La rentrée se décline sur le mode croisé de la révolte appelée par Eric
Hazan, Kamo, Slavoj Zizek et Srecko Horvat. La barricade en serait comme une scène
possible, celle de toute insurrection : un objet rebelle à nos savoirs, à nos
catégories de rangement. Elle n’entre en aucune classe, hors classe et hors
genre. Si d’habitude un objet s'inclut dans un ensemble qui le collecte ou qui
prend le nom d’une collection, la barricade se compose de choses tout à fait
réfractaires à une mise en ordre de ce qui se laisse ordonner selon un concept.
Elle est faite de barriques autant que de futilités, futilis étant la fente, la fuite qui ouvre la barrique à des usages
multiples. La barricade selon Eric Hazan est un amas, un tas, une composition d’objets disparates
qui témoigne de la lutte, de ce qui passe entre les classes, faisant appel à
des clous autant que des moellons, pavés, planches, cerceaux métalliques dans
une disproportion qui appelle tous ceux qui ne jouissent d'aucune reconnaissance. Elle
les ouvre à une forme commune, un communisme qui n’est pas celui du genre ou de
l’espèce ni d'ailleurs de la classe sociale.
La lutte est interstice, fusion des classes en une Commune qui témoigne de
l’espace d’une véritable cité, d’une cité bouleversée. Y naissent des histoires
d’amours et des pactes d’alliance, des chevauchements affectifs et des figures
de l’enfance que la littérature elle-même pourra s’approprier en faisant de
tous les misérables un foisonnement de singularités rebelles. Et comment la
barricade peut-elle fendre l’ordre établi et lui inoculer des grains de sables
capables d’enrayer la machine du pouvoir ? Quelles mesures décider dans la
disparités des barricades, placées hors l’autorité des sciences politiques ?
Un ensemble de questions qui pousseront Hazan et Kamo à adopter les Premières mesures révolutionnaires. L’immonde
du monde d’aujourd’hui qui ne répond plus à rien, cet ordre mondial qui confine
à l’équivalence de tout, sans aucune dignité ni aucune forme de subjectivité,
cet immonde réclame une critique capable de rompre l’éternel retour du même, la
restauration de l’ordre toujours reconstitué par-delà le désordre des barricades. L’insurrection ne
peut s’insurger vraiment, devant l’ordre mondial, qu’en prenant la forme d’une
insurrection irréversible et irrespectueuse des principes moraux qui protègent
les nantis. Elle advient au nom d’un ailleurs et d’un incommensurable, d’un
monde qui soit avant tout un monde autre, inventif, créatif, contrant le
ressassement de la même organisation.
Où il s’agit d’un événement qui prend pour nom l’irréversible : créer
l’irréversible et engendrer la dissymétrie. De cet irréversible, de cette
dissymétrie, il convient de montrer comme le font Zizek et Horvat qu’elle s’énonce
par la redondance, la négation dans la négation, une répétition supérieure et différente du ressassement : celle qui dénonce la figure du
sauveur. Le sauveur nous apparaît, avec les grecs aujourd’hui, comme destructeur
de toute commune. D'où l’exigence de nous « sauver de nos sauveurs ».
Les plans de sauvetage de l’Europe sont en réalité des entreprises de sabordage
instaurées au mépris de la volonté populaire qui cherche de nouvelles
barricades pour son désir, informatiques, blogosphériques, mais tout autant
artistiques. Il s’agit, dans le vent de la révolte, de voir une nouvelle Europe
sortie du Sud, Europa n’étant rien d’autre qu'une figure qui sort et replonge au
milieu de la mer à la manière d’Orphée. Une vision d'opéra. Si la dette est
devenue ob/scène, la révolution ne peut entrer dans l’ob/scène et le contrer qu’en
devenant dramaturgie, attentive à l’opéra, une opération de l’opéra qui s’allie à
Rossini, Mozart et Gluck. L’opéra est un opérateur qui nous conduit dans les
laboratoires psychiques et affectifs de la dette comme Nietzsche devait le montrer. La scène de la révolte
apprend de l’opéra la capacité de changer le destin, de créer de nouvelles barricades.
L’ordre naturel que l’Etat revendique, l’opéra ne cessera de nous montrer qu’il
n’est rien sans la grâce qui l’interrompt, la grâce qui le troue et le disloque
dans le démembrement rejoué de ses héros, de ses maîtres et figurants.
JCM
On pourra lire :
Eric Hazan et Kamo, Premières mesures
révolutionnaires, Editions de la fabrique
Eric Hazan, La barricade –histoire d’un
objet révolutionnaire, Editions Autrement
Slavoj Zizek et Srecko Horvat : Sauvons-nous de
nos sauveurs, Editions Lignes.
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