mercredi 5 février 2014

Arnaud Villani, un parcours philosophique

Philosophes d'aujourd'hui  5



     Qu’on la nomme métaphysique, ontologique ou existentielle, la question majeure de la philosophie concerne l’être. Non pas toutefois au sens d’une différence entre ontologique (l’être) et ontique (l’étant), ni d’une différence entre essence (le quid) et existence (le quod). La première différence significative dans le problème ontologique est celle qui sépare le-pauvre-en-monde (règnes du minéral et du végétal, pour différer d’avec Heidegger), l’être-en-milieu (l’animal) et le-faire-et-voir-monde (l’homme).

A l’intérieur de cette différence, il s’en trouve une autre, qui ne concerne que l’homme, et qui porte sur la différence entre les façons de voir le monde. Si l’on reprend les formules leibniziennes qui ouvrent toute métaphysique, demander « pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien » peut en effet se rapporter à la première différence (au sens : « Comment fait-on un monde, que peut-on appeler monde ?») tandis que demander « pourquoi les choses sont ainsi plutôt qu’ainsi » se rapporte à la seconde différence (au sens : « quelle est la différence, dans les façons fondamentales de voir le monde --  sans qu’il s’agisse de relativisme – qui fait que les choses sont ainsi, ou toutes différentes ? »)

Si l’on demande ce que signifie cette différence des façons de voir le monde, qui n’est pourtant pas du relativisme, je dirais qu’il y en a deux exemples : « les envois destinaux » de Heidegger (le thaumazein, le souci), et plus clairement encore, ce que l’ethnologie restitue brillamment, depuis plus d’un demi-siècle, sur les sociétés traditionnelles ou tribales, l’économie généralisée du symbolique, les « sociétés contre l’Etat », la Weltanschauung des chasseurs-cueilleurs, le paganisme, le shamanisme, le mythe Dogon ou les conceptions du rêve chez les aborigènes australiens. Ces façons de faire-monde, ces « mondifications » si l’on veut, ne posent pas le monde comme nous, ne le voient pas comme nous, ne le traitent pas comme nous (« nous », voulant dire : « la pensée rationnelle et rationaliste occidentale », avec travail, valeurs, jugements discriminants, domination, accumulation, sacrifice, dieux et Dieu, Lois et Droit, Etat etc., comme si tout cela allait de soi et avait existé « depuis la fondation du monde »).

Au titre des préalables, il n’est enfin pas exagéré de penser que les penseurs présocratiques, pas encore gagnés à la cause d’un Logos rationnel, semblent pouvoir constituer une sorte de prolongement (notamment sur l’interdit d’accumulation) de la pensée archaïque et mythique. Outre que Jean-Pierre Vernant faisait l’hypothèse d’une filiation entre mythe et pensée des Milésiens, Marcel Detienne établissait que le caractère de « parèdres » qui joignait indissociablement Vérité (Alêtheia) et Mensonge (Apaté), par des intermédiaires comme Peithô et Parphasis, tenait chez Parménide à une pensée « mythico-religieuse ».

Il faudrait évidemment un travail considérable pour mettre en lumière de façon convaincante ou irréfutable le lien fort, en Grèce autant qu’en Chine taoïste, entre la pensée archaïque et certains aspects de la philosophie présocratique. Ce pourrait faire l’objet d’une introduction ethnologique à la Philosophie présocratique. Pour l’instant, nous pouvons mettre entre parenthèses cette conjecture simplement probable, et tenir bon en revanche sur certains principes que ne respectent pas toujours les traducteurs et commentateurs de Pythagore, Héraclite, Parménide ou Empédocle.

Le plus important me paraît celui de se garder de les interpréter à partir d’une lecture a posteriori, « rétrograde » comme dit Bergson, qui en ferait des précurseurs du « miracle » d’un Logos occidental. Persuadés que la « ratio » occidentale se niche, surtout si nous avons suivi une formation philosophique complète, dans le moindre de nos mots, de nos phrases, de nos réflexes de pensée et habitudes de représentation, faisons l’effort de « laisser-être » une pensée radicalement différente de la nôtre.

        Il est temps que j’entre dans plus de détails pour te donner une idée sommaire de la genèse d’une conception de la philosophie que je développe depuis assez longtemps et qui doit te sembler baroque et même abracadabrante. Je voudrais que nous dépassions ce qui pourrait apparaître comme une sorte de fixation haineuse et phobique sur la figure de Platon, dont nous plaisantons tous les deux, et qu’ainsi nous entrions dans une discussion argumentée. Ainsi je me sentirais moins seul en pensant qu’au moins un de mes amis comprend l’arrière-plan de mes étranges propositions, que l’on pourrait interpréter comme agressives ou prétentieuses. J’exagère cependant ici, car d’autres amis semblent assez bien comprendre, à ou en tous cas deviner mon trajet, je pense à Georges-Arthur Goldschmidt, Gilbert Romeyer-Dherbey, Marcel Detienne, Michel Deguy, Robert Redeker, José Gil, Alain Beaulieu, Marc de Launay, entre autres.

               Tu t’en souviens, nous étions ensemble en préparation Ulm, en Lettres Classiques. Tu as bifurqué, j’ai persévéré. Grec et latin jusqu’à l’Agrégation. Prédilection pour la traduction grecque, et la poésie. Par jeu peut-être, mais surtout par besoin, j’ai poursuivi parallèlement le cursus de philosophie. La grande différence entre ma formation et celle des philosophes purs ne fut ni la science ni la logique, mais l’approfondissement, pendant un an, de la philologie, et notamment, des langues indo-européennes. Cela m’a donné une plate-forme tout à fait inédite, non seulement sur les langues qui ont fabriqué l’Occident, mais sur la pensée qui préside à ces langues. J’ai pu par exemple entrer dans le secret de ce cas grammatical, conservé en sanskrit et en grec, mais disparu en latin : le « duel ». Il traduit une pensée qui consiste, non pas à voir le « deux » de façon classique (un plus un) mais à le penser comme unité indissociable, non une somme mais une symbiose où les éléments, tout en restant distincts, entrent dans une forme de gémellité, sans confusion et admettant la différence, impliquant même l’altercation.

         Par quelques mots d’une de ses préfaces, le linguiste Gustave Guillaume m’a permis d’opérer une véritable métanoïa. Car, en découvrant l’« en-pensée » de la langue, il livrait l’indice proprement archéologique d’une attitude noétique, impliquant toute une conception du réel, qui avait disparu purement et simplement à époque grecque classique, et n’avait jamais été restituée, y compris dans une discipline dont la tâche, je le croyais du moins, était de penser, et de penser la pensée. L’« en-pensée » du duel n’a plus jamais été pensé, sinon par Von Humboldt dans ses textes sur le Kavi, dont nul ne s’est soucié. Les langues dites mortes abritaient donc, comme le Rift d’Olduvaï une somme considérable de squelettes de dinosaures, ce que l’on peut considérer comme des « fossiles de pensée ». Mais ces « fossiles » manifestaient une rupture telle qu’il était impossible de les considérer comme ayant jamais appartenu à la famille de pensée occidentale, qu’on ne voyait pas non plus issue de leur filiation. Bref, j’étais placé devant une hétérogénéité de la pensée, une in-évolution, impliquant lutte entre des pensées inconciliables, radicalement opposées, avec, on pouvait dès lors l’imaginer, des luttes fortes, des mensonges, des stratégies guerrières, toute une agonistique de la pensée.

        Ma prédilection pour l’art, notamment la poésie et la peinture, m’enseignait la même évidence : on ne pense pas de la même façon, on ne vit pas dans le même monde, quand on est philosophe (ou logicien) et quand on est artiste. Ce qui a l’air d’un truisme. Mais cela veut dire que la tentative de la philosophie classique, de représenter toute pensée possible sous l’unité d’un seul effort spirituel, pérenne, est d’emblée soit une naïveté conduisant à l’échec, soit une contre-vérité. J’étais donc sensible, même si à cette époque c’était plutôt par intuition que par conception, à la disparité, la fracture inconciliable qui sépare les pensées, et je comparais cette hétérogénéité à celle que présente un biologiste parmi les plus grands, Thure von Uexküll, faisant sentir quels abîmes de différences séparent les « mondes » (en réalité, les « milieux ») de la tique ou de la méduse, et celui de l’homme. Dès ce moment, j’ai regroupé la Finalité, l’obsession d’une formation (Bildung) et la reproduction de la « figure humaine » dans une « forme » qui, à mon sens, engendrait la représentation occidentale du « monde », en oubliant totalement d’autres représentations où minéraux, végétaux, animaux, forces de la nature, esprits et morts, tradition des ancêtres, venaient se mêler à la représentation humaine, lui évitant de devenir « orgueilleuse », anthropocentriste, hégémoniste.

         Là-dessus se sont présentées trois rencontres d’envergure, sur fond d’approfondissement patient, par les textes, toujours tellement différents de leurs commentaires, du détail de l’histoire de la philosophie auquel me contraignait l’enseignement sans programme en hypokhâgne durant vingt ans, puis l’enseignement sur programme en khâgne pendant vingt autres années. La première est celle de Parménide et d’Héraclite, auxquels il faut ajouter les Sophistes. La seconde est une séquence qui vient de Goethe et Herder, passe par les Romantiques allemands (surtout Novalis, Hölderlin, Friedrich Schlegel) et se conclut chez Schopenhauer et Nietzsche. Nouvelle fracture qui déchire le tissu philosophique et revient à la Nature comme force de production, à l’abîme, tout en  répartissant la pensée en Représentation et Volonté, révolution dont apparemment certains philosophes, plus d’un siècle après, continuent de ne pas comprendre la portée. La troisième rencontre, préparée par les deux premières, est celle de l’œuvre foisonnante, incroyablement inventive, de Deleuze.

        Je dirais, tout en reconnaissant qu’alors mon travail était largement plus intuitif et « poétique » que conceptuel, que ces années de recherche ont été le prolongement logique de la découverte comme symptôme du cas du « duel ». J’ai compris que le duel était lui-même une forme locale d’un processus bien  plus global, un « fait social total », mythique, ethnographique, philosophique, auquel, à la suite de Bataille et de son « échange symbolique », j’ai attaché le nom de symbole, comme symbolon et pas du tout comme « signe ». Ce modèle du symbole comme unité des contraires, coïncidence des opposés, unitas multiplex, m’a permis, dans des études notamment publiées dans les Cahiers de l’Herne, d’avancer beaucoup dans la compréhension d’Eschyle et de Sophocle, d’Héraclite et de Parménide, de Goethe, Novalis et Hölderlin, et plus récemment de Kafka, sans l’étendre à René Char où le processus devenait un procédé un peu voyant.

        Ma formation de philologue me donnait cet avantage de me permettre de voir nettement la filiation de la pensée symbolique chez les auteurs cités, avec le dilemme et les oxymores du texte d’Eschyle et de Sophocle. La notion de symbole devenait peu à peu un levier incomparable pour entrer dans des pensées fortes et en même temps, parce que notre logique occidentale est identitaire et de tiers exclu, donc anti-symbolique, des pensées devenues mystérieuses. Ce dont témoignait l’épithète d’Héraclite : ho skoteinos, l’obscur, alors que, décodée selon le modèle du symbole, sa pensée, tout autant que celle des Taoïstes ou plus tard de Nicolas de Cusa, est d’une clarté exemplaire.  

          Interrogée de très près, depuis le point de vue d’une logique non-occidentale, comme j’ai tenté de le prouver dans mes deux Parménide, le premier aux éditions Hermann, le second aux éditions Sils-Maria, la réception de Parménide dévoilait un paradoxe qui m’a retenu pendant des années. La philosophie classique faisait de lui, de la façon la plus péremptoire, le premier des Logiciens (l’inventeur du principe d’identité) et le plus grand des Métaphysiciens. Ce qui donnait à la Philosophie Occidentale une base inébranlable. Mais si en effet son être touche à la transcendance je tiens que celle-ci ne se sépare jamais de l’immanence, et que Parménide eût été du côté des rieurs, devant la pièce d’Aristophane, Les Nuées, qui brocarde si sévèrement cette pensée éthérée et vide que le dramaturge attribue au maître de Platon, Socrate.  Bref, Parménide me paraît développer une théorie de la transcendance immanente, une synéchologie, où « l’être » est ce qui tient en un, et ne peut être séparé : l’Inséparé, l’inentamable. J’ai donc cherché à être en contact, le plus tôt possible, non avec des commentaires, mais avec le texte même, celui établi par Diels et Kranz suffisant pour l’essentiel. Et j’ai essayé, des années durant, de lire ce texte sans y supposer, en filigrane, ce que je savais, pour l’avoir lu ou entendu dire, de Parménide : qu’il ait été un ontologue, un hénologue, un logicien, l’inverse strict d’Héraclite, qu’il y ait deux voies, dichotomiquement opposées, que le fragment VIII fût le seul réellement important, etc. J’ai donc pratiqué une véritable epokhé de ce texte, refaisant à ma façon le mouvement que Husserl, dans les Conférences de Paris (Méditations cartésiennes), faisait avec Descartes : mettre ses pas dans les siens, jusqu’au moment où il s’apercevrait d’une divergence notable.

J’ai postulé que, pour approcher correctement le texte sans qu’il s’agisse, comme le fait Heidegger, de refuser la philologie classique ou d’inventer une sorte d’ « aurore » de la pensée grecque, il suffisait de ne rien supposer de sémantique, et de se concentrer au contraire sur le lexique et la thématique. Ni la grammaire, avec sa morphologie, ni la stylistique, ni la prosodie ne me paraissaient, en un premier temps, aptes à nous faire entrer dans l’intention de pensée, dans ce que je nommerais « la noétique » de Parménide, pour désigner le même que le linguiste Guillaume nommait « en-pensée », ou de manière nettement moins heureuse, « psycholinguistique ».

Sans préjugés, j’ai donc observé le texte, de près. Je me suis rendu compte que c’était le texte lui-même qui incitait à la prudence et demandait une épokhé. Car, 1) étant dit ontologue par la tradition la plus ancienne, et plus précisément hénologue, Parménide n’utilise qu’une fois le terme hen ; 2) étant dit le premier logicien de la philosophie à énoncer le sacro-saint principe d’identité, on le voit, à la fin du fragment VIII, dire sans ambiguïté son fait à cette manière d’être « même que soi-même et autre qu’un autre ». Disons plus clairement que cette logique d’identité-là, c’est justement celle que Parménide dénonce comme « l’erreur des mortels », et qui les rend stupides. J’en tirerais l’idée qu’il aurait détesté voir son nom attaché à l’invention et la généralisation du principe susdit. Si nous interrogeons maintenant la thématique, nous voyons se développer trois images : le char, la porte, les chaînes, qui peuvent certes passer, dans une vision « poétique » du texte, comme des métaphores. Mais ce qui étonne, c’est la façon précise et technique dont ces images sont décrites, et la récurrence du modèle qu’elles illustrent : la contrariété de pièces qui fonctionnent en s’appuyant sur leur opposition même.

 Enfin, la lexicologie nous apporte de précieux indices. Par contraste avec l’unique invocation du terme hen, nous trouvons, et cela ne peut être un hasard, environ quarante occurrences de termes qui se rattachent à la famille du verbe echein, au sens ancien de « tenir, retenir, maintenir, détenir », et non pas encore au sens, plus récent, de « posséder ». En outre, le vocabulaire de l’échange réciproque est significativement riche, de sorte qu’il n’est pas étonnant de trouver dans le seul prologue dix-sept couples d’opposition !

Le lexique permet aussi de noter la répétition, qui a pourtant, semble-t-il, échappé à la plupart des traducteurs, d’un couple : axôn et syrinx, « l’axe et le moyeu à travers lequel passe l’axe », dont l’examen oblige à reconsidérer la traduction par « flûte », et conforte vite la prédominance du thème de « faire-un par oppositions emboîtées », ainsi que la reprise, sur trois fragments (VI, VI et VIII) du thème de « l’erreur des mortels », non pas pour déblatérer sur les hommes en général ou les vitupérer, mais pour parvenir à établir une essence ou une structure de l’erreur foncière de l’homme.

Nantis d’une véritable « inscience » sur ce que peut bien vouloir dire Parménide, nous parvenons, par ces premiers balisages, à deux points critiques, où un choix s’impose : 1) le sens des trois vers de la fin du fragment 1 (Prologue), sur la bi- ou la tripartition ; 2) l’interprétation corrélative des Voies, par une relecture de la fin du fragment VIII, et la réhabilitation inévitable ou la condamnation définitive des fragments IX à XIX.

Sur ces points controversés, où l’on note le courage qu’il a fallu à Reinhardt pour proposer une tripartition, et à Heidegger, pour cesser d’opposer Héraclite et Parménide, ma lecture tient le plus grand compte des acquis de la lexicologie et de la thématique, constitués en « faisceaux de faits ». Si l’on maintient l’idée que l’enseignement du Poème, comme on ne cesse de le répéter dans la tradition, serait le triomphe d’un Un métaphysique et surplombant la désastreuse multiplicité, comment comprendre la profusion de dualités affrontées, le vocabulaire de l’échange réciproque où l’un et son opposé ont même valeur, le couple central d’axe et moyeu insistant sur l’unité des opposés, l’association immédiate de l’unique occurrence de hen à synéchès, « ce qui tient en un tout », et les quarante termes d’une famille d’echein, au sens de « tenir bon contre ce qui menace la tenue » ?

C’est alors, en présence de ce synéchès qui me semble détenir la leçon du Poème et qui vaut pour un Zusammenhang diltheyen, que la conjecture de Reinhardt sur la tripartition, reprise par Heidegger et Beaufret, me semble inévitable. Bien plus : dire qu’il n’y aurait que deux voies, dont l’une serait l’excellence, et l’autre rien du tout, deviendrait immédiatement un énoncé anti-parménidien, l’exemple typique des erreurs des mortels (brotôn doxai) et précipiterait à l’échec vingt-cinq siècles d’herméneutique parménidienne.

C’est ce qui offre également une interprétation des vers 50 à 62 du fragment dit « ontologique ». Si « tenir » veut dire « faire-un par opposition de contraires emboîtés » (d’où l’importance de l’axe et du moyeu, qui s’ajointe et se serrent, y compris sexuellement parlant – le titre du Poème étant tout de même Physis, un des noms du sexe), alors les oppositions dans le Poème ne peuvent contenir le moindre soupçon d’infériorité ou de supériorité, bref de domination de l’un sur l’autre, de sorte que tous les éléments de cette philosophie proposent une vision aux antipodes de la nôtre, qui sommes si entichés de duels où apparaisse un vainqueur, et le vaincu corrélatif.

Supprimons mentalement ce type de vision du monde qui repose sur l’idée d’inégalité des êtres en une domination, et nous comprendrons les allusions qui donnent même valeur, c’est-à-dire même étance ou « être », à un coin et à une agrafe, à une porte et à ce qui passe par la porte, aux Filles de la Nuit et aux Filles du Jour, aux femmes, si présentes dans le Prologue, et aux hommes, au mâle et à la femelle, à la flamme et à l’ombre, couple emblématique de la stupidité pure d’une domination. A cette stupidité de tethêpotes, à cet étonnement au sens étymologique (frappés par la foudre), Parménide oppose cette vision originale, mais en réalité courante dans des temps plus anciens, selon laquelle la lumière de la flamme n’a pas plus droit à la parole (êpios) que son contraire, l’obscurité, prétendue lourde et inexperte (nêpios, « qui ne peut s’imposer dans une assemblée »). Voilà ce qu’enseigne la fin du fragment VIII.

L’Un de Parménide doit donc être lu comme l’expression d’une pensée très ancienne, où toutes choses seraient respectables. Que nous n’en ayons plus idée ne signifie pas que cette pensée n’ait pas existé ni fonctionné. On comprend mieux alors la récurrence des termes pan et panta, dans leur équivalence à l’un (hen panta, comme le reprendront les Romantiques), en tant qu’oxymore indiquant une égalité des deux façons de voir le réel : parce qu’il est multiple, à condition d’écouter la déesse, on saisira son unité. Hen n’indique pas le refus de la multiplicité, mais son acceptation pleine, sous condition, qui vaut bien  l’intervention d’une déesse, de la « tenue » qui devient ontologique.

Que faire alors du « ne pas être » ? Ce serait très logiquement l’attitude qui exclut, par le jeu de dichotomies valorisantes et dévalorisantes, et dans le droit fil d’une domination hégémonique qui devient, par la transformation inaperçue de noûs kratei, chez Anaxagore, « le principe discriminant enveloppe et nourrit », comme traduit Clémence Ramnoux, en la formule « la raison gouverne », le cri de ralliement de la Raison naissante. « Esti » voudrait donc dire : « tout est, tout a droit à être, rien, hors la conception dichotomique des hommes, ne représente la position du : ne pas être ». L’univocité de Deleuze, bien remarquée par Badiou, mais en un sens différent, serait donc, chez Parménide, l’égalité de valeur et de statut, l’équi-valence  de toutes choses. Et toute valeur, comme « valeur de différence », et non « différence de valeur », est fondée à « être », dans l’immense entrecroisement des différences. Par cet échange réciproque que le Poème nomme « amoibos », et que l’ethnographie la plus récente (Hénaff 2002), atteste, les choses s’emboîtent pour « faire-un », ne faire plus qu’un.

Alors, et seulement alors, se lève la majesté inaltérable de l’ensemble divin des choses, nommé « einai, esti, on ou eon ». Nietzsche avait donc raison, selon une intuition que ne pouvait corroborer à son époque l’état peu avancé de l’établissement des textes premiers de la philosophie grecque, de glisser une touche d’humour incrédule en exagérant sa « prière de Parménide », et montrant un Présocratique faisant l’inverse de ce qu’ils font d’habitude, et demandant la « force de mépriser les prairies diaprées » et la beauté du « sensible ».

Pour en terminer avec cette interprétation, qui a servi à élaborer ma traduction et mon commentaire, tout en se renforçant au fur et à mesure que j’avançais dans ce projet, j’ajouterais cette idée que je propose à discussion : l’éclairage métaphysico-logico-ontologique que nous donnons au texte de Parménide, et qui l’opposerait point par point à l’unité des opposés d’Héraclite, n’est-il pas le chef-d’œuvre (que Platon nomme lui-même « parricide », tout en en déviant l’attentat sur un problème de logique) d’une mise en scène platonicienne, qui n’en est pas à une distorsion près, si l’on considère ce qu’il a fait subir aux textes des Sophistes, comme en atteste la recherche de Romeyer-Dherbey (Les Sophistes, Que sais-je ?)

Ce serait donc un fantôme déguisé et grimé que Platon aurait installé en Statue du Commandeur, à l’orée de la philosophie classique occidentale, réputant qu’une seule vision du monde serait désormais possible et discutable, celle du rationalisme abrité dans un arrière-monde. Cela, pour asseoir l’invention par lui-même, Platon, de la transcendance, et « inventer la métaphysique » comme une discipline dépourvue d’une once d’immanence. Je dirais aussi, en le proposant à discussion, que les visions du monde fondées sur une logique de tiers inclus, si ouvertes et tolérantes, qu’ont développées les Présocratiques, méritaient mieux que d’être confondues avec un balbutiement obscurantiste ou mythiforme. Elles auraient, j’aimerais qu’on me contredise sur ce point, si nous leur avions conservé notre estime et les avions tenues comme la réserve de ce qu’il y avait de meilleur dans le mythe et dans la pensée, évité une somme inouïe de maux, déferlant sur les hommes, sur les choses et sur notre Terre, qui restent lamentablement tributaires, au nom d’un Progrès idyllique, d’une vision des choses en mieux et moins bien, inférieur et supérieur, dominant et dominé, maître et esclave.

La « trahison des clercs », je la vois dans cette manie de la pensée, et de ce summum de pensée que l’on nomme philosophie, qui consiste à « juger », cautionnant ainsi cet incurable esprit de domination que les hommes, à une époque donnée, c’est du moins ma conviction, ont inventé, et dont l’ouvrage Les Maîtres penseurs de Glucksmann, même s’il dépend beaucoup de l’esprit 68, et s’il est partiellement contestable, reste le meilleur témoin, comme « pavé dans la mare » sans lendemain. La suite de cette recherche consistant évidemment à réexaminer à la lumière de ce proton pseudos et de la manière la plus critique, toute l’histoire de la Philosophie en Occident.

           Depuis lors, deux idées m’ont conduit : on pourrait sans doute mettre de l’ordre et du sens dans la philosophie présocratique, en posant que ces penseurs pensent toujours la totalité avant le fragment, la suture avant la coupure mais non sans la coupure !), une philosophie holiste. D’autre part, les faits conjoints d’un consensus présocratique sur la totalité indivise, et les atteintes fortes de Platon et Aristote contre ce principe d’indivision, pouvaient laisser penser que la pensée dichotomique, intolérante, exclusive, séparatrice qui s’installe à l’époque de Platon sous le nom de Logos comme Raison, a pu, selon toute vraisemblance tenter, pour introniser une pensée séparatrice, de discréditer autant qu’il était possible la pensée précédente. De là à imaginer une grande lutte de la pensée ancienne contre les Modernes, il n’y a qu’un pas, que j’ai franchi.

          Il y eut alors un long temps où je revenais en précision aux Présocratiques, sans oublier les Sophistes tels que les restituait enfin comme penseurs à part entière l’étude de Gilbert Romeyer-Dherbey (Les Sophistes, Que sais-je ?) et soutenu par les belles réflexions de Detienne. Toute la pensée présocratique s’ordonnait visiblement autour de quelques thèmes récurrents, la physis comme nature naturante et non naturée, le chaos comme abîme à pleine vitesse où coexistent toutes les formes, la mêtis comme constellation de pensée rapide, le symbolon, la « tenue en un » que les termes tonos et hexis (surtout chez les Stoïciens) accompagnent. Or, cette configuration présocratique caractérisait aussi les Sophistes, les Cyniques, débordait largement au-delà de Platon et Aristote, englobait les Stoïciens et un aspect des Néo-platoniciens. 

        En même temps, sur fond de cette permanence je voyais se dessiner et se confirmer la fracture qui délimitait deux philosophies inconciliables, inappariables. Cette fracture s’établit et se consomme dans le Phédon, 67 b et 97 c à 100 d, ainsi que dans le Philèbe, lorsqu’il est question de donner une limite-mesure au Trop. Chez Platon lui-même, on pouvait distinguer deux lignes. La première poursuit la façon présocratique de penser : ainsi lorsqu’il reprend des mythes, plus précisément dans le « Mythe de l’Attelage ailé », dans le mythe de la « Colonne lumineuse » de la République, ou bien quand il dénonce l’écriture pour lui préférer la mémoire, quand il fait la théorie de l’euharmostie dans l’éducation des gardiens, quand il use de mêtis, quand il donne à « poikilos », le « multiple débridé », en général considéré comme sa bête noire, un sens absolument positif, lorsque la multiplicité est « bien tenue » par des dieux ou des hommes divins.

        C’est pourtant un autre Platon qui, par des moyens souvent répréhensibles, attaque, aussi violemment que le faisait Marx contre la « Sainte Famille », des penseurs qui l’ont inspiré : Héraclite, en lui donnant un « rhume d’univers », Pythagore, en ne conservant que le nombre, Parménide, en le bloquant en position d’ontologue-logicien, les Sophistes, en ridiculisant leur pensée et les mettant à terre, Anaxagore, en détournant le sens de « noûs kratei ». Entreprise de démolition et début de mise en place d’un « récriture de l’Histoire » en philosophie. A cet effet, la lecture attentive, et toujours dans le texte, du passage fondateur pour l’Occident de Phédon, 97 c à 100 d est inévitable. On y voit tous les piliers de notre pensée « moderne » mis progressivement en place, notamment le jugement d’exclusion, la conversion du regard sur le monde, l’ascétisme, et la Finalité du Mieux. Ni Leibniz ni Hegel ne s’y tromperont, qui le traduiront et le citeront.

            Deux découvertes très importantes pour moi viennent alors corroborer à mon sens cette impression de fracture. La première est l’émergence sociétale de la notion d’individu ou de soi. On sait que Platon la combat autant qu’il le peut, s’attirant les reproches de Hegel, dans les Leçons sur Platon. Mais en réalité, par le retrait de « l’inséparation du monde englobant » qu’il impose, et par l’accent mis déjà par Socrate sur l’homme et ses qualités morales, qu’il se contente d’amplifier, Platon coupe radicalement avec la pensée inclusive et cosmique, et propulse aussi loin qu’il le peut une pensée exclusivement humaine, le plus souvent hégémonique.

          L’individu prend la place du cosmos et de tous les règnes, ce qui s’est déjà réellement passé dans la plupart des modes de vie sociétaux connus, de sorte que la philosophie reproduit cette évolution sociale et la modification fondamentale de la pensée qui s’ensuit. Logos remplace chaos, symbolon, physis, tisis (la dette cosmique), apeiron, hybris. Ces concepts très cohérents et formant une seule pensée, perdent du terrain et finissent par disparaître au point qu’un spécialiste anglais de la pensée présocratique, John Burnett, se permettra en 500 pages de Early Greek Philosophy de ne consacrer qu’une demie page à physis. Bien que « vérité », au premier sens, signifie mémoire (non-oubli, alêthéia), on oublie le type de pensée qui a prévalu dans toute la première philosophie grecque.

          Je suis désolé de ce  déluge de mots grecs, mais c’est à ce moment-là que cela s’est passé. A tout prendre, si Spinoza occupe une place si admirée mais si étrange dans la philosophie classique, c’est parce qu’il reprend l’anti-finalité, l’anti-humanité, et la cosmicité inséparée des grands Anciens. La deuxième découverte est en pleine connivence avec la première. Il s’agit du rapport intime de la fracture dans la pensée qu’on nomme « miracle grec » -- avec toutes les luttes dans la pensée que j’en déduis, car enfin l’ancien mode de pensée et de conception du monde ne s’est pas effacé en un jour ni sans résistance (tout le théâtre tragique grec semble évoquer les divers aspects de cette lutte) – avec l’évolution des sociétés et des cultures dont rend compte l’ethnologie contemporaine.

          On y remarque qu’un « impératif de non-accumulation » ou d’absence de traces a longtemps interdit, dans les sociétés traditionnelles, l’émergence du déséquilibre de l’individu qui rapporte tout à lui et coupe les ponts avec le cosmos, et du déséquilibre des productions sans cesse augmentées et accumulées, qui rompent l’unité fragile de règnes. La pensée holiste ne permet pas le cumul ni aucune forme de pensée et d’action linéaire. On le voit très bien, dans l’ouvrage de Clastres, La société contre l’Etat, avec l’exemple de Géronimo, qui cherche à imposer la guerre pour briser l’unité de pensée des Sages, et veut à toute force se présenter comme chef dominateur, et non pas « roi », dénué de richesses et d’honneurs, simple récitant du mythe. Plus et moins, inférieur et supérieur, mieux et moins bien, ne semblent pouvoir émerger que dans une société qui ne tient plus les opposés en un tout et où chacune des résistances et des différences était estimée (voir l’exogamie), et se met donc à éliminer au plus vite l’un d’entre eux.

         On remarque alors tout l’intérêt de la pensée holiste : elle respectait jusqu’au détail les différences, et faisait son unité des contrastes mêmes. La pensée qui débute à Socrate et s’amplifie chez Platon jusqu’à couvrir le monde dans son ensemble de ses conceptions et de ses productions (malgré l’opposition des pensées shamanique, chinoise, africaine, polynésienne etc.), est celle qui préfère ignorer le respect de tous les êtres et de toutes les choses, en leur différence, et la paix qui résulterait de ce respect (qui n’exclut pas la lutte, même violente, à condition qu’elle ne supprime pas l’un des opposés : c’est ce qu’Héraclite entend par « polemos », c’est peut-être ce que le Christ entendait par « aimez-vous les uns les autres », «  le premier sera le dernier », ou « ne jugez pas »).

         Ce point de vue sur l’histoire du monde, qui partage entre pensée de l’équilibre (non pas du consensus) et pensée de l’accumulation linéaire qui aboutit forcément à la guerre d’élimination, au nom du Mieux (ou de Dieu), est puissamment corroboré par la mentalité des chasseurs-cueilleurs, restaurée par Hénaff et Hamayon, dans leur opposition tranchée à celle des horticulteurs-éleveurs. On voit alors où j’en viens, après ce « plutôt long détour, makrotera periodos », tout à l’opposé de celui de Platon. En traduisant tout autrement Parménide, je dis non seulement que c’est un très grand penseur, mais qu’il porte et supporte une pensée que nous ne comprenons plus, de sorte que nous devons changer de pensée sur l’homme et le monde pour le comprendre. Je suis donc contraint de supposer une gigantomachie entre ces deux pensées inconciliables, et toutes les menées subversives qui gagnent la bataille par des moyens de propagande (le XVIIIe n’a été que cela, à part Herder et Goethe. Et depuis Hobbes, que de portes ouvertes, enfoncées dans cette grande ligne des progrès supposés triomphaux !).

        Le pensée dominante, sécante, exclusive, voilà l’étape la plus récente de mon travail, ne doit pas pour autant être minimisée ni discréditée à son tour. Car couper, c’est fondamental pour rendre possible le concept, la logique, la mathématiques, puis toutes les sciences (à condition de reconnaître que l’on coupe et d’annoncer les dangers de cette fracture). Le caractère enivrant de cette avancée, que rien ne peut permettre de rabaisser, dit la faiblesse de la pensée holiste : elle ne peut faire avancer l’homme. Mais l’holisme, ou, sous sa forme plus conciliante, l’égalité entre point de vue de l’homme et point de vue du monde, a ceci que n’aura jamais la pensée conceptuelle/scientifique : elle préserve toutes choses, et le tout. Elle est mille fois plus écologique que nos écologies. Chacune de ces pensées a donc à la fois tort et raison, chacune a sa force et sa faiblesse. Cependant il faut noter que, la pensée ancienne ayant pour principe de respecter toutes choses, elle s’accommoderait bien d’une sorte de cohabitation avec la pensée moderne, tandis que l’inverse, et toute l’histoire de la pensée le montre, étant seulement une sorte de tremplin pour le triomphe absolu de la pensée « rationnelle » et humaine sur tout au monde, ne sait qu’éliminer ses « adversaires » et donc faire comme si aucune pensée digne de ce nom ne l’avait précédée. D’om la façon dont on enseignait les fragments des Milésiens !

         On voit aisément ce qui s’ensuit. D’abord, éviter de donner l’impression désastreuse, et fausse, que je « préfèrerais » la mentalité des sauvages, le symbole et sa pensée holistique, que je voudrais me soumettre aux sarcasmes de Voltaire sur l’homme broutant l’herbe. On a vu d’abord à quelles apories elle pouvait conduire, avec la superstition et l’alchimie. On pourrait également soupçonner dans cette « préférence » une contradiction, puisqu’on pratiquerait soi-même une politique dichotomique d’exclusion, en ostracisant la pensée rationnelle. Il s’agit en réalité de proposer une « tierce philosophie » qui, en tant que « nouvelle définition de la philosophie », consisterait à examiner par le détail les structures comparées des deux types de pensée et de représentation du monde, et à faire l’histoire détaillée de ce combat de géants qui ne caractérise pas seulement le Vème siècle grec mais toute la philosophie. Ce qui demande bien plus de forces et de compétences que je n’en possède et exige de former des équipes d collaborateurs scientifiques.

         Car la première pensée ne cesse de courir invisiblement sous la seconde, se permettant ici et là (on a parlé de Spinoza, il faudrait parler de Leibniz) de susciter une résurgence, comme une rivière qui a disparu dans une faille resurgit des kilomètres plus loin. En même temps, cela permettrait d’analyser dans la philosophie classique, celle qu’on apprend la plupart du temps au Lycée et à l’Université, à moins qu’on en découvre la disparition pure dans la philosophie logique, dite « analytique anglo-saxonne », les méthodes qui ont assuré, pendant si longtemps, un règne sans partage à ce type spécial de propagande qui s’est auto-intronisé comme « rationalité occidentale », sans demander à « la pensée du Dehors » aucune aide pour façonner le monde.

        Tout ce parcours ne peut que m’avoir conduit à Deleuze et son soupçon sur les synthèses transcendantes, l’espace strié, l’image de la pensée qui consiste à promouvoir l’homme et à le multiplier en effigie partout, le langage comme dispensateur de mots d’ordre, la ligne de fuite, la dénonciation de la psychanalyse familialiste et ainsi de suite. Ce qui m’intéresse en ce moment, et sur quoi je travaille en vue d’une décade Deleuze que je compte organiser à Cerisy, est le fait que Deleuze ait rejoint en un sens, par sa déterritorialisation, son plan d’immanence, son pli, son univocité, ses multiplicités intensives, sa logique de la sensation, la pensée récessive et résurgente que je suppose avant et sous la pensée classique – bien que son chemin n’ait jamais emprunté la méthode généalogique, la philologie, la pensée présocratique, l’ethnologie des sociétés traditionnelles et son échange réciproque, sur lesquels j’ai bâti toute mon avancée. Il faudrait donc ajouter comme non-contradictoire à l’holisme de cette pensée ancienne une dimension divergente, fuyarde et fragmentaire, que j’ai tendance à estimer comme l’apport propre de Deleuze à ce courant souterrain qui dure depuis des millénaires.

        Tu imagines que j’aie vraiment besoin que des philosophes très précis et savants puissent discuter de ces points, sans préjugés, afin que je corrige et améliore tout ce qui demande de l’être dans cet énorme projet qui me dépasse. Ce qui est sûr, c’est que la place de la théologie pourrait être décisive en tant qu’un entre-deux des pensées que je restitue, dans une philosophie qui n’est plus unitaire-hégémonique, mais duelle-unitive. J’espère qu’on pourra y consacrer quelques séances de discussions amicales, ou déjà correspondre sur ces sujets, ou peut-être en commencer ce livre commun que nous projetons, sans bien sûr que cela empiète sur la rédaction du livre que tu vas faire paraître et qui, lui, est bien réel.

 Arnaud Villani
Lettre à Alain Saudan sur mon chemin en philosophie 

PS/ Tu comprendras mieux ainsi les travaux et ouvrages qui sont issus de cette réflexion. Plus de cent cinquante articles de Philosophie en revue ; une quinzaine de recueils de poèmes, la plupart inédits ; une tragédie jusqu’à ce jour inédite : Œdipe au désert ; des traductions du poète anglais Barnett et, en collaboration, du philosophe Whitehead (Processus et réalité, Gallimard), des poètes allemands Peter Huchel, Serge Bobrowski, Erich Arendt (avec Maryse Jacob ; trois recueils de Huchel sont parus aux éditions Atelier la Feugraie). D’autre part, une série d’ouvrages : sur le maître des disjonctions inclusives, Kafka et l’ouverture de l’existant, Belin 1985, et un autre ouvrage, avec préface de G. A. Goldschmidt, Kafka, l’homme en chute libre, encore inédit ; sur Deleuze, La Guêpe et l’orchidée, Belin 1999 ; Le Vocabulaire de Deleuze, avec Robert Sasso, Noêsis/Vrin 2003 ; Logique de Deleuze, Hermann 2012. Autour de l’idée de symbole et de philosophie double, Précis de philosophie nue, éditions Nu(e) 2002 ; Petites Méditations métaphysiques sur la vie et la mort, Hermann 2008 ; Court traité du rien, Hermann 2009. Sur Parménide, Parménide et la dénomination, traduction et commentaire, Hermann 2011, et Parménide « en cinq concepts », éditions Sils-Maria, 2013. Suivent un ouvrage à paraître dans la revue L’étrangère : La Poésie, un pas au-delà de la Phénoménologie (prévu pour 2015), et de multiples inédits : Danser la philosophie ; Le moment infini. Une autre définition de la Philosophie ; La Raison des guerres ; Essais de métaphysique immanente ; et un Héraclite.      

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