
Contre le concept de « lien social », qui n’est jamais que l’hypostase de nos enchaînements aux états de fait, Magic réveille l’art ancien des lieurs et des liables, l’art d’une nécessité de cela seul qui porte à conséquence, d’un fiat qui fait de nous, davantage que des dieux, des magiciens. (Dieu lui-même est lié : pas de création sans lien qui la précède et confère à la profération du fiat sa puissance magique).
La nature ne s’est pas simplement donné la tâche d’élever un homme qui puisse promettre, comme disait Nietzsche, mais de faire croître une multitude d’hommes capables de produire de la nécessité en se liant non seulement entre eux, mais aux choses, aux temps et aux espaces, conformément à l’essence liée et liante du monde, qu’ils ne font qu’amoureusement imiter, dépositaires hasardeux de la performativité du langage, ce qu’est proprement la magie. (L’amor fati serait incompréhensible sans cette puissance magique de création, cette puissance liante qui ceint le destin lui-même et fait de nous des destins par imitation. Et la mort de Dieu — le meurtre, rappelons-le — ne serait alors rien d’autre que le geste qui lui arrache sa baguette magique et en distribue les fragments innombrables à tous les participants de l’immanence : « programme pour une démocratisation de la magie », p. 92).
S’élever d’un « tu dois » à un « il faut », c’est ce qui fait la supériorité incommensurable du droit sur la morale. C’est pour cela que le politique ne commence jamais avec la morale, mais avec le droit. Et que celui-ci est subversif. Parce que chaque coup de dés qui lie des liables abolit la force centripète du « lien social » et décharge l’énergie centrifuge des puissances de transformation. Nos micropolitiques juridiques sont aussi une cosmopolitique.
Laurent de Sutter avait, il y a six ans, relevé (chez Deleuze, Leibniz, Nietzsche) la parenté profonde qu’il y a entre la Jurisprudence et la Vie, celle-là étant l’expression juridique de celle-ci (cf. Deleuze. La pratique du droit, Michalon, 2009, p. 100 sq.). Aujourd’hui, il apparente, dans un même rapport d’expression, l’Obligation au Cosmos. Le pas est considérable. Là où la question jurisprudentielle par excellence était : comment fait-on pour que cela, qui est intolérable, ne soit plus ? (cf. Deleuze, Abécédaire), la question obligationnelle se formule autrement : comment fait-on pour que cela, qui est nécessaire, soit ? Ce sont les deux faces du désir révolutionnaire. La vie et la magie.
Dorian Astor
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