jeudi 8 octobre 2020

François Châtelet : Des humanoïdes et des hommes

 



Je n’ai pas, comme beaucoup d’entre-nous, connu personnellement Châtelet. Il est mort bien avant ma rencontre avec Deleuze ou Lyotard qui lui ont survécu plus longuement et avec lesquels j’ai entretenu des relations plus humaines. Plus humaines au sens où Châtelet pour moi était une espèce d’icône, médiatisée par les journaux et la télévision. Je me rappelle notamment une émission de Pivot où il était l’invité opposé, mais c’est peut-être un défaut de mémoire, à Renaut et Ferry. J’ai donc de lui des souvenirs d’étudiant, à Strasbourg où je lisais son Platon en guise d’introduction à ce qui me semblait alors requis pour devenir un nouvel homme, chose que du reste on n’est jamais, qui ne relève pas de la nature mais d’un processus de rationalisation qui fait tout l’intérêt de ce livre dont le chapitre final prend le titre suivant : ce qu’il en est de l’homme.

On sait bien maintenant ce que cette question comporte d’insupportable, une question dont l’horreur nous fait signe de façon devenue insistante sous le titre même du livre de Primo Lévy « Si c’est un homme » ou encore, dans un genre évidemment très différent, le livre de Dick, Blade Runner dont les androïdes manifestent parfois plus d’humanité que l’homme. L’humanité évidemment n’est plus envisageable comme une substance ni une essence supposée raciale. Elle requiert une posture éthique ou une philosophie de l’Histoire que Châtelet décèle déjà dans la tentative platonicienne du Politique, ordre politique que Platon fait débuter lors de la perte de la nature de l’homme, de son « âge d’or » impliquant précisément une suppléance, une manière de restitution idéale qui exige des lois là où elles ne s’imposent jamais d’instinct. Le Politique, même à se demander avec Aristote si la forme de la cité est naturelle, ne désigne guère l’exercice d’une normativité spontanée, issue du corps,  mais indique que l’instinct échoue à prescrire à l’homme son institution.

Il y va en réalité de l’événement plus que de l’Etre, un ensemble d’événements à la croisée desquels surgit l’humain comme un point induré qui en sera l’effet incorporel, inorganique. Il n’y a pas de faculté naturelle qui nous imposerait la forme intouchable de ce qu’est un homme. Il y a bien sûr chez Platon, et sans doute chez Hegel -seconde monographie de Châtelet- l’idée de totaliser les événements et les successions politiques par une dialectique, mais jamais le sujet de ces événements ne vaut immédiatement comme une substance déjà là. Il y faut la médiation infinie de relations nombreuses entre des termes hostiles à toute parenté naturelle. La logique de Hegel en précise l’articulation, faisant en cela place au néant comme pendant de l’Etre ou à la négativité comme morsure d’un mouvement qui s’arrache à l’Etre immédiatement donné. L’humain se place ainsi au carrefour, à la croisée de lignes événementielles dont il va résulter comme sujet et qui lui confèrent sa substance lorsqu’il s’en empare et les réfléchit. Le sujet n’est qu’une interférence, il est comme une fonction mathématique posant son point au croisement de Y et de X, un nexus de coordonnées pour lequel il faut encore supposer le zéro de leur recoupement orthonormé.

Impossible de substantiver a priori ce mouvement qui compose le devenir de l’Histoire humaine même si on peut espérer en prévoir l’ensemble, la totalité à la manière de Hegel et déjà tout autrement Platon. Jamais cette médiatisation ne pourra aboutir à une totalité disons totalitaire, justement de par le primat accordé à l’événement dans l’institution même de l’être. Ce pourquoi, même du point de vue de l’absolu hégélien, l’Esprit reste un mouvement, un calice qui écume et dont la mousse ne cesse de déborder. L’Esprit Absolu hégélien est plus un processus de fermentation qu’un herbier desséché, un calice qui déborde et dont les débordements ne s’achèvent pas avec sa fermentation. Celle-ci sans doute conserve, résiste à la dégradation et à la décomposition des matières, mais en même temps entre dans la longue histoire d’une maturation et d’une bonification toute spirituelle. Ce constat par lequel Hegel soustrait à l’homme la posture d’une substance initiale et en tant que l’Histoire seule peut lui fournir consistance au terme d’un voyage interminable, ce constat dirons-nous est une nouvelle extrêmement joyeuse dont Nietzsche pourra accentuer la disparation et le morcellement. Il s’agit là d’un mouvement de dissolution par lequel Châtelet introduit au dernier volume de son Histoire de la philosophie consacré au XXème siècle et dont nous citerons quelques passages pour vous rappeler le ton incisif du philosophe :

 

« Le volume précédent, consacré au XIXe siècle, a mis en évidence le fait que la philosophie comme genre culturel, ne peut plus prétendre avoir un objet privilégier qui serait son apanage et la justification de sa volonté dominatrice : ni l’Etre, ni Dieu, ni la Substance, ni la Raison, ni le Sujet, ni l’Universel, ni la Valeur… ni quelque autre entité qu’on inventerait conjoncturellement pour légitimer une réputation (…).

Aventuriers, sont sans doute tous ces penseurs dont il est question ici. La disparition de l’objet de la philosophie se traduit désormais par un éclatement du style philosophique même »

 

Il nous paraît décisif dès lors de poser le doigt sur cette mutation du style même du philosophe qui ne peut plus poursuivre ses enquêtes et investigations sans renouveler la modalité de ses approches : des aventures pour lesquelles l’objet dépend de la quête autant sinon plus que de son désencombrement. Je ne suis pas convaincu, de ce point de vue, que la philosophie requiert forcément le style de la dissertation ou du commentaire capables d’exhumer l’objet, inchangé au terme de l’analyse. Ce serait admettre que rien ne s’est passé et que la philosophie continue obstinément d’ignorer l’événement qui s’est produit et qui lui soustrait ses anciens objets illusoirement posés en faits, comme Kant l’avait reproché à la métaphysique il y a belle lurette. C’est la une exigence minimale requise pour penser aujourd’hui, exigence que se sont imposés tout livre et essai dont le style prend acte de ce que les objets qui y sont abordés sont à construire, à poursuivre dans une recherche et un bricolage tout à fait inséparables de l’écriture. Impossible de considérer que les concepts philosophiques soient déjà-là, indépendamment de la façon de les énoncer, de sorte que la définition donnée par Deleuze à la philosophie comme étant une création, une création de concepts me paraît la plus cohérente qui ait été proposée pour notre temps. Et la manière dont Châtelet à son tour poursuit son constat est extrêmement instructive sur l’état presque artificiel dans lequel survivent nos universités. Je cite la suite du texte :

 

« La philosophie des professeurs se maintient dans le sérieux et dans l’ennui avec l’appui de la psychologie et de la sociologie qui, ayant une fonction de régulation sociale, se développent »

 

En effet, pourrait en surenchérir, la philosophie, loin de percevoir ses objets tout fait, possède des styles délicats, parfois fort obscurs et dont l’obscurité tient, précisément, à l’impossibilité de poser un objet substantiel avant de le construire. Mais cette stylisation, qualifiée péjorativement de poème ou de métaphore, se heurte de plus en plus à la volonté crispée de lui imposer malgré tout des entités incréées sous l’autorité canonique des auteurs devenus intouchables, classiques et, par conséquent, nécessaires. La psychologie et la sociologie sont venues remplir le vide créé par ce manque d’Etre en imposant à l’université le concept de sciences humaines souvent au détriment des facultés de Lettres. Les sciences de l’homme, l’homme considéré du point de vue de la science est comme une réaction au Crépuscule des idoles qui, sous l’impulsion de Nietzsche et dans le sillage de Kant, a déboulonné les statues dures et solides qu’étaient Dieu, le moi et le monde auxquels les sciences de l’homme assurent justement la relève. Aussi la philosophie qui n’est plus simplement histoire de « faits » conceptuels, rejetée par l’Université et les sciences humaines comme une chose poématique, s’ouvre-t-elle plutôt au sens du risque, au goût de partir à la recherche de ce qui n’est donné nulle part tout cuit sans que le chemin qui y mène ne soit déjà le parcours le long duquel le concept sera créé. Je poursuis la lecture du texte de Châtelet pour confirmer simplement cette singularité de notre temps qui fait suite aux Années de démolitions :

 

« En même temps <que l’imposition des sciences humaines> surgissent, venues d’ailleurs, d’autres inventions. Des objets brisés, cassés, disparates ou évanescents (au regard des traditions spéculatives) s’imposent »

 

De ces objets -qui sont plus des objections, des déjections, des forces d’objecter que des substances-  nous nous revendiquons entièrement en prenant au sérieux ceux qui ont été nos exemples plus que nos maîtres, exemple signifiant par l’allemand Beispiel, le jeu, le jeu qui se joue à côté, de manière latéral et qui de proche en proche conduit à la création d’une ligne, d’une forme, d’un concept. Ce sont ces jeux créatifs qui déterminent la philosophie contemporaine digne de ce nom, des stratégies lentement mises en chantier par Foucault, Deleuze, Lyotard, Derrida, Nancy et bien d’autres encore. Ce sont des jeux périphériques qui, précisément, ont perdu la forme du « je » énoncé comme sujet, cette façon insupportable de prôner sa science et sa gloire. Rarement se rencontrent, sous la plume de Châtelet ou de Deleuze, des thèses énoncées sous la première personne du singulier « je ». Toujours s’impose le « nous », le pluriel d’une singularité dans les tâtonnements de la philosophie contemporaine qui se soustrait au ton des professeurs. Ce qui est refusé par là, c’est ce que Châtelet aura qualifié d’outrecuidance. Et c’est précisément par ce rejet de l’outrecuidance que Deleuze brosse le portrait de Châtelet. C’est une question de style, de style de vie et d’écriture qui nous semble pouvoir déterminer ce qu’il en est de l’homme aujourd’hui, de ce qu’il a d’inhumain en même temps que de surhumain. Je me contenterai pour le laisser entendre de croiser avec Périclès et Verdi, par lequel Deleuze lui rend hommage, quelques textes de Châtelet ramassés de façon non-systématique, par les liens du souvenir.

 

Que l’homme ne soit pas quelque chose de substantiel cela veut dire en un sens qu’il n’existe pas en acte et qu’il est toujours seulement homme en puissance, c'est-à-dire de manière potentielle, virtuelle, et ce pour autant qu’il use de toute sa puissance d’actualiser les événements par lesquels il va se définir. C’est en ce sens que Châtelet peut dire dans Chronique des idées perdues que la politique n’est rien sans la puissance :

 

« ce qui m’intéresse c’est la puissance, ce qui fait que le pouvoir est pouvoir. Or la puissance est à strictement parler tout un chacun ».

 

C’est donc en chacun de nous que s’expriment un degré de puissance et une force de persévérer dans l’être par la capture des événements en puissance. L’homme n’est humain que par des mécanismes de captation de puissance, des machines à capter les forces qui passent autant par l’art que par la politique, pour extraire de là la figure transitoire de son humanité. D’où le titre du livre de Deleuze Périclès et Verdi conférant à Châtelet une place qui lui donne sans doute l’occasion de resituer son propre rapport au pouvoir sachant que dans Qu’est-ce que la philosophie ?, il n’y a pas de plan politique, mais un plan pour la philosophie, un autre pour la science puis enfin celui de la composition artistique. On n’insistera jamais assez sur le fait que s’il n’y a pas de plan politique chez Deleuze c’est parce que la politique est une puissance qui s’exerce sur les trois plans, celui de l’immanence, de la consistance et de la composition. Il faut bien une puissance sous laquelle un agencement se compose, immane ou consiste. La politique est le degré de courbure de chaque plan, la puissance avec laquelle il se rassemble.

             Immaner, consister et composer, cela relève d’une puissance qu’il faut chaque fois pouvoir mettre en jeu pour que s’actualise un potentiel, cristallise un concept, une fonction, un affect ou un percept. L’actualisation de cette puissance requiert cependant un personnage capable d’ouvrir une stratégie de captation. Un personnage conceptuel pourrait en ce sens être le personnage d’une politique. Périclès et Verdi doivent ainsi s’entendre comme on entend chez Nietzsche Apollon et Dionysos ou chez Freud Eros et Thanatos. Ce sont des instances qui permettent de dramatiser des processus cosmiques ou des puissances. Sans doute Schelling a-t-il été le premier à dramatiser l’histoire du monde, les âges du monde par des personnages conceptuels dans sa recherche sur la Philosophie de la mythologie. Un Dieu, le nom d’un Dieu désigne en fait une méthode de dramatisation pour capter les forces en jeu dans un âge du monde. Il en possède l’articulation et la consistance. Les forces trouvent dans les personnages, dont se sert le philosophe, la puissance qui va en faire des concepts. Par exemple le concept correspondant à Apollon, c’est la surface, le superficiel là où Dionysos permet à Nietzsche de rassembler une profondeur relative à l’ivresse bien plus qu’à l’introspection.

Il y a des mécanismes de captation de puissances sans lesquels il n’y a ni immanence ni consistance, ni composition et qui s’exercent aussi bien en philosophie en science qu’en art au point que l’on pourrait supposer que la politique chez Deleuze n’est rien d’autre que la manière dont, à la naissance des actes de création, le cerveau produit ses raccords, soit une politique cérébrale de capture dont Châtelet produit un personnage à travers Verdi. Déjà la guérilla, dans Pourparlers, forçait Deleuze à montrer que toute politique à lieu à l’intérieur de soi, selon une forme de subjectivation qui nous met en guerre avec nous-mêmes, mais c’est dans son livre sur Châtelet qu’il s’explique au mieux sur ce point, et la musique désigne l’exemple majeur d’un dispositif de pouvoir, de captation de pouvoir, de constitution d’un plan par degrés de puissance.

La musique n’est évidemment jamais comparable à un tout qui serait homogène à l’ensemble de ses compositeurs et qui se déroulerait comme du papier bien réglé sous les projections d’une imprimante. Pour que la musique compose un plan, il faut un montage, une machine à capter la matière sonore, de la heurter et d’en libérer des singularités inédites. Verdi, ce n’est pas Wagner et sans doute les personnages qu’on pourrait y montrer à l’œuvre ne sont pas dépendants d’une nature. Ils définissent des types d’hommes, expérimentent des types, une typologie dont l’humanité n’est pas du tout la même que celle que Nietzsche va arracher à la tragédie grecque. La littérature, la musique tout comme la peinture et la philosophie nous montrent des héros dont les vertus précisément ne sont jamais naturelles, et l’humanité va puiser dans l’humus ses virtualités, s’arrachant à toute biologie à toute classification spécifique. La politique n’est pas une biopolitique même au sens réactualisé par Foucault. Elle est entièrement éthique et vertueuse. Nous citerons à cet égard une remarque de Châtelet instructive au sujet de cette éthique, de cette éthologie des personnages de l’Opéra :

 

« Il (l’art musical) a cette vertu : agir par la matière subtile, rendre sensible la matérialité des mouvements que d’ordinaire on attribue à l’âme. C’est là ce qui donne réalité et force à la psychologie élémentaire des héros de Guisseppe Verdi. Pour la même cause ce que le génie de Molière ne pouvait que suggérer, les phrases musicales de Mozart l’imposent : la véhémence du désir d’Elvira pour don Giovanni. La peur, la passion charnelle, la haine, que la psychologie réflexive ou scientifique déduisent ou induisent laborieusement, la musique les fait exister dans leur situation singulière » (Chronique des idées perdues p. 241).

 

Il n’est donc pas question ici de science humaine. La musique est plutôt une aventure sur les mouvements de l’âme dont elle permet de dégager le site, la situation singulière. Et de ce site s’élève un personnage qui va actualiser tout le potentiel dont est capable la confection de ce lieu. L’humanité, n’importe quelle humanité, dérive de cette éthologie des sites que la musique permet de cribler, de filtrer pour en capturer les particules et que la psychologie rationnelle évidemment ignore, que le ton professoral ne saurait guère suspecter comme Nietzsche aussi l’avait compris lorsque, jeune professeur, il se faisait huer par ses collègues pour son analyse si peu scientifique des héros tragiques. C’est que le lieu ou le champ qu’un personnage va occuper peut être seulement exploré par le montage technique de son crible. Les vertus comme virtuosités sont des filins qu’il va tendre en tous sens pour rendre sonore et intelligible la profondeur du site où il se tient. Il faut que le personnage en question puisse envoyer la création d’une humanité particulière, d’un type qui peut s’avérer inhumain au regard de la morale dominante ou surhumain par rapport aux usages dit naturels de nos facultés. Le personnage donne finalement la profondeur, et elle n’est pas la même par exemple pour Tristan et Iseult que pour Don Giovanni et Elvira. Surface et profondeur sont des coordonnées que le personnage produit et permet de composer en fonction de la situation qu’il créé ou affronte. Ces personnages sont donc comme des sondes, des sonars, des capteurs lancés dans la matière et qui vont en activer des vertus inouïes. Ce sont des machines ou des automates capables de configurer des puissances inédites.

 

« L’art musical, affirme Châtelet, (…) va très loin dans cette entreprise de la construction de ces automates ayant puissance de plaisir et force d’exploration. Il a cette vertu (…), rendre sensible la matérialité de mouvement que d’ordinaire on attribue à l’âme »

 

On ne saurait mieux dire s’agissant d’une dramaturgie des vertus.  La vertu se mesure à la virtuosité avec laquelle s’élance un homme nouveau dans les rets d’une matière pour laquelle il lui faut voir avec des yeux d’androïde ou de machine à produire des sonorités, des cris appropriés au site inhumain dans lequel on sent des puissances céder et claquer en toutes les directions. Mais ces directions ne sont pas des données. Elles ont à être explorées et dénouées par cette exploration. Et cette matérialité prolixe ne va pas s’affronter de la même manière dans l’histoire qui envoie ses sondes au fond de l’Etre. Il faut, si l’on veut, une alliance instrumentale et corpusculaire, une instrumentalisation de la voix et une vocalisation de la matière pour comprendre peut-être l’unité de ces deux mots « matérialisme historique ». De l’exploration de la matière, de l’orientation qui s’y trouve frayée, il y a sans doute une histoire dans laquelle la forme homme rejoue la composition de ses facultés, le sens de la surface et de la profondeur qui la caractérise.

 

« C’est, poursuit encore Châtelet, comme surface se déployant et comportant des dénivellations et des degrés que la composition musicale est agissante. Elle n’a aucun effet de profondeur, sinon au sens matériel où il lui arrive de vriller ses viscères et de crisper ses muscles (…) La musique ne représente ni ne présente rien (…) elle a le privilège par ses artifices de rendre sensible à toute la superficie du corps, y compris les parties dites profondes de celui-ci, l’impact des qualités sonores et de leur combinaisons… »

 

Et c’est au nom d’une physique des qualités que Châtelet convoque l’opéra comme expérimentation des formes historiques qui recoupent la matière pour rendre compte d’une articulation spécifique de la forme homme, des personnages qui s’y composent et y créent leurs forages singuliers, leur spatium nouvellement habitable, leur habitacle. Singularité et humanité sont donc lié sur le plan de composition propre à la dramaturgie musicale comme Nietzsche l’avait déjà annoncé par la Naissance de la tragédie. Mais la même chose pourrait se dire évidemment de tous les arts et des techniques qui les caractérisent, hautement complexes. La séparation art et technique ou technologie n’a pas de sens sur le plan de composition de la nature comme on le voit déjà chez Aristote. L’espace et le temps, la surface et la profondeur ne sont que des champs qui s’ouvrent au voisinage d’une technique ou d’une techno-politique à définir. La technique est l’artifice par lequel celui qui est dépourvu de toute essence se jette dans l’existence pour en extraire un degré de puissance, ce par quoi l’homme pourra survivre quitte à entrer en alliance avec le métal de la physique et avec ces humanoïdes associés. Nous laisserons pour finir la parole à François Châtelet au sujet de cette alliance des machines et des hommes dans l’art à venir :

 

« J’ai souvent fait allusion au projet d’une physique des qualités(...). Or, il me semble, que le travail de l’art, en tant qu’il plonge ses racines dans la téchnè , en tant qu’il est une praxis au sens où l’entendait Aristote, c’est-à-dire une imitation-transformation de ce sur quoi il œuvre-, en tant qu’il est ouvrage, produit des réalités artificielles qui sont des éléments de cette physique » (Chroniques des idées perdue p. 237).

Jean-Clet Martin, Octobre 2011.


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