En réécrivant un "Deleuze" -exactement vingt ans après ma soutenance relative à son oeuvre- j'ai voulu renouer, en format réduit (exercice en soi délicat), avec l'idée simple ou encore "l'image de la pensée" qui anime sa philosophie. Deleuze avait toujours cherché à dégager l'image caractérisant une pensée pour en découvrir le "montage" (ce qui fait de la philosophie quelque chose qui, comme pour le menuisier, requiert la main). Ainsi lorsqu'il écrivait à propos de Kant, Nietzsche ou Spinoza... Quelle a alors été l'image de sa pensée propre? Celle du survol? de la ligne droite qui ouvre un labyrinthe? Sans doute qu'une transversale, dans un monde de courbes, va trancher une coupe, des plans à la manière d'une lame. Et c'est bien ces coupes que mon livre ordonne comme autant de "plans fixes" à animer, à remettre en éventail. Mais plus que tout, ce petit montage -le petit réclamant finalement un style- consiste à chercher une forme capable d'être suivie en une seule journée -ou presque...
Impossible comme on sait de lire Ulysse de Joyce en quelques heures alors même que son roman suit l'ordonnance d'un seul jour. Ma méthode aura été inverse et comme minimaliste : présenter en un seul jour toute une création. Ce qui exige de pouvoir en suivre le temps réel au travers du temps de coupe de la philosophie, contracté sur onze coups, le douzième étant contemplatif, redevable au lecteur lui-même. Que le livre puisse se lire autrement pour un novice, c'est évident. Texte à feuilleter dans la lenteur de la découverte. Mais il faudra bien un moment le saisir au plus près et selon un survol absolu. La variation de ce petit "Deleuze", se dépliera alors bien entre midi et minuit : lecture suivie de poses que constitue l'éventail de ses chapitres. Se révélerait ainsi ce que Deleuze entendait par la philosophie en tant qu'une "animation de concepts" ainsi qu'il devait me l'écrire dans une lettre datée de 1989 et dont j'ai demandé à Fanny Deleuze l'autorisation de reproduire un extrait (elle est accessible ci-dessous en son entier au titre d'une caution).
On pourra -je m'en doute bien- me reprocher la courbure du ton adopté en ouverture, le caractère trop sobre du style déployé, mais ce serait passer complètement à côté de la formule adoptée par le format, le mouvement que j'ai choisi de composer selon une démarche qui est non seulement progressive mais également littéraire comme celle de la "nouvelle" par Deleuze appliquée à la philosophie. Il y a là l'exigence d'un pas de course traversant par exemple comme les ailes du "Louvre", y associant les fragments, réenchainant les textes ventilés. C'est seulement dans cette vitesse particulière que pourra devenir intelligible l'imagination des philosophes qui ne créent pas seulement des concepts mais tout autant des machines à Vision, des espaces absolument visionnaires.
J-Cl. Martin
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