vendredi 21 mars 2014

La nuit, je rêve de vous / Mathieu Brosseau




Couché là. Couché là, par terre, dehors. Vous voyez ? Dehors mais dans l’ombre. C’est sûr, vous voyez ? Couché là, la tête échappe et les bordures du crâne se déplacent, les bouches du crâne là-bas, se plaquent au miroir et ça cause, ça cause ; l’œil n’y voit plus rien sauf la nuit, ça va sans dire. Cela va sans dire. On va dire qu’elle est forcément terminée, avec horizon à la clé (courbé). Clé courbée aussi. Cette nuit-là, puisque c’est elle que vous figez-là (ou pensez), cette nuit-là disais-je est un lieu puisqu’elle est là. Dedans. Comme toutes les pensées, de toute façon et dans tous les sens, là c’est l’ombre, là c’est je pense. Et pourtant. Là, c’est nuit courbée, c’est ombre (voutée), c’est pourquoi les églises. Manquent les cloches. Ne manquent pas les fables (ça cause, ça cause). C’est là l’évocation, c’est là la parenthèse de la prière, la prière du viens-tout-de-suite frénétique, ou attend, dans cent ans. Vous passerez l’autorité des reflets, j’en suis sûr. Mais là, dans votre cerveau, dans le cerveau de l’homme, dans l’ombre, ailleurs et de l’autre côté il fait jour, forcément, la tête a deux faces, les cheveux végétaux recouvrent et les yeux mers dégagent les paupières : il faut voir. Pour le moins, évoquer. Et ces arbres cils, on envisage de dire, bien qu’aucun bien commun ne soit admis la nuit, je parle-là des formules dociles. Vous pouvez toujours demander une réponse à la nuit, elle ne répondra pas, vous ne répondrez pas à sa place, rien ne se fera, rien ne se dira, dans l’ombre, vous le savez, il  n’y a que des événements, des anti-réponses. Pénibles trouvailles qui ne peuvent être que des retours, des réponses à l’existant. Pénible existant qui est un arriéré (vous sentez-vous coupable d’avoir été puis d’être ?), vous le vivez dans votre crâne qui est une voûte, une nuit avec ou sans lune, la courbe est toujours une espérance sexuelle. C’est-à-dire un espoir de différence. Vous vous direz ainsi que ce qui vous précède ne peut être différent de vous, vous vous direz que votre cerveau ne peut être différent de vous, vous vous direz que vous ne pouvez être différent de vous. Mais si vous vous le dîtes, c’est que vous ignorez que vous êtes fait de la même matière que les formules désignant les constellations, ces ponctuations, ces signes courbés, ces ogives où se vautrent les contes, ces Christ où se nichent la main des accords. Mais la nuit voûtée n’est pas seulement projetée par vos yeux lumières, la nuit courbée est surtout ce remuement des espèces, ce remuement des invisibles venus du dehors, venus de ces ailleurs inattendus, cette nuit désaccordée, recomposée. Il est question d’oreilles, quelque chose tremble à vos côtés, vous l’entendez ? il est question de pieds, quelque chose a volé, sauté, passé, il est question de mains, le vent s’est froidement glissé entre vos doigts, il est question de ces membres sur le qui-vive, séparés mais renombrés. Il est question de ce cerveau blanc lacté, rouge gondolé : vous ne pouvez plus être ce que vous pensiez être car la pensée appartient à l’hier, alors que vous vous tenez devant l’ailleurs. Là, c’est je pense mais la nuit ne l’est pas, je pense, ou avec l’horizon du temps : demain, je serai. Nous ne dormons pas, nous sommes là-dehors, là-dedans, que dis-je ? là-cerveau, puisque l’un-dans-l’autre revient à l’un-hors-de-l’autre. Un jour, je me ferais un plaisir de ne pas vous expliquer. La nuit ne dira rien non plus mais elle pourra apprendre au curieux à quoi ressemble les disparitions, elle pourra reprendre la parole, elle agira devant le fébrile, elle est le miroir clos de l’organisation, les sillons laiteux du cerveau se voient dans les fils imaginés reliant les étoiles. Et le crâne ?! Et la tête ?! C’est hors de question, c’est hors de tête, votre profil préféré, votre visage aimé, le vôtre, est le fantasme animé par la furie des symboles, la tête est cette question et la nuit n’interroge pas le miroir, on dira qu’elle n’est que son résultat intérieur. Clos avec horizon. Horizon ? demain, je serai le résultat de ma nuit. Demain,  vous aurez peut-être appris que le changement est l’horizon du lieu et que la pensée est le cauchemar des organes. La question de la certitude revient à la nuit, elle n’est pas fantasmée et pourtant elle ne sait pas. Et si elle ne sait pas, c’est parce que nous ne savons pas. Et si nous ne savons pas, c’est parce que notre crâne est ouvert par nos yeux. Il faut voir pour ne pas être. Et la ligne de fuite est un trou aspirant, la nuit aspire, la nuit provoque la rencontre des vrais inconnus et, sans retour, offre les murmures en mouvement, ces murmures sans miroir que je vois déjà courir devant de vous, dans cette nuit, forcément sans miroir. Elles galopent, vos paroles, ne les voyez-vous pas ? Non, ce ne sont pas des animaux ni des signes domestiques, elles galopent, elles sont vos bouches inconnues, elles sont vos amantes et vous vivez pour elle, grâce à la nuit. Une cavité de nuit, nous la sommes, un trou de bouche et des dents qui marchent avec les signes en écharpe ! Nous y sommes, là. C’est-à-dire presque terminés, autant que la nuit recommencée car nul n’ignore les recommencements qui passent entre les trous du miroir, c’est la marche du sable ! C’est ce qui moule l’un dans l’autre, l’un hors de l’autre.
A vous.

                                                  Mathieu Brosseau

Mathieu Brosseau est né en 1977. Il vit en région parisienne.
Il a publié dans de nombreuses revues : Action Restreinte, L’Etrangère, Ouste, Libr_critique, Remue.net, Dock(s), Boudoir & autres, Marelle et d’Ici-là, Sitaudis, Owerwriting, Fusées, Ce qui secret, La vie manifeste, Hors-Sol, Poézibao, etc. Il a donné des entretiens à Florence Trocmé pour Poezibao, à Sophie Nauleau pour Ça rime à quoi (France Culture), à Armand Dupuy pour Remue.net ou à Fabrice Thumerel pour Libr-critique.
Il anime la revue en ligne Plexus-S depuis 2006.
Son dernier livre est Ici dans ça (Le Castor Astral, 2013)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire