mardi 23 juillet 2013

L'Alien des Aliens / Frédéric Neyrat




Texte à paraître in "Métaphysique d'Alien" aux éditions Léo Scheer au printemps 2014

2 commentaires:

  1. Bonsoir Frédéric,
    Dans Alien 4, le problème de Ripley n'est pas que "toute hybridation n'est pas bonne en soi", il est plus précis et, pour Ripley, singulier que cela. Le problème premier - qui masque bien sûr un réseau complexe de problèmes - est l'expérience de dépossession de soi, de l'effondrement mnésique (le trou noir de mémoire), d'une « dissonance » assourdissante d'avec le Monde (humain ou humanisé), parce qu'aucun processus d'attachement et d'identification à la réalité-illusoire du Monde ne s'enclenche. Pour quelle raison ? Le scénariste très vite calme le spectateur, et ces personnages fictionnels, en livrant une réponse, qui fera écran sur toute la durée du film (et plus loin, encore dans nos rêves), l’explication ‘‘tombe’’ : elle est revenu d'entre les morts, c'est une figure mort-vivante, d'où son non-ajointement (« out of joint ») au Monde. Mais ici les mots et les noms nous trompent, ils possèdent une puissance de confusion des réalités pourtant distinctes. La Ripley d’Alien 3 est-elle ‘‘la même’’ que celle d’Alien 4 ? Pourquoi devrait-on continuer à l’appeler Ripley (?), car il n’est pas vrai de suggérer qu’il s’agisse d’une « résurrection » (voilà le masquage qui s’effrite). Ripley 4, que l’on doit nommer plus proprement « numéro 8 », possède de nombreuses sœurs, chimères d’expérimentations (qu’elle redécouvre, terrifiée, dans le réel, alors qu’elle les visitait sans doute intuitivement par la mémoire de son corps), en fait, elle est issue du sang congelé d’Hélène Ripley alors que cette dernière était déjà parasitée d’une hôtesse royale, une reine-alien. Ainsi, l’hybride numéro 8, sans jamais vraiment le clarifier (ni pour elle, ni pour le spectateur) se dé-couvre usurpant le nom de sa mère (« Ripley »), emmuré dans une identité morte, offrant son corps vaisseau-et-tombeau à cette mère-fantôme, et finalement sommé psychiquement à disparaître, à chuter dans l’oubli – ce néant des morts – au profit du nom de la mère. Ayant pour père ou plutôt pour géniteur gyné-phallique, une larve de reine-alien, et pour mère, une morte, que la communauté des humains ne cesse pas de confondre avec elle, « numéro 8 » ne souffre pas tant d’être une hybride, qu’un non-être, une « chose » non-nommée et non affiliée, sinon à une folie – porté par la communauté - celle d’être le corps-nu livré à la prédation d’une mère-morte. L’abîme n’est pas l’hybridation, mais d’un côté la désymbolisation (soit la non-inscription dans le tissu humain), et de l’autre la pervers-symbolisation (soit la négation de la singularité psychique au service de la folie d’une communauté : qui efface et remplace la singularité – le monstre –… par le mort).
    Raphaël Bessis

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  2. Pour répondre à ce que tu dis des ontologies plates : "L’ontologie pure d’Alien" n’est pas une « ontologie orientée objet » (OOO) au sens donné par Harman, Meillassoux… Comme je le mets plusieurs fois en italiques, il s’agit plus pour moi d’une "désorientation", une ontologie désorientée. En effet comment, par quel miracle quelque chose dans l’ontologie pourrait s’orienter vers l’objet, selon quel axe, vecteur, carrefour ? Cette orientation supposerait une ligne préalable qui s’en empare et qui n’a rien d’absolu. J’oriente l’ontologie, un Dieu se tient à l’orient en tant que pôle de subjectivation. Et donc tout ça se décalque au contraire du plan doxique, empirique, mondain ou nous raisonnons en termes d’orientation, de sens, de données solides, de champs déterminés de façon générique. Orienter l’ontologie suppose la prégnance d’un principe actif qui introduit dans l’univocité de l’Etre un vecteur d’une part, principe de fédération, et un objet d’autres part dont, en fait, le dispositif reste ancré dans le schéma Kantien de tout rapport et par conséquent se soumet à la finitude, à des déterminations qui se décalquent sur le plan des affaires humaines les plus plates disons. L’orientation, c’est tout de même la projection d’un univers où l’on suppose, après chaque porte, une autre porte, avec des couloirs pour mener quelque part, vers un objet déjà constitué, et un Dieu au bout, fût-il raté. Rien de plus étranger à mes "plurivers" et par conséquent à ce que j’ai appelé « l’ontologie pure d’Alien ». Cette ontologie est désorientée et sans objets. Elle est peuplée de choses, de quelques choses (Etwas) dont le contour précisément reste flottant, pré-individuel. On ne peut parler dans ce plan d’aucun particulier, d’aucun général ni d’aucun universel. S’y distribuent des singularités au sens mathématique de points non-dérivables. A la dérive sans doute, comme le Nostromo, mais sans dérivée. Comment naissent là-dedans des courbes et des mondes ? Quelle différence entre fiction et réalité sachant que le rapport des singularités est infini. Mais jamais aucune singularité, dans son pli, n'équivaut ici à une autre singularité, ce pourquoi il est impossible de les regrouper par genres. Voilà pour moi ce que signifie la bordure de la finitude. Mais cela ne doit pas un pouce à une formalisation du type 000, dont on peut seulement rouler les joints.

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