mercredi 11 février 2015

Pop Philosophie





L’actualité de la philosophie a toujours été liée aux noms qui la signalent. Mais le rayonnement de ces noms s’inscrit dans des actes, des gestes d’intervention qui en caractérisent la part événementielle. Il n’y a jamais eu de philosophes retranchés dans leur tour d’ivoire. L’ivoire n’est pas propice à la pensée qui est loin de naître sur les hauteurs. Quand il s’agit de Spinoza ou de Nietzsche, on a beau déplorer leur clandestinité, la grande répréhension sociale qui cherche à les étouffer, ils trouveront dans cette "mise à l’index" la puissance de leur conception philosophique, un viatique qui s’inscrit dans leur écriture comme un témoignage brûlant de leur actualité. Ils sont actuels peut-être par leur refus du présent, leur "inactualité obstinée" et sans doute par toute l’implication de leurs textes dans le champ social comme cela est clair pour le Traité théologico-politique ou encore pour Humain, trop humain… De tels auteurs auront été actuels jusqu’au bout des ongles, discutant de ce qui leur arrive, des événements qui pouvaient marquer au fer rouge leur parcours philosophique.
Il n’y a de philosophie que vivante, en prise sur les problèmes qui forcent à penser, des problèmes dont la violence appelle les concepts, interpelle toute interrogation critique. Voici donc que la philosophie, dans cette part de révolte, ne se soumet jamais aux canons de la morale qui cherchent à imposer le silence par la bienséance de l’opinion en vigueur. Il n’empêche, les philosophes les plus réprouvés ont toujours cherché, trouvé leurs intercesseurs. L’Université a joué ce rôle lorsqu’elle a intégré dans ses rangs la force du dehors, lorsqu’elle s’est ouverte aux formes non-universitaires de la recherche et qu’elle en a relancé les possibles par des cours tout à fait exemplaires dans les années 70. C’est du reste le cas aujourd'hui pour « rue d’Ulm » qui est certes un carcan institutionnel sévère mais n’en manifeste pas moins une ouverture à des innovations souvent mal accueillies par la doxa en vigueur qui les dénonce comme un bastion du communisme, de l’extrémisme… On ne saurait minimiser, en leur temps, le rôle des petits éditeurs qui comme Minuit, Galilée et bien d’autres ont accueilli les noms qui leur ont conféré leur prestige. Mais ce n’est ni l’université ni l’édition qui constituent la signature de l’auteur, pas plus que le « Café de Flore » ne fait la vérité de la littérature, ni même son folklore bien plus populaire, induisant une certaine forme de Pop-philosophie (Mahler au niveau de la musique a largement puisé dans les refrains du folklore). Ce sont les philosophes qui ont en charge de créer des concepts et de s’affronter à l’actualité par des moyens qui ne sont pas nécessairement ceux des grands journaux télévisés où n’advient rien de remarquable si ce n’est la diversité du divers, du fait divers auquel manque le concept pour en marquer la cohésion, l’agencement, la subjectivation souvent rebelle.
On notera cependant que les philosophes, en recul sans doute sur le plan institutionnel, trouvent une forte résonance de leurs thèses dans le champ de l’actualité, notamment par le biais des réseaux sociaux, de blogs, de revues ou d’émissions radiophoniques très suivies. Il est possible sans doute que les essais soient moins lus, que les livres de philosophie n’aient plus le rayonnement qu’ils ont connu au moment de l’explosion des sciences humaines dans les années 60. Mais ils n’en sont pas moins entendus, convoqués par ceux qui y prennent part et relaient la pensée par les moyens du temps, en l’occurrence par tous les moyens, par toutes les stratégies, par des masques et des formes d’exposition multiples comme si toute philosophie n’advenait que comme une « philosophie par mauvais temps ». On notera à cet égard la présence très forte de « Philosophie magazine » dont les dossiers sont confiés à des universitaires et les thématiques abordées inscrites dans le champ de l’actualité comme pour réveiller la pensée de son lourd sommeil dogmatique. Mais ce qui se veut ainsi provocateur peut, malgré de très belles réussites, s’enliser aussi dans les clichés entre lesquels il convient de naviguer avec prudence. On regrettera que leur site accessible sur le WEB rende compte des ouvrages philosophiques avec une certaine dose de méchanceté qui confine à la stupidité. D’autres revues, comme c’est par exemple le cas des « Inrocks », donnent à la philosophie une place importante et toujours actuelle, perturbant les événements aussi sûrement que la virulence d’un rythme musical ou d’un film ravageur. Une place toute particulière revient à l’émission d’Adèle Van Reeth qui, à la suite de Raphaël Enthoven, reprend le flambeau des « Nouveaux chemins de la connaissance » sur France Culture, une émission très construite, avec des invités dont les œuvres émanent de l’Université, de la Recherche, du champ artistique et qui trouvent dans cette heure d’écoute un tremplin pour leurs textes souvent exigeants, parfois très engagés. Une émission qui décale leurs concepts les plus élaborés vers des questions qui touchent autant au cinéma, aux arts visuels qu’à la littérature. 
Quelque chose donc s’est modifié dans l’accueil réservés aux philosophes, un accueil mitigé à l’Université ou dans le secteur éditorial, mais incroyablement développé par la réception que connaissent certains auteurs à travers les réseaux sociaux, les journaux engagés, les émissions tout à fait incontournables, mis à l’honneur par les médias les plus impliqués dans le champ de la culture. S’il fallait parler d’une exception française, elle pourrait passer par cette étrange singularité bien mieux que par le monde du spectacle qui s’en revendique au nom de créations parfois inexistantes. La philosophie, en devenant populaire, est au croisement des rues, dans la ruée des rues, des avenues, des réseaux et des clichés de l'opinion pour penser ainsi au contact de tous les dangers, de toutes les transformations capables de lui donner sens et vie, fût-ce à contre-courant, de manière intempestive et surprenante.

JCM



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire