements idéaux. Alors l’infini n’est plus qu’un tour de
dialecticien, une opération à la mesure de notre humanité trop humaine. C’est
une volonté mathématique d’épuiser un dénombrement énorme selon une opération
idéale, abstraite. Les infinis ne peuvent pas vraiment faire peur aux
mathématiciens platoniciens, toute la fortune des mathématiciens provenant de
la certitude de parvenir au bout de l’infini. Mais qui nous dit que l’espace se
soumet à l’infini dénombrable des mathématiciens ?
Il me semble que le monde contemporain a perdu cette
illusion. Vous avez sans doute entendus parler des mathématiques du chaos,
notamment Mandelbrot qui vient de mourir et auxquels je voudrais rendre
hommage. Le chaos, c’est bien autre chose que l’infini, l’un est un ordre, l’autre
une turbulence. On ne peut pas le traverser dans l’abstrait. On ne tient pas
vraiment de compte quand on est dans le chaos, on ne peut compter sur lui, il
fait exploser nos métriques, nos moyens de mesurer, sachant qu’il est la
démesure elle-même, une démesure hylétique, infranuméraire, inframince,
fractale. Sur le dos du chaos, il y a une chute des nombres plus qu’une
élévation. Et c’est là que se joue aujourd’hui la véritable bataille des
mathématiques plutôt que du côté de Cantor. Le livre que je nomme « Plurivers »
n’est pas un livre de mathématiques sauf un chapitre sur Galois eu égard à la
théorie des groupes que j’évoquais à l’instant. « Plurivers » a été pour moi
une excursion tout autant artistique que politique. Il en va comme des carrés
de Kandinsky. Ils s’effeuillent en parfaite connaissance des géométries
non-euclidiennes qu’ils illustrent. On les sent qui dérivent sur un bloc-notes
dont chaque page marque d’autres propriétés géométriques. C’est une époque où
la peinture rêve d’une quatrième dimension de l’espace. C’est encore le cas de
Klee et la construction chancelante des couleurs qu’il organise. C’est la
notion de période qui m’intéresse chez Klee. Il développe tout cela par l’idée
d’un pavage périodique du plan. Mais cette idée de période est très littéraire
également comme je vais essayer de le montrer.
Une période est l’organisation d’une séquence
constructible dans le chaos. Par exemple, on peut empiler des morceaux de sucre
jusqu'à un certain point. Vous en ajoutez un et tout s’écroule. Comment compter
un tel équilibre ? C’est tout à fait délicat a priori ou sans passer par
l’expérience. Période est un mot qu’on peut décomposer en deux composantes. Il
y a d’une part le préfixe «péri», qui donne la périphérie et l’ «ode» qui
produit un certain rythme ou un retour. « Périodique » sera donc le mouvement
d’une ode, une ode qui est odyssée, toute ode étant odysséenne. Nous voilà au
cœur du vortex avec lequel j’avais débuté, un éternel retour qui ne charrie
jamais les mêmes événements. Cette ode est en effet sur la limite du péri, du
péril, du périphérique. Elle sera sujette à une force centrifuge qui déplace le
tout lorsqu’on dépasse un certain point ou un seuil de vitesse. Il y a là
disais-je grand péril… C’est que le péril est l’affect même du périodique, le
péril vient du péri, de ce qui advient sur la périphérie et qui demande une
certaine prudence. Comme le dit quelque part Jean-Luc Nancy Le mot expérience
est lui-même construit autour de ce péril, péril de l’ « experiri », de
l’empirisme qui empire, qui met le cap au pire. Il y a un mouvement d’empirer
du péril sur lequel on trouve encore le « peirates », le pirate, le piratage de
l’ode. « Périr, périphérie, période, expérience, piratage.. » sont un seul mot,
une créolisation pour dire le chaos, pour construire la séquence fragile d’une
régularité périodique dans le plurivers.
J’ai tout au long de mon livre cherché de telles
séquences entre philosophie, art, mathématique et politique. C’était pour moi,
reprenant un mot de James, une leçon d’empirisme radical parce que tout
pluralisme nécessite de longer une période sur un pourtour chaotique. Il m’a
semblé que le monde contemporain, c’était cette expérimentation périlleuse du
chaos par rapport à la modernité qui se contentait de jouer sur des infinis
dénombrables et, par conséquent, sur des événements qui ne pouvaient pas
induire de véritables ruptures dans l’histoire de la modernité, une histoire
sans cesse poussée par l’espoir d’une progression régulière. Le geste par
lequel je rencontre les plurivers est donc diamétralement opposé à la tentative
de la modernité ou de la postmodernité pour restaurer le compte total en
formation au sein d’une histoire ou d’une structure. Deleuze et Derrida sous ce
rapport sont plus proches des temps contemporains, de la contemporalisation des
temps qui fait la figure de l’immonde dans laquelle nous sommes rentrés depuis
Riemann, Mahler ou Kandinsky, très éloignée d’une «logique des mondes». Mais en
suivant ce pourtour chaotique, dans la traversée périodique de l’enfer dont les
cercles font se chevaucher les mondes les plus divergents s’ouvrent des modes
d’existence dont les intensités sont autant de portes, de trouées éthiques pour
rejoindre un autre paradis.
Philosophy in the vortex (English translation by Christopher Satoorian)
There is something much deeper than numbers; and more terrible than these beautiful units that are used as tools and then forgotten in their form. For Riemann, our calculations are not based on a predictable manner, but rely more on the quality of numbers. What is deeper than this quality? Riemann says it is an embryo, an 'embryonic' space, such as the trap of the bathtub where water undergoes the flow of a vortex instead of being reduced to the calculation of volume. If we calculate the ratio of two points on the vortex; it is not the same as the measure on the flat surface of the bathtub. We are falling towards a kind of vortex or Maelstrom which, science fiction loves to emulate as a “Descent into a maelstrom.”
At the heart of the vortex described by Poe, the ship hurtles in this circular space, this vicious circle that moves at infinite speeds and encounters objects that can not be measured or evaluated with plain numbers on a calm sea. There is a mad distortion that is always becoming and yet remains at an incalculable distance by these usual numbers. The maelstrom that Poe describes is a kind of funnel as in the flag of a saxophone, which emerges as a space whose curvature is negative. There is a huge chasm, an abyss in which the ship enters the depths of all mathematics. Allow me if you will to quote a few sentences from Poe to enter into this art of counting but also, an art of storytelling. He says: "Above and below us, are broken vessels, large pieces of timber, tree trunks, as well as many smaller items, such as pieces of furniture, trunks, broken barrels and staves.” Here is a set of species under whose elements are routed. In the urgency of the situation, instead of acting, the narrator, aghast, is lost in a strange form of suspense. A strange delusion that only the word play can imply: " I started he said, to watch with a strange interest, the numerous objects that floated in our company. It was I that had delusions, because I found a fun way to calculate the relative velocities of their descent into the vortex of foam.”
Our physical inability to act is blocked by the frenzy of thinking. This is the turn to a calculation of an art, a very special plan, a stupor which suspends all normal assessments, an evaluation of natural distances. We will follow these remarks with a series of considerations on geometry and a strange reflection on the speed and shape of all objects. Poe discovered that metric measurement; and the numbers to evaluate all of them depended on other things then rules and classical geometry; namely the plane of the curvature. The curvature of the funnel and the speed of flow inducing deformations of space. In these reflections, the narrator understands that he can get out of this point by jumping from objects whose trajectory was likely to fall back in its own gravitation, as some threads of water topped with small red balloons can show us how flows return to the river against the current. We switch footing from the abstract mathematical to a vital mathematics, a stationary geometry, a river of geometry.
On any case, we see immediately, where numbers are a bit like the red balloons on the water. They themselves are the expression of another principle, which is dependent on another force. What comes first, not the number, this is not the matheme, but rather a species of curvature on which all numbers will be able to develop a quality of space, a twist, that establishes the quantity that governs the meter. And what is normally called a meter on a plane that does not have the same expression on the curved slopes of maelstrom? It is as if the parallel bars of the abacus were replaced by a spiral around the distribution of numbers. Take this abacus in water, with each ball numbered by each piece of wood and see the order of the numbers, the sequence of natural numbers into another group ( Ulam Spiral , cf. Picture above). In his report, Riemann, submits to a geometry and topology that was rediscovered by the Greek notion (in which Descartes eliminated in favour of a "point”, crossing y and x). There is a reconnection with the intuition of places a site analysis and Riemann discovered that in fact the measure of a triangle on a plane is not the same dimensions as it is measured on a funnel. I do not know if he read Poe, but his essay on these assumptions underpin this geometry and must be uncovered as a kind of mathematical tale, even when it is obviously very difficult.
It's strange; mankind did not have to wait for the perception of black holes to imagine this turbulence. Before this thinking at the heart of our galaxy, our imagination has already been packed with gyres and typhoons changing all of the data. I remember the horror of this ‘new’ Conrad, a "Typhoon”. But to complicate the matter, or to slowly accelerate the speed of the ride, it would renew the oceanic perspective of Poe and Conrad. This project is at the heart of all galaxies; and its center is a black hole sucking all the points in by dizzying the forces that disrupt the severity of all mathematical formal thinking. We notice that it shifts everything else, or it makes us think, or perhaps it makes us think that the so called bases are beyond the depths or …that is to say hell!
Riemann in the history of mathematics was a strange wizard, someone who initially frightened many colleagues. It is a foreign immigrant mathematics or perhaps a kind of barbarianism whose reflections will be taken seriously by Einstein, renewing its vision of space. Riemann was as revolutionary as Galois who was a younger man and who died at 18 years of age with a fruitful way to group all equations. But Riemann was inventive, opening everywhere bifurcations, infernal circles, revealing the disproportion of eccentricity. This was the obscure proposals that shook the Greek system, the Greek beauty, the Apollonian Euclid. And this gesture would show that we could finally challenge Euclid, whose way of thinking was ‘a common geometry’ ‘an all-too-common’.
With the matheme there is nothing to expect. It is a noxious plan, which has nothing to do with math at first, but has deeply interested logicians . So when the demon of logic upsets schedules and mathematical idealities, the mathematician before the siphon bath, deep in sulphides, will be called to an experience, an experience that will teach him that the space is a maze. Abacus to equidistant lines, we plunge into vertigo whose numbers feel the panic of entering a new “transformation group ". So that's the dangerous of the experiment, circles of hell, undermining the classical logic and the first principle of contradiction. I will not speak of the principle of contradiction, as Aristotle already watched everything turn into analogous knowledge. I will simply state that for Riemann " A is not equal to non-A " … as a principle it is only valid on the place of General Kléber in Strasbourg. We can not discuss this concept with all passersby’s, except we can imagine a gueuloir, this brouhaha that Flaubert had experienced elsewhere in his writing; and it is us that can really feel the tone of his story. The principle of Aristotle’s hostile interference is valid only in an orderly world; where things do not jeopardize the elements of thought … of where the military world is parallel to its commands of an undisputed world, except in the defeat of a battle. Riemann takes his bother to go down to the gueuloir to discuss this moment. This engages a saturated space, a clash of contradictory propositions without which we can determine an a priori ‘good’. With axiomatic truth and generic truth of the general Riemann remains a joke for students in mathematics. The truth of these beautiful truths, are not an event for Riemann, they are only opinions that ignore the emptiness of all opinions. Beneath these authoritarian truths, one can not hear the wild cries of Lovecraft’s experiments which were courageous among this darkness. In all cases science must resort to a fiction, to hear the hardened divisions and chains of reason burst everywhere, which makes the abacus and its rods shoot outwards ‘twisting’ in all directions.
It is here in that madness of matter, what I call the pluriverse that holds the fabric of everything together. It is in the darkness of my mind where the logician travels distrusting the splendour of real beautiful events that happen like any other truths Perhaps this thought is too Platonic, too crystalline like a guillotine to geometrize hostilities. I therefore refuse all Platonic realism that requires mathematical ideas. To subscribe to Plato’s mathematical form will direct us on a path where we can no longer think under the jurisdiction of a sectarian order, that which prevails in the ideal city around the organization the of the "Republic ." Riemann hopes to share yet another experience , another report of numbers, and the distinction of its classes.
For Riemann, numbers are only expressions, and not principles. They are like wooden balls that float on the maelstrom whose frame of metal rods will be transferred. And this is derived from a larval background that we must all invest in its properties. We can say that the numbers are only useful mechanisms and not sublime axioms. Riemann performs a deconstruction of geometry rather than submitting to a dark region of space where dangerous lines overwhelm all around us, this includes the most obvious principles that of Euclid’s parallel. It is this non- Euclidean gesture that sets Riemann apart from all mathematical thinkers. He is an extraordinary wizard who takes us into the world of the parallel. This take us on a ride, succumbing to a complex turn, in which we all can imagine
Draw a parallel line on the surface of a bath with white paint and you will see that in the whirlwind they all mix and approach from the point of discharge. It is this kind of space that imposes its law, not numbers! We can easily understand that in a parallel world where this form of thinking meets us head to head this and only thins kind of thinking can destabilize all of our habits , making a real reduction in our beliefs, a " transcendental reduction " to take a word from Husserl. And if I brought in this little horrible barbarism, I would think along with Riemann, which is reducing the fixed parallel and thinking of a world populated by lines, and aberrant behaviour, towards our secular certainties, but gradually we would all discover that the plural world is ours.
Plato needed another world to talk about mathematics. And Riemann , tells us that mathematics is here and now, in the cave , in the hole of the vortex of a cosmological bathtub, where he produces cones and the variety of spaces . Riemann found these ideas but not in the eternal form, he discovered the idea in the cave of the fall. The event is not out there in a beyond or transcendent. It is immanent in the sensitive area in which we all are lost. It is the moment leaving with Poe on a ship, a raft that rotates and moves in the vertigo of a world that has no unit. The word universe is probably not suitable to describe the dizziness. There is no universe, no world. That's why one could say that modernity collapses with Riemann and at the end of the nineteenth century along the same time that we had a belief in the universality of a world. To put it mathematically, space is designed by Riemann as an “n-dimensional space." Each of these dimensions operates according to its own laws that can not be exported elsewhere, unless they are translated into a very complicated dialect of plural entanglement. The real is like a mille-feuille (A French Pastry with multiple Layers and its uniqueness is its unknown origin. Jean is hinting at both aspects of this multiplicity). On each sheet emerges an order, an organization of parties that owes nothing to what happens on another sheet. They are all independent. Like a notebook whose pages twist adopting the slightest movement it is a singular geometry. As a result, the distribution of numbers on milfoil, do not hold the same set as one of the layers on another. On one of the sheets "two" may follow, while on the other "one" will be immediately followed by "three". Each sheet will form a group, a pack which would be individuated by the process of a poetic ‘building’. I had quickly mentioned this before with Galois, with his work in the early nineteenth century with groups called ‘transformation groups’.
At the crossroads of two centuries, the belief in the world loses its outline. What was needed was the variation of Mahler and the drawing of Kandinsky. Mahler and Riemann live in the same rough country, they are quiet folk who see the stars are at war, and chaos is rumbling everywhere. Mahler is not far from the folklore of the creolization of spaces .… what I call an end of the world, an end of the world in favour of a pluriverse, calling forth a chaos of thought, rather than an event or an assumption of certain supernumerary principles.
Mathematics is far too interested in infinity and Cantor himself invents transfinite numbers, making the supernumerary greater than any number. But if Riemann were to count the transfinite, it would still be an organic thought, the progression of a sequence, a "modern” sequence which could summon the real infinite without this excess that still causes numbers such as “Aleph " that connects to the infinite instead of counting single units . But this is an old habit that Plato wanted to add to infinity, where we could live in these sketching ‘ideal’ events. But infinity is not a dialectical tower or an operation to measure a false ideal of humanity. This is the exhaustion of the mathematical, the grand ‘under-count’ by an ideal, and the will of an abstract operation. The infinite can not really scare Platonic mathematicians; it is only the fortune of mathematicians reaching the end in infinity. But what does this tell us about the space of the countable in the infinite?
It seems to me that the modern world has lost the illusion. You’ve probably heard about the mathematics of chaos, including Mandelbrot whom I wish to pay tribute to. Chaos is anything other than infinity it is a ‘one’ that is an order. We cannot cross in to the abstract. We can not take into account when one is in chaos, we can not count on him, for he blew our metric and our ability to measure , it is only the excess itself, a hyletic excess, a fractal . On the back of chaos, there is a drop in all numbers. And today this is where the real battle of mathematics takes place, as opposed to the side of Cantor. In my book, what I call "a pluriverse” is not a typical math book, but a chapter on Galois theory with regard to the groups that I mentioned a moment ago. “The Pluriverse for me was not only artistic it was also a political excursion. It moves like squares in Kandinsky. They illustrate shedding their skin in the knowledge of a non-Euclidean geometry. One feels that drift on a notepad and that each page marks other forms of geometric properties. This is a time where we dream of painting a fourth dimension of space. And this is still the case with Klee who organizes the construction of colour. This is the notion of time which makes me interested in Klee. He develops the idea of a periodic tiling of the plane. But this idea of a period is also very literary as I will try to show.
A period is the organization of a building block in the chaos. You add one and everything collapses. Yet How can we count on such a balance? It is quite difficult without an a priori or by experience. Period is a word that can be decomposed into two components. There is firstly the prefix "peri ", which gives the periphery and “ode “that produces a certain pattern or a return.” The journal “will be the movement of an ode, an ode which is odyssey, any ode being Odyssian. We are at the heart of the vortex with which I began, an eternal return that never carries the same events. This ode is indeed on the edge of the perished, a danger, of such a device. It will be subject to a centrifugal force that moves the whole when exceeding a certain point or a speed threshold.... This is the great danger that is the risk of the same affect of the journal, the danger comes from the perished, what happens here on the periphery requires some caution. Jean -Luc Nancy said the word experience is itself built around a risk, the risk of the “experiri “an empire of empiricism, which is headings towards a catastrophe. There still is a movement that adds to the danger to which today we still find “pirates’ " the pirate, piracy ode . " Perish, periphery, period, experience, piracy.. “are words of creolization a chaos built by the fragile sequence of a periodic pattern in the pluriverse .
I have throughout my book sought such sequences between philosophy, art, mathematics and politics. It was for me, taking a word from James, a special lesson in the engagement of a radical empiricism, a pluralism that requires a period of chaotic edge. It seemed to me that the contemporary world was this dangerous experiment of chaos versus modernity that would just play on the countable infinite and, therefore, on events that could not induce real breaks in the history of modernity, history constantly driven by the hope of a regular progression. The gesture with which I meet the pluriverse that is diametrically opposed to the attempt of modernity or postmodernity and to restore the account of a total training within a story or structure. Deleuze and Derrida in this respect are closer to contemporary times, the times of contemporalisation which, the figure of a return to Riemann, Mahler or Kandinsky is needed, that is far from a "logic of worlds." But following this chaotic periphery, in the periodic crossing of hell whose circles overlap and are the most divergent worlds that are open livelihoods whose intensities are so many doors, ethical gaps to reach another paradise.
J.C. Martin Lecture at the Latin American House , rue Solferino , reproduced in Hell philosophy, Léo Scheer , p. 91
J.C. Martin Lecture at the Latin American House , rue Solferino , reproduced in Hell philosophy, Léo Scheer , p. 91
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