dimanche 13 avril 2014

Les vampires ne tiennent pas dans l'être




Les malins génies ouvrent des régions qui sont intercalaires et comme en coulisse. Ils se déplacent entre les mondes, dans les fentes, les seuils qui échappent aux catégories de l’ontologie. On y croise des formes occultes depuis un oculus sur des étants très très spéciaux, plus surprenants que l’Etre ou que ce qui se laisse épingler comme fondamental. Ce sont des vampires qui errent en-dehors du temps de la présence, dans l’espace nocturne pour lequel l’évidence n’a plus de pouvoir. Le vampire n’a pas besoin de voir, il sent, il se glisse dans la nuit dont il possède la couleur pour se fondre entre les vivants et les morts. Son inexistence dit la mutation, la possibilité pour un être de devenir autre chose, de sortir de sa catégorie en rivalisant avec l’oiseau tout en conservant la dentition du carnassier. Le sang, ses esprits animaux, constitue sa ligne de fuite glissant sur son manteau noir. Chaque goutte est un monde en lequel se modifier, nouer un pacte avec d’autres codes, dans la transsubstantiation des genres. Il repère des mouvements, des humeurs noires dont la molécule fera muter les espèces. Le vampire enfourche le brin hybride des matières qui se forme selon la curiosité des rencontres, la puissance de leur contagion. Non pas seulement épidémie, mais "Nouvelle alliance" impossible à cicatriser... pullulement et hululement...
Les vampires longent le débordement du sang qui coule entre les règnes du vivant. Alors que le bestiaire dont disposait le Créateur montre partout des noms pour des êtres auxquels il fallait s’attendre. Ces autres sont le résultat d’une recréation qui se poursuit bizarrement et dont manquait la définition. Non pas seulement des miracles, mais des entités issues du hasard, des créatures fabriquées par des molécules inscrites sur les fichiers de Dieu, mais autrement associées, virales pour ainsi dire. Naissent ainsi d’autres formes, d’autres croisements, inter/dits. Leur nom manque à l’appel des sept premiers jours de la création. Intriguants comme le mulet –croisement de l’âne et du cheval- sans avenir, sans descendance, ils n’ont pas la possibilité de se reproduire, condamnés à l’éternité de la nuit, à la résurrection du même, se reconstituant à partir d’une poussière de sang, d’une fiole de leur tombeau.
Leur sexualité est orale, buccale. Ils n’ont pas de fils, celui-ci n’étant qu’un clone de la même molécule. Ils se répliquent, se répètent, se propagent par division cellulaire, par morsure, mais jamais par généalogie, ni par naissance. Ils sont un outrage à leur naissance. Le vampire cesse d’être vivipare pour devenir scissipare. Un reste de son corps peut le reconstituer, une morsure le prolonger et le répandre parce qu’il n’a pas d’autres moyens de survivance que le parasitage, l’occupation du sang d’un autre. Il est séduit par les belles créatures mais ne leur laisse aucune fécondation, aucune semence d’une vie nouvelle, condamné à l’éternité de la répétition, à l’éternel retour du même. C’est sans doute le grand malheur des vampires devenus inféconds, inutiles en leur vie de mulet. Ils n’ont que des nuits interminables à remplir. Ils n’ont que leurs cellules comme avenir, avatars d’un défaut copulatif, d’une copulation de chauve-souris. Quand ils ne rêvent pas à devenir des femmes, des femmes qu'ils font, se poudrent et jouent à être.
Sans être des hommes et sans être des animaux, ils ont été fabriqués, comme Eve, avec des restes. Fruit d’un croisement comme deux arbres bouturés, dénaturés, leur beauté ne saurait aboutir à une stabilité familiale, renégats à leur famille, incapables d’en refonder une autre. Ils errent entre les heures du temps, à minuit, moment où tout se fige, où l’éternité trouve l’existence d’un instant qui sera toujours le même, divisé à l’ombre des paramécies. Leur détresse provient de l’identité de leur avenir, avec toujours le même sang à poursuivre, capable de survivre sans une goutte nouvelle, bien plus longtemps d’ailleurs qu’une graine de cactus séchée dans le désert. Ils ne vivent pas, ni même ne survivent. Ils sont ailleurs ! Ils désespèrent d’être sans que personne, ni une croix, ni même un pieu ne sauraient les abattre. Que la lumière les détruise, cela est certain, mais il restera bien quelque part une cellule à partir de laquelle se refaire, se reformater, condamnée à l’éternité d’un cancer libéré des lois de l’organisme. C’est là leur féminité suffisante, leur sexualité moléculaire.

Le vampire est division cellulaire sans fin, « diabilisation » infinie qui montre que l’éternité est résultat d’une erreur, d’une réplication sauvage, que l’éternité est l’enfer lui rendant, du coup, les mortels si désirables. Il est le damné de la création, un dé pipé dont on ne peut qu’avoir pitié rejouant le salut chrétien sur son versant le plus obscur, le plus noir dont on voudrait d’ailleurs pouvoir le tirer, au point de l’aimer enfin. Ange à l’envers, son désir le plus ardent serait sans doute de perdre ses ailes éternelles, en trouvant un peu d’amour dans le regard d’une femme capable d’autres naissances, d’une autre reproduction... Ceci est mon corps… Nosferatu nous apparaît alors comme l’autre extrémité de l’ange, exclu lui aussi de la mort en un monde insipide dont le film de Wenders montre l’ennui par Les ailes du désir. D’où une allure d’antéchrist, une version tellurique du salut, l’attente d’une descendance au lieu de la division éternelle de soi dans la résurrection. Cette attraction féminine qui pourrait peut-être se répliquer elle-même sans l'homme, vierge pour ainsi dire, leur survit dans la division infinie des cellules

J-Cl Martin

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire