Les malins génies ouvrent des régions qui sont intercalaires et comme en coulisse. Ils se
déplacent entre les mondes, dans les fentes, les seuils qui échappent aux
catégories de l’ontologie. On y croise des formes occultes depuis un oculus sur des étants très très spéciaux,
plus surprenants que l’Etre ou que ce qui se laisse épingler comme fondamental.
Ce sont des vampires qui errent en-dehors du temps de la présence, dans
l’espace nocturne pour lequel l’évidence n’a plus de pouvoir. Le vampire n’a pas besoin de voir, il sent, il se glisse dans la
nuit dont il possède la couleur pour se fondre entre les vivants et les morts.
Son inexistence dit la mutation, la possibilité pour un être de devenir autre
chose, de sortir de sa catégorie en rivalisant avec l’oiseau tout en conservant
la dentition du carnassier. Le sang, ses esprits animaux, constitue sa ligne
de fuite glissant sur son manteau noir. Chaque goutte est un monde en lequel
se modifier, nouer un pacte avec d’autres codes, dans la transsubstantiation
des genres. Il repère des mouvements, des humeurs noires dont la molécule fera
muter les espèces. Le vampire enfourche le brin hybride des matières qui se
forme selon la curiosité des rencontres, la puissance de leur contagion. Non
pas seulement épidémie, mais "Nouvelle alliance" impossible à
cicatriser... pullulement et hululement...
Les
vampires longent le débordement du sang qui coule entre les règnes du vivant.
Alors que le bestiaire dont disposait le Créateur montre partout des noms pour
des êtres auxquels il fallait s’attendre. Ces autres sont le résultat d’une recréation qui se poursuit bizarrement et dont manquait la définition. Non pas seulement
des miracles, mais des entités issues du hasard, des créatures fabriquées par
des molécules inscrites sur les fichiers de Dieu, mais autrement associées,
virales pour ainsi dire. Naissent ainsi d’autres formes, d’autres
croisements, inter/dits. Leur nom manque à l’appel des sept premiers jours de
la création. Intriguants comme le mulet –croisement de l’âne et du cheval- sans
avenir, sans descendance, ils n’ont pas la possibilité de se reproduire,
condamnés à l’éternité de la nuit, à la résurrection du même, se reconstituant
à partir d’une poussière de sang, d’une fiole de leur tombeau.
Leur
sexualité est orale, buccale. Ils n’ont pas de fils, celui-ci n’étant qu’un
clone de la même molécule. Ils se répliquent, se répètent, se propagent par
division cellulaire, par morsure, mais jamais par généalogie, ni par naissance.
Ils sont un outrage à leur naissance. Le vampire cesse d’être vivipare pour
devenir scissipare. Un reste de son corps peut le reconstituer, une morsure le
prolonger et le répandre parce qu’il n’a pas d’autres moyens de survivance que
le parasitage, l’occupation du sang d’un autre. Il est séduit par les belles
créatures mais ne leur laisse aucune fécondation, aucune semence d’une vie
nouvelle, condamné à l’éternité de la répétition, à l’éternel retour du même.
C’est sans doute le grand malheur des vampires devenus inféconds, inutiles en
leur vie de mulet. Ils n’ont que des nuits interminables à remplir. Ils n’ont
que leurs cellules comme avenir, avatars d’un défaut copulatif, d’une
copulation de chauve-souris. Quand ils ne rêvent pas à devenir des femmes, des femmes qu'ils font, se poudrent et jouent à être.
Sans
être des hommes et sans être des animaux, ils ont été fabriqués, comme Eve, avec des
restes. Fruit d’un croisement comme deux arbres bouturés, dénaturés, leur
beauté ne saurait aboutir à une stabilité familiale, renégats à leur famille,
incapables d’en refonder une autre. Ils errent entre les heures du temps, à
minuit, moment où tout se fige, où l’éternité trouve l’existence d’un instant
qui sera toujours le même, divisé à l’ombre des paramécies. Leur détresse
provient de l’identité de leur avenir, avec toujours le même sang à poursuivre,
capable de survivre sans une goutte nouvelle, bien plus longtemps d’ailleurs qu’une
graine de cactus séchée dans le désert. Ils ne vivent pas, ni même ne
survivent. Ils sont ailleurs ! Ils désespèrent d’être sans que personne, ni une
croix, ni même un pieu ne sauraient les abattre. Que la lumière les détruise,
cela est certain, mais il restera bien quelque part une cellule à partir de
laquelle se refaire, se reformater, condamnée à l’éternité d’un cancer libéré
des lois de l’organisme. C’est là leur féminité suffisante, leur sexualité moléculaire.
Le
vampire est division cellulaire sans fin, « diabilisation » infinie
qui montre que l’éternité est résultat d’une erreur, d’une réplication sauvage,
que l’éternité est l’enfer lui rendant, du coup, les mortels si désirables. Il
est le damné de la création, un dé pipé dont on ne peut qu’avoir pitié rejouant
le salut chrétien sur son versant le plus obscur, le plus noir dont on voudrait
d’ailleurs pouvoir le tirer, au point de l’aimer enfin. Ange à l’envers, son
désir le plus ardent serait sans doute de perdre ses ailes éternelles, en
trouvant un peu d’amour dans le regard d’une femme capable d’autres naissances,
d’une autre reproduction... Ceci est mon corps… Nosferatu nous apparaît alors
comme l’autre extrémité de l’ange, exclu lui aussi de la mort en un monde insipide dont le
film de Wenders montre l’ennui par Les ailes du désir. D’où une
allure d’antéchrist, une version tellurique du salut, l’attente d’une
descendance au lieu de la division éternelle de soi dans la résurrection. Cette attraction féminine qui pourrait peut-être se répliquer elle-même sans l'homme, vierge pour ainsi dire, leur survit dans la division infinie des cellules
J-Cl Martin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire